Retour à l’envoyeur

Les pourparlers entre Israël et l’Autorité palestinienne semblent plus que jamais au point mort

Salam Fayyad (photo credit: Marc Israel Sellem)
Salam Fayyad
(photo credit: Marc Israel Sellem)
Des semaines que l’on spéculait sur cette lettre. Celle que le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, devait remettre personnellement à Binyamin Netanyahou de la part de Mahmoud Abbas, mardi 16 avril. Et