Pochette surprise

Moshé Kahlon pourrait bien tenir entre ses mains la composition du futur gouvernement

Pochette surprise (photo credit: BAZ RATNER)
Pochette surprise
(photo credit: BAZ RATNER)
Déçus par les voix déjà trop entendues, les électeurs ont toujours eu tendance à en rechercher d’autres, plus prometteuses, nouvelles et authentiques. En 1992, c’était le « Tsomet » de Rafaël Eitan, qui faisait soudain irruption sur la scène politique et remportait contre toute attente 8 sièges à la Knesset (souvenez-vous, « Rafoul et les sept nains »). En 2003, le parti Shinouï de Tommy Lapid créait à son tour la surprise en décrochant 15 sièges pour un programme qui se proclamait sans complexes « anti-harédim ». En 2006, le parti des retraités, anonyme et inattendu, obtenait 7 sièges avec un vote de protestation de dernière minute. Et aux dernières élections, un petit nouveau en politique nommé Yaïr Lapid décrochait la timbale avec son parti Yesh Atid, qui prônait une « politique nouvelle », installant non moins de 19 députés sur les bancs de la Knesset.
Cette fois-ci, tout porte à croire que Moshé Kahlon, dissident du Likoud, pourrait faire sensation avec son parti Koulanou (« Nous tous »). Il n’a pas encore lancé sa campagne ni annoncé de liste que, déjà, les sondages le créditent de résultats à deux chiffres.
A 54 ans, Kahlon est l’un des hommes du Likoud les plus appréciés. Une belle popularité sans doute acquise auprès du public en 2010-2011 : alors ministre des Communications, il avait su briser le puissant cartel de la téléphonie mobile et réduire ainsi sensiblement les prix pour les consommateurs. Ce succès n’a guère été du goût du Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui voit en lui une menace potentielle pour le leadership du parti. Kahlon se retire alors de la politique et quitte le Likoud. En avril 2014, il annonce son retour et son intention de faire désormais cavalier seul.
Kahlon ne manque pas d’atouts électoraux de poids. Fils d’une famille de sept enfants originaire de Libye, il devrait pouvoir s’attirer les votes de la population ouvrière séfarade du Likoud et d’ex-électeurs du parti ultraorthodoxe Shas, disloqué depuis peu. Sa volonté affichée d’agir contre l’augmentation du coût de la vie, et en particulier contre la hausse de l’immobilier, trouve également écho chez les déçus de Yesh Atid. Il est surtout populaire auprès des jeunes : ils n’ont pas oublié sa victoire sur le dragon de la téléphonie mobile et estiment que, contrairement aux autres, cet homme-là a déjà fait ses preuves.
Les sirènes de Yesh Atid
Kahlon, Lapid et le parti Israël Beiteinou d’Avigdor Liberman visent tous l’immense réservoir de votes que constituent le centre et le centre-droit et envisagent la possibilité d’alliances pré ou post-électorales. Kahlon et Liberman ont déjà signé un accord prévoyant que les votes excédentaires de l’un iraient à l’autre.
Plus important encore, Lapid presse Kahlon de former avec lui une liste commune. Un tel arrangement représenterait la grosse surprise de la campagne. Une série de sondages récents a en effet montré qu’une liste commune Yesh Atid-Koulanou constituerait la plus importante formation de la Knesset, avec 22 à 24 sièges. Dans ce cas, Kahlon, ce garçon pauvre qui a grandi dans un quartier d’immigrants et commencé à travailler à l’âge de 14 ans, pourrait théoriquement se retrouver dans le fauteuil de Premier ministre.
Jusqu’à présent, l’intéressé ne paraît pas très emballé. On ignore encore lequel des deux mènerait la liste commune le cas échéant, et l’on ne sait pas non plus si Kahlon est prêt pour un succès aussi précipité. En revanche, ce dernier redoute de compromettre ses chances en s’alliant avec un ex-ministre des Finances qui en a déçu plus d’un. De plus, s’il se présente seul, toutes les options lui restent ouvertes pour la formation de la coalition, tandis qu’après le déluge de critiques formulées par Lapid à l’égard de Netanyahou, il est peu probable que le président de Yesh Atid accepte d’entrer dans un gouvernement dirigé par ce dernier. Kahlon, lui, a déjà annoncé publiquement qu’il le ferait. « Je ne travaille pas d’arrache-pied depuis deux ans pour me retrouver sur la touche », a-t-il déclaré.
