Avec près de 6 000 exposants, la Fête de la Cacherout fait parler d'elle

Le plus grand festival mondial de l'alimentation cachère s'est tenu les 15 et 16 novembre

Lors de l'ouverture du festival mondial de l'alimentation cachère (photo credit: DR)
Lors de l'ouverture du festival mondial de l'alimentation cachère
(photo credit: DR)
La célébration a lieu tous les ans, en novembre. Au cours de la période intermédiaire bienvenue entre les fêtes de Tichri et celle de Hanoucca, le gratin de l’industrie alimentaire cachère se donne rendez-vous au Parc des expositions de Meadowlands dans le New Jersey aux Etats-Unis pour les deux jours épuisants, mais réjouissants, de la Kosherfest (Fête du cacher). Soit l’événement incontournable de ce secteur florissant de l’industrie alimentaire, qui attire plus de 6 000 professionnels du monde entier.
Restaurants, cantines, établissements de soins, propriétaires d’hôtels, agences de surveillance de cacherout, fabricants et distributeurs s’y retrouvent, tandis que des centaines de produits alimentaires font leur show. Du gefilte fish au Matzola, en passant par les pistaches, les grilles de barbecues et jusqu’aux tabliers, tout s’expose, s’essaye, se déguste, se goûte et… se commente. Les démonstrations culinaires régalent, les cartes de visite s’échangent, et les nouvelles idées font leur chemin. Impossible de confondre ce festival de la cacherout avec une foire commerciale ordinaire : quel autre salon d’exposition invite les visiteurs à la prudence dans leur consommation des produits offerts à la dégustation, attirant leur attention sur le fait que produits carnés et lactés se côtoient ? Quel autre événement s’adressant à nos papilles et à nos estomacs, rappelle les heures de la prière du matin et de l’après-midi, invitant les foodies à rejoindre les minyanim qui se succèdent presque sans interruption ?
Les grandes marques ont de l’audace
D’impressionnants étalages de produits de grandes marques côtoient des stands plus modestes où se pressent les nouveaux labels. Les petits derniers, qui font leur entrée sur le marché et essaient de se faire connaître, rivalisent ainsi d’inventivité aux côtés des noms connus qui cherchent à renouveler leurs produits phares. Streit’s et Manischewitz, par exemple, les géants en matière de produits à base de matsa, proposent les derniers nés des dérivés des boulettes de matsa tel le Matzola, un petit-déjeuner constitué de matsa et granola. Quant à la firme A & B Famous, elle n’est pas peu fière d’avoir fait évoluer le célèbre gefilte fish qui, à l’image des pâtes, se décline désormais en trois couleurs pour trois saveurs différentes : classique, saumon et épinards. Le kishke, lui, se parfume au saumon et à la truite.
Gabila’s Knishes, une entreprise qui se transmet de père en fils depuis quatre générations et a vendu plus d’un milliard de knishes en 90 ans, elle, enrichit ses knishes de pomme de terre en les déclinant à la patate douce et dans une grande variété de fromages. Les nouvelles marques qui investissent le marché, comme Paravella ou Nongshim, renouvellent quant à elles le genre du minestrone et des soupes instantanées classiques en proposant une saveur « poulet et champignons alfredo ». Le surimi se sublime et devient cake au poisson chez DumaSea. Chez Katz’s, les beignets et les bagels surfent sur l’air du temps et s’affichent sans gluten. Ce ne sont là que quelques exemples qui témoignent de l’augmentation annuelle du nombre de produits cachers qui font leur apparition dans les rayons. Cependant, les vraies surprises sont encore ailleurs…
Le monde entier s’invite dans nos assiettes
Place ainsi à une ambiance nettement plus exotique dans le pavillon 700, qui révèle un développement majeur et tout à fait inattendu sur la scène mondiale de la cacherout. Alors que s’y côtoient les stands du Japon, de la Corée, des Philippines, du Sri Lanka, de l’Inde et de la République tchèque, on ne peut s’empêcher de se demander ce qui attire les fabricants alimentaires de ces pays à la Kosherfest.
« La réalité est que l’alimentation cachère fait des émules ! », observe le Rav Moshe Elefant, coordinateur rabbinique exécutif et superviseur en chef de l’Orthodox Union (OU). Selon lui, les pays lointains ont senti le filon que représente ce secteur porteur. Pour preuve, indique-t-il, le fait que le label OU, qui comptabilise aujourd’hui 9 000 usines, certifie des produits dans plus de 90 pays. Joe Regenstein, professeur d’université en sciences de l’alimentation et directeur de Cornell Kosher et Halal Food Initiative, observe : « 40 % des articles sur le marché alimentaire américain sont certifiés cachers. Les producteurs internationaux qui souhaitent se développer savent qu’il est préférable pour leurs marchandises d’être estampillées.
