Le défi de l'intégration

Le regard de la société israélienne sur les nouveaux immigrants s’est modifié. Il aura permis d’organiser le Forum des associations francophones en Israël. Etat des lieux

Les Juifs de France face à  l'aliyah (photo credit: EREZ LICHTFELD)
Les Juifs de France face à l'aliyah
(photo credit: EREZ LICHTFELD)
Sous l’égide des élus, le parrainage de la France, et à l’initiative de Paris, dix mois de travaux en commun ont porté sur l’emploi, la reconnaissance des diplômes, les questions de nature sociale, la culture et l’enseignement du français. « La France n’oublie jamais ses compatriotes, même s’ils ont décidé de vivre leur vie hors du territoire national », a rappelé Daphna Poznanski-Benhamou, conseillère élue à l’Assemblée des Français à l’étranger (Israël et Territoires palestiniens) et membre de la commission des lois. « De 1996 à 2015, l’Hexagone aura investi 600 000 euros pour aider les Français d’Israël à s’insérer dans le marché israélien de l’emploi. »
La densité du tissu associatif
On recense plus d’une centaine d’associations francophones représentant les Franco-Israéliens en Israël que l’on peut regrouper en trois pôles : les associations à vocation sociale et humanitaire, qui viennent en aide aux personnes défavorisées, celles visant à promouvoir l’insertion professionnelle face aux administrations ou au marché du travail, celles dédiées aux activités communautaires et culturelles. Après une identification des problèmes par le dialogue et une mise en commun des expertises, cette mise en lien des associations aura eu le mérite de proposer des moyens concrets d’améliorer l’intégration et de favoriser l’épanouissement des francophones dans la société israélienne, sur tous les fronts.
Focus sur l’emploi, garant de l’intégration économique
Un guide pratique pour l’emploi en langue française, à destination des Français d’Israël et des nouveaux immigrants, verra prochainement le jour, qui rendra compte de la réalité du marché de l’emploi, des différences de salaire entre la France et Israël, ainsi que des différences de mentalités dans les relations patrons-employés. Il devrait inclure un modèle de CV adapté au marché israélien, une préparation à l’entretien d’embauche et une liste des associations francophones actives dans le domaine de l’emploi, sans oublier une mise en garde contre les centres d’appels téléphoniques non respectueux des principes déontologiques et de la législation israélienne du travail.
A l’ordre du jour également, des solutions concrètes pour résoudre la problématique du premier emploi, par la modification du cadre légal en vigueur, afin d’offrir aux adultes des stages en entreprise et de permettre aux employés de combiner activité professionnelle et apprentissage de l’hébreu en oulpan, avec un système d’alternance. Pour favoriser l’embauche des nouveaux immigrants : des incitations financières destinées aux entrepreneurs, sans oublier les reconversions subventionnées par le Maof (organisme d’accompagnement des petites entreprises) pour les immigrants non qualifiés, et une meilleure communication entre le ministère de l’Intégration et les acteurs francophones, afin de transmettre de manière plus efficace les informations au public concerné.
Enfin, pour favoriser la création d’entreprises par les nouveaux immigrants, il s’agit d’inciter les autorités israéliennes à prendre des mesures comme la remise en pratique de la gratuité d’un certain nombre d’heures de conseils par des conseillers du Mati (centre de développement des petites entreprises) aux futurs entrepreneurs, et une meilleure information sur l’accès aux fonds publics déjà existants en Galilée et dans le Néguev.
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L’épineux problème de la reconnaissance des diplômes
« Ça coince », a lancé Robert Feldman, las de la langue de bois. « Il faut cesser les effets d’annonce prometteurs qui nourrissent de faux espoirs », a renchéri Alain Zeitoun, pointant ce couple de dentiste toulousain qui a fait son aliya après la tuerie de Merah, fondant leurs espoirs sur de fausses rumeurs laissant accroire que « ça y est, pour les dentistes, plus de problèmes », et qui se retrouve aujourd’hui sans emploi.
En cause, les lenteurs administratives d’une part, « il nous aura fallu deux ans pour changer deux phrases d’un texte », a indiqué Alain Zeitoun. Et les groupes corporatistes de l’autre : les ordres des médecins, des dentistes, des avocats, sont contre cette venue. Ils sont anti-immigrationnistes par nature, comme partout dans le monde, car cela leur fait de la concurrence, et chacun défend son intérêt personnel avant l’intérêt collectif.
Sortir des incantations
Comme l’a souligné Elie Elalouf, député à la Knesset, président du groupe d’amitié parlementaire France-Israël, l’aliya n’est pas anecdotique. Il s’agira d’optimiser ces travaux et d’harmoniser les intérêts non convergents, sans omettre de gérer les interactions entre les deux pays. « On est sorti des incantations pour entrer directement dans les propositions », s’est félicité l’ambassadeur de France en Israël Patrick Maisonnave, qui a rappelé les enjeux à venir : l’organisation avec le parlement, le gouvernement, les administrations et la mobilisation financière. « Il faut préserver les initiatives qui portent leurs fruits », a rappelé Avi Zana, président de l’association AMI, qui a souligné la précarité de la trésorerie de plusieurs associations, malgré leur efficacité sur le terrain.
Il faut saluer la volonté indéfectible et l’énergie de ces acteurs du changement, pour faire aboutir vaille que vaille leur cahier des charges. Aux olim francophones d’y contribuer et de s’investir pour en cueillir les fruits. « Ici, nous sommes des pionniers, et nous devons chaque jour penser, agir et oser en pionniers dans l’intérêt de tous les Français et francophones d’Israël, afin d’apporter notre pierre à la construction de ce beau pays », a conclu Daphna Poznanski-Benhamou. 