Néanmoins, si les sondages s’obstinent à prédire une victoire électorale à une liste commune, Kahlon aura sans doute du mal à résister aux pressions et à continuer de refuser l’invitation de Lapid. Il a jusqu’au 29 janvier, date limite pour soumettre les listes finalisées, pour se décider.
Plus Likoud que le Likoud

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Dans la campagne électorale actuelle, les partis en présence cherchent à redéfinir l’espace politique israélien. Les fois précédentes, le Likoud engrangeait ses voix en se présentant comme le « camp national » ; sous-entendu, ses adversaires de gauche manquaient de zèle patriotique. Pour contrer cela, le centre-gauche se qualifie désormais de « camp sioniste », laissant supposer que les gens de droite sont des extrémistes irresponsables et mettent en péril le projet sioniste.
Dans l’espace entre gauche et droite, Kahlon, Lapid et Liberman se définissent pour leur part comme « le centre pragmatique », présentant d’impeccables références patriotes associées à une volonté de faire des concessions raisonnables pour parvenir à la paix.
Kahlon se targue d’un pragmatisme davantage en accord avec la tradition du Likoud que la ligne dure désormais adoptée par ce dernier. En d’autres termes, son parti est plus Likoud que le Likoud. « Le vrai Likoud savait comment faire la paix et céder du territoire, tout en demeurant conservateur et responsable », a-t-il déclaré devant un public de jeunes dans un pub de Tel-Aviv début décembre. « Quand le moment de signer la paix avec l’Egypte est venu, le Likoud l’a signée. Quand il a été nécessaire de faire des concessions, il les a faites. »
Seul hic de cette modération affichée, c’est qu’à l’époque où il était au Likoud, Kahlon comptait parmi les faucons. On l’a vu s’opposer au désengagement de Gaza décidé par Ariel Sharon en 2005, défendre bec et ongles la nécessité de construire à Jérusalem-Est et en Judée-Samarie, prôner l’annexion de la Judée-Samarie au cas où les Palestiniens s’adresseraient à l’ONU, et s’opposer à la solution à deux Etats.
Cependant, l’atout de Kahlon est son souci des problèmes socio-économiques, et cela fera peut-être la différence. Koulanou se concentrera sur les besoins sociaux fondamentaux, affirme-t-il, dans la vraie tradition d’un Likoud que Netanyahou a un peu délaissé aujourd’hui. Le grand message de Kahlon : si l’on installe les bonnes personnes au pouvoir, celles-ci trouveront le moyen de baisser le prix des logements, et le coût de la vie en général. Il se dit par ailleurs prêt à s’attaquer aux puissants et à se battre pour une distribution plus équitable des richesses nationales. « Ceux qui rient aujourd’hui doivent savoir qu’un jour viendra où ils ne riront plus », a-t-il déclaré. « Ne sombrez pas dans le cynisme : vous devez avoir confiance et savoir que le changement pour le mieux est possible ! » Et de fait, le besoin d’espoir, surtout chez les jeunes, sera un autre grand thème de la campagne électorale.
Pourtant, malgré son image de Robin des bois des temps modernes prêt à prendre aux riches pour aider les pauvres, les prises de position passées de Kahlon en matière d’action sociale sont loin de donner de lui l’image qu’il souhaiterait avoir. Ainsi a-t-il voté contre la hausse du salaire minimum, contre l’augmentation des prestations d’assurance sociale pour les personnes âgées et contre le relèvement du plafond de revenus que les retraités peuvent percevoir sans perdre leurs droits à une aide pour l’assurance sociale.
Entre centre-droite et centre-gauche, le centre balance
Tout comme Lapid et Liberman au sein de leurs partis respectifs, Kahlon aura une totale mainmise sur Koulanou. Il en sera le chef et le candidat pour le poste de Premier ministre dans cette élection et les suivantes. Il nommera ses cadres et les candidats présents sur la liste de son parti pour la Knesset et décidera si le parti rejoindra ou non la coalition le cas échéant. Selon la plate-forme en 10 points de Koulanou, son principal objectif sera la réduction du coût de la vie, notamment du logement, de l’alimentation et des prestations bancaires, en encourageant la concurrence, selon la méthode déjà employée pour faire baisser les prix de la téléphonie mobile.