La plupart des produits certifiés par OU importés de l’étranger ne sont pas des produits prêts à la consommation, tels que les consommateurs en trouveront dans les rayons des supermarchés ; il s’agit majoritairement d’ingrédients de base qui entrent dans la composition de ces aliments. « Il y a encore trente-cinq ans, tous les ingrédients étaient fabriqués aux Etats-Unis. Maintenant, la plupart viennent de l’étranger ; le caséinate de sodium et l’acide citrique proviennent de Chine par exemple ; on trouve même du lait de yak du Tibet ! », pointe le Rav Menahem Genack, administrateur et PDG de l’Orthodox Union. L’organisme a ainsi investi des millions de dollars pour introduire toute une gamme d’ingrédients de plus en plus diversifiés et sophistiqués dans l’alimentation cachère, afin de satisfaire aux modes et aux tendances en évolution permanente.
L’internationalisation du goût
Pour le Rav Genack, il est clair que le marché du cacher a été directement impacté par la mondialisation de l’économie. Selon lui, l’importation d’ingrédients bruts est une affaire juteuse non seulement pour les industriels, mais également pour le consommateur, puisque leur utilisation dans la production alimentaire traditionnelle a généralement contribué à faire baisser les prix des aliments manufacturés.
La tendance chez les acteurs de ce secteur à l’étranger est clairement à l’euphorie. Ils racontent d’ailleurs volontiers comment et pourquoi leurs entreprises se sont tournées vers le cacher. A chacun son histoire. Le vigneron Jean van Rooyen, originaire de Paarl en Afrique du Sud, est venu présenter sa gamme de vins certifiés OU sur le marché américain. Trevor Shevil, PDG de Sally Williams Fine Foods, a apporté ses nougats au miel et ses chocolats belges, avec l’objectif de développer sa présence sur le marché transatlantique. « Notre marque est cachère depuis son lancement il y a 20 ans et nous exportons déjà vers 22 pays. La moindre des choses, c’est de venir fêter cela à la Kosherfest. »
Rasmin Narin, vice-président d’une entreprise turque qui produit la tehina de marque Okka, se réjouit de sa découverte de ce nouveau monde : « Ce sont les besoins du marché qui m’ont amené ici ! » Pourtant, il y a dix ans, Narin n’avait encore jamais entendu parler de cacherout. « Ce sont des clients qui m’ont suggéré de me mettre au cacher. Ils avaient beaucoup aimé ma tehina et m’ont expliqué que malheureusement, ils ne pourraient pas la commercialiser si elle n’était pas estampillée cachère. » Le producteur turc est un bon exemple de la façon dont se diversifient la production et la distribution de tehina sur le marché mondial, un secteur habituellement réservé au Liban, à la Grèce et à Israël. « La tehina turque n’est pas très connue dans le commerce. Pour le consommateur, c’est aussi étrange que si on proposait des sushis de Turquie aux Japonais ! » Narin reste cependant optimiste et se dit confiant, soulignant que l’utilisation par l’entreprise familiale de graines de sésame de qualité supérieure en provenance d’Ethiopie, lui a déjà permis de conclure de juteux contrats.
Plusieurs entreprises du pays du soleil levant se sont installées dans les allées du pavillon 700, témoignant de leur désir d’introduire des aliments cachers sur le marché américain. Joseph Edery, le neveu du Rav Binyamin Edery, Grand Rabbin du Japon depuis 15 ans, apprécie particulièrement la rigueur des Japonais qui se retrouve notamment dans la qualité haut de gamme de leurs produits. Le Rav Yehuda Benchemhoun, qui expose également au rayon cacher du Japon, est à la fois sofer (scribe), chohet (en charge de l’abattage rituel), et botaniste. Il travaille actuellement sur le koji, un champignon filamenteux au goût parfumé, qui entre dans la composition du miso. Le Rav Benchemhoun, également professeur de français au Brooklyn College de New York, se rend ainsi au Japon deux ou trois fois par an. Tout en servant le saké ainsi qu’un plat de patates douces aux visiteurs de la Kosherfest, il prodigue de généreux conseils sur la façon de chauffer le verre entre ses deux mains, ou de laisser fondre la patate douce dans la bouche pour en tirer le plus de plaisir. « Les Japonais ont une relation très forte avec la nature : ils sont d’avis que comme celle-ci nous nourrit, nous devons la respecter. Un concept on ne peut plus juif, n’est-ce pas ? »
Hors du cacher point de profit
Le Rav Benchemhoun, qui aide les fabricants japonais à exporter leurs produits, confirme que sans certification cachère, il est difficile de pénétrer le marché américain. D’où l’intérêt de décrocher le fameux stampel (tampon de certification). Alexander Stevenson, directeur et ingénieur pour Lequios Japan, est un spécialiste des enzymes qui vit à Okinawa, au Japon. Vêtu d’une chemise japonaise traditionnelle, il anime le stand All Zen et propose de la soupe végétarienne et du thé vert matcha à la dégustation. « Avant, lorsque nous allions au Salon de la nouvelle cuisine, les acheteurs potentiels s’en allaient lorsque nous leur disions que nous n’étions pas cachers. » « Nous avons alors fait l’inventaire de nos produits et constaté que certains d’entre eux étaient seulement certifiés halal. C’est ainsi que nous nous sommes mis au cacher. » La société, qui a commencé par des soupes et des thés, a maintenant élargi sa gamme à la poudre de matcha et la poudre de ramen, des exhausteurs de saveur fabriqués sans glutamate monosodique.