Le réveil du communautarisme

Les Français doivent cesser d’être des chkoufim, martèle Dov Maïmon. Ce chercheur en chef au JPPI Jewish People Policy Institute, un think-tank (groupe de réflexion) de chercheurs en prospective sur le monde juif à l’Université hébraïque de Jérusalem, et auteur du plan gouvernemental « La France d’abord », pour faciliter l’intégration des nouveaux olim de France en Israël, s’est exprimé sans langue de bois pour le Jerusalem Post.
Aujourd’hui vous proposez un nouveau plan appelé Qualita. Mais depuis quatre ans, il y en a eu des plans. Tout le monde s’accorde à dire que les olim français sont une opportunité historique, une chance pour Israël et pourtant rien ne se passe. Pourquoi ?
Il est temps d’admettre que le modèle politique israélien est complètement différent du français. Ici, le modèle est sectorialiste, communautariste, tribal. Par exemple, quand il s’agit d’allouer des fonds dans le social, on retrouve, autour de la table, les gens des implantations qui demandent de l’argent pour leur village, les ultraorthodoxes pour leurs yeshivot, etc. Mais comme on n’est pas présent, on n’existe pas. Il faut que les Français arrêtent d’être des chkoufim (invisibles). Il leur faut une présence politique.
Pourquoi les Français craignent-ils cette visibilité ?
Cela nous pose un problème de conscience. C’est dans l’ADN français : il ne faut pas être communautariste. On veut être israélien, et non défendre des intérêts partisans. Or les Russes, qui ont suivi cette stratégie sectorialiste, ont obtenu des plans de 4 milliards de shekels en 1995, et ont réussi une ascension sociale qui leur permet d’être aujourd’hui totalement intégrés dans la classe moyenne israélienne. Sans plus voter pour les partis russophones, ils ont neuf ministres au gouvernement. En ne voulant pas être sectorialistes, les Français se trouvent exclus du monde politique économique et culturel.
Donc la solution, c’est le communautarisme ?
Il faut changer notre logiciel, changer notre ADN parce qu’on est face à un paradoxe : pour ne pas devenir communautariste, il faut être communautariste. Pas facile à expliquer. Les Russes ont eu le nombre, l’organisation politique, une avant-garde révolutionnaire et une tête de proue comme Sharansky. Les Américains ont deux lobbyistes à plein-temps, qui ont réussi à toucher 195 millions de shekels pour l’encouragement à l’aliya, alors que les Français ont touché dans le même temps 170 000 shekels. Notre modèle ne marche pas, il faut le remettre à zéro.
Les Français sont-ils prêts à opérer ce changement ?
Leur conscience politique commence à émerger. Ils ont compris qu’il fallait s’unir. Chaque ministre qu’on rencontre nous dit : avec vous, il y a 50 organisations, on ne sait pas à qui parler. D’où le projet Qualita dont l’ambition est de rassembler la société civile franco-israélienne pour définir ensemble un plan commun, coordonné, stratégique, et le faire valoir au gouvernement. Qualita travaille avec les élites intellectuelles, politiques, économiques et industrielles d’Israël. Ensemble, nous allons former un quartet qui présentera au Premier ministre un plan d’un montant de 300 millions de shekels.
Et toujours sans représentation politique ?
Il faut avoir une présence sociale coordonnée. On est trop dans une stratégie de village gaulois, tout le monde est contre tout le monde. Il va falloir penser autrement. Aller contre les failles du marché, contre les intérêts individuels ; et ça, le marché israélien ne le comprend que si on parle le langage du politique. Soit on est politique, soit on n’existe pas.
Sinon, quid de l’opportunité historique ?
D’un côté, on a un marché israélien en demande de gens compétents : selon le rapport de l’OCDE de septembre dernier, il y a une demande de 100 000 ingénieurs, 15 000 médecins, 9 000 infirmières. De l’autre, on a des Français qui veulent faire leur aliya, mais seulement s’ils ont un contrat de travail en main. Si ce n’est pas eux, Israël ira chercher des Indiens ou des Chinois. Il est donc temps de s’organiser. Personne ne viendra nous aider. Les Israéliens ne nous attendront pas.
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