Les principaux soutiens de Kahlon lui viennent de son fief d’origine, l’axe Haïfa-Natanya. Il devrait bénéficier de celui des maires Yona Yahav (Haïfa) et Miriam Feirberg (Natanya), ainsi que de l’ex-maire de Hadera, Haïm Avitan. Grâce à son frère Kobi, maire adjoint de Jérusalem et ami intime du roi du supermarché Rami Levy, il devrait aussi pouvoir compter sur un soutien financier de ce côté-là.
Ironiquement, des voix s’élèvent pour affirmer que, parmi ses autres bailleurs de fonds, figureraient quelques-uns des gros bonnets que Kahlon prétend vouloir combattre, comme les barons du gaz, du pétrole et de l’immobilier Itzhak Tshouva et Kobi Maïmon. Les preuves à l’appui de ces allégations sont indirectes, basées sur le « Landsmanschaft » et des liens personnels. Ainsi, Tshouva, né à Tripoli, est un grand donateur de l’Academic College de Natanya, où Kahlon dirige actuellement le Centre pour la Réforme et le Leadership sans posséder aucun diplôme universitaire. Maïmon, membre lui aussi de ce solide réseau de la communauté judéo-libyenne, est également un ami très proche.
Jusqu’à présent, Kahlon n’a annoncé que deux noms pour sa liste à la Knesset, l’ancien ambassadeur à Washington Michael Oren et le lauréat du prix d’Israël Eli Elalouf. Pour la suite, on parle cependant de Feirberg, d’Orna Angel, ancienne conseillère de l’ex-Premier ministre Ehoud Barak et PDG de la promenade du port de Tel-Aviv, d’Alona Barkat, chef d’une entreprise de high-tech et militante pour les droits sociaux, propriétaire du club de football Hapoel Beersheva et de l’ancien chef du Mossad Meïr Dagan.
Qu’ils décident ou non de faire liste commune, ceux qui se sont autoproclamés centristes pragmatiques, Kahlon, Liberman et Lapid, auront sans doute à décider quel sera le prochain Premier ministre : Netanyahou, Itzhak Herzog – le président des travaillistes – ou l’un d’entre eux. Tous trois partagent la même antipathie profonde pour Netanyahou, mais Kahlon et Liberman penchent plutôt vers la droite. Et dans un bras de fer entre centre-droit et centre-gauche, ils se décideront en fonction des propositions qui leur seront faites.
Le protégé de Landau
Kahlon s’est fait à la force du poignet. Fils d’une famille d’immigrants de Tripoli, il a grandi avec ses six frères et sœurs dans le quartier Guimel de Guivat Olga, à l’origine un camp de transit sur la côte méditerranéenne, entre Haïfa et Tel-Aviv, pour nouveaux immigrants de Libye, du Maroc et de Roumanie. A 14 ans, il commence à travailler pour aider sa famille à s’en sortir. Il se souvient d’un matin où il buvait du thé avec son père, ouvrier du bâtiment, avant de partir au travail, et où il avait rassuré ce dernier en lui promettant qu’il irait à l’armée, puis à l’université et qu’il ferait quelque chose de sa vie. « Les gens ont besoin d’espoir », dit-il. « Si je suis arrivé là où je suis, c’est parce que je n’ai jamais perdu l’espoir. »
Lorsqu’il rejoint Tsahal en 1978, il est affecté au service du matériel militaire, où il restera comme militaire professionnel jusqu’en 1986. Il terminera formateur en chef dans une base du Nord dédiée à la protection civile. Puis, devenu étudiant à un âge avancé, il étudiera les sciences politiques à l’université de Haïfa, décrochera un diplôme de droit au Natanya Academic College et se qualifiera comme expert en assurance auto au Technion de Haïfa.
Après sa démobilisation, Kahlon travaille une quinzaine d’années à la direction de compagnies spécialisées dans l’importation et la commercialisation de pièces détachées d’automobiles. En parallèle, il assure pendant un temps la direction marketing d’un journal local de Haïfa, puis devient avocat commis d’office aux prud’hommes de Haïfa.
Durant toute cette période, il touche un peu à la politique en dilettante. A la fin des années 1980, il fait sa première percée avec la campagne pour Rami Dotan, candidat du Likoud à la mairie de Haïfa. Dotan perd contre le travailliste Arieh Gurel, mais la campagne a donné à Kahlon l’occasion de rencontrer Ouzi Landau, député Likoud à la Knesset, qui le prend dès lors sous son aile.