Dans le stand voisin de la Corée, la société Dong Bang présente de nombreuses variétés d’huiles de sésame et de Perilla. Son directeur, Kang Mu Ku, explique : « C’est la première fois que nous venons à la Kosherfest. Nous sommes convaincus que la certification va nous ouvrir des opportunités nouvelles sur d’autres marchés. » Au stand coréen, on nous précise que le cacher a bonne réputation auprès des consommateurs : « Il est synonyme de rigueur, les gens sont convaincus que les produits cachers sont de meilleure qualité. »
La société Chongga propose de déguster du kimchi, un plat coréen composé de poivrons fermentés et de légumes. Bongja Ziporah Rothkopf, directrice générale de Koko Food Kosher, une autre marque coréenne, s’est convertie au judaïsme il y a 36 ans. Elle propose de goûter son nouveau produit, le Koko Gochhujang, une pâte de piments rouges fermentés. Elle possède son usine en Corée, mais partage son temps entre Lakewood, dans le New Jersey, et la Vieille Ville de Jérusalem. Non loin de là, la compagnie tchèque Betula Pendula présente avec enthousiasme son unique produit : le colostrum de chèvre (issu de la première secrétion lactée de l’animal), qui se présente sous forme de gélules et de crèmes. Un produit particulièrement efficace selon Andrea Jelinkova, conseiller au sein de la société. Ladislav Smejkal, directeur et copropriétaire de celle-ci, précise que l’idée de faire certifier leurs produits est venue des clients. « Nous essayons maintenant de pénétrer le marché israélien », indique-t-il. Fromin, une autre société tchèque certifiée cachère, présente un produit plus conventionnel, de l’eau présentée dans de magnifiques bouteilles en verre de diverses formes et tailles. Todd Bentley, directeur commercial, affirme la fierté de l’entreprise d’entrer sur le marché des produits cachers et espère bientôt négocier des contrats en Israël.
Le Rav Aaron Gunsberger supervise 65 usines en République tchèque. Il répond aux questions des visiteurs curieux et distribue un « Catalogue du stand tchèque à la Kosherfest 2016 », qui contient des reportages, des photos couleur et les coordonnées des sept entreprises présentes à la foire. « Nos produits à base de lait de chèvre sont vraiment uniques », rapporte Gunsberger, « et en plus, ils sont halav Israël. »
Un large consensus
Thushara Rajapakasha, directeur de l’entreprise SRS Fruit N Spices qui exporte de la noix de coco séchée et des épices, est venu de très loin, de Negombo au Sri Lanka. « J’ai entendu parler de la cacherout pour la première fois en 2000. Ce sont nos clients et nos distributeurs qui nous ont conseillé de nous y mettre. » Ses produits sont maintenant estampillés sous le label Star-K, l’agence de supervision de cacherout basée à Baltimore.
Tonette Salazar, directrice de l’entreprise PS Kosher Philippines, expose des raisons similaires pour expliquer le fait que les entreprises de son pays recherchent une surveillance cachère. « Etre en mesure d’atteindre tous les marchés potentiels est une clé majeure du succès », dit-elle. Elle travaille avec le Rav Joel Weinberger de Star-K depuis plus de 15 ans. « Je recherchais quelqu’un pour aider les entreprises philippines à pénétrer ce marché, une personne connue et respectée dans ce domaine. » Elle nous montre fièrement une brochure reliée de 18 pages intitulée Kosher in the Philippines, qui répertorie des produits certifiés ainsi que d’autres activités destinées aux touristes juifs.
Menachem Lubinsky, fondateur et coproducteur de la Kosherfest, sait exactement pourquoi tant de sociétés du monde entier sont présentes à l’événement. « Si vous produisez un ingrédient et que vous souhaitez le vendre sur le marché américain, il doit être cacher, sinon des sociétés comme Danone ou Coca-Cola ne vous l’achèteront pas. Quand on sait que la certification cacher rapporte environ 30 milliards de dollars entre les Etats-Unis et Israël seulement, il n’est pas étonnant que tous les acteurs de l’industrie alimentaire mondiale souhaitent pénétrer ce marché. »
En 2016 plus d’une douzaine de pays, de l’Argentine au Sri Lanka, ont découvert la Kosherfest. Peut-être que l’an prochain, d’autres pays, y compris des représentants du monde arabe, y assisteront. Une idée folle ? Pas vraiment. « Cette année, nous avons attribué une certification cachère à une entreprise située en Arabie saoudite », pointe le Rav Elefant. « Cette société qui fabrique des ingrédients de base a réalisé qu’il lui était impossible de réussir sans la supervision OU. Elle nous a donc approchés et un rabbin de notre bureau s’est rendu dans les locaux de l’entreprise. Cette histoire démontre on ne peut mieux combien le marché du cacher est florissant ! »
 
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