« Soyez des Kahlon »
Quand Landau est nommé ministre de la Sécurité publique en 2001, Kahlon devient son chef de bureau. En 2003, Kahlon se fait élire à la Knesset, sans l’aide de personne cette fois. Il se range toutefois aux côtés de Landau pour s’opposer au désengagement de Gaza que projette le Premier ministre d’alors, Ariel Sharon. Juste avant l’application de cette décision, en août 2005, Sharon lui propose le portefeuille ministériel de l’Immigration et de l’Intégration s’il revient sur ses positions ; Kahlon refuse.
Après le retrait de Gaza, Sharon, usé par les incessantes critiques des faucons, quitte le Likoud et fonde Kadima. Kahlon demeure au Likoud et sa résistance aux propositions de Sharon est récompensée : aux primaires de 2006 pour la Knesset, il arrive en première position. Aux élections qui s’ensuivent, le Likoud ne remporte que 12 sièges. C’est le pire score de son histoire, qui lui vaudra de passer les trois années suivantes dans l’opposition.
Cela n’empêche pas Kahlon de progresser. Il devient président de l’influent Comité central du Likoud et préside aussi la commission de l’économie à la Knesset, où il présente des projets de loi visant à simplifier et à réduire les frais bancaires et à accorder des réductions sur l’électricité aux personnes âgées à faibles revenus. Il est également à l’origine d’une loi pour la préservation de l’héritage des Juifs libyens.
Quand le Likoud revient au pouvoir avec 27 sièges en 2009, Kahlon obtient le ministère des Communications. C’est à ce poste qu’il se fait un nom auprès du public en engageant la réforme de la téléphonie mobile. Après le retrait des travaillistes de la coalition, en janvier 2011, Kahlon hérite aussi du ministère de la Santé et des Affaires sociales, en remplacement de Herzog. Avec ces deux ministères qu’il dirige en tandem, il est au sommet de sa puissance, exception remarquée dans un gouvernement largement critiqué pour l’augmentation du coût de la vie. A tel point que, durant le grand mouvement de protestation de l’été 2011, Netanyahou demandera à ses ministres d’en prendre de la graine : « Soyez des Kahlon », leur dira-t-il.
Un faiseur de roi, voire un roi
Mais pour certains, y compris Netanyahou lui-même, Kahlon a les chevilles qui enflent. Netanyahou commence à interférer dans les affaires du ministère des Communications, coupant l’herbe sous le pied de Kahlon. Ce dernier irrite encore davantage ses collègues envieux lorsqu’en juillet 2012, il vote contre un budget d’austérité prévoyant une hausse des impôts et des coupes franches dans les dépenses gouvernementales. Il a alors l’impression que Netanyahou et d’autres se liguent contre lui et craint de se retrouver, aux primaires du Likoud de novembre 2012 pour la Knesset, sur les listes « d’hommes à abattre », qui circulent au sein des fidèles du parti pour inciter ceux-ci à éviter de voter pour telle ou telle personne. En octobre, il annonce sa décision de faire une pause. Il quitte pour un temps la politique et indique qu’il ne se présentera donc pas.
Le fiasco de l’Autorité des terres d’Israël sera pour lui la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le 20 janvier 2013, 36 heures avant les élections générales, Netanyahou annonce son intention de nommer Kahlon à la tête de la structure avec l’objectif spécial de réduire les coûts du logement. Cela se révélera n’être rien d’autre qu’un cynique stratagème électoral. Cinq mois plus tard, alors que Kahlon s’est rendu disponible pour prendre le poste, Netanyahou déclare ne pas pouvoir honorer son engagement en raison des accords de coalition avec Yesh Atid.
Les prochaines élections vont fournir à Kahlon une occasion de se venger. Son retour pourrait bien faire de lui un faiseur de roi, voire un roi. Mais une grande question subsiste : s’il a le choix entre Netanyahou et un candidat du centre ou du centre-gauche, Kahlon se laissera-t-il guider par ses racines profondes au Likoud et ses convictions de droite, ou par son antipathie pour Netanyahou ? La composition du prochain gouvernement, avec tout ce qu’elle implique pour l’avenir d’Israël, pourrait bien se retrouver entre ses mains.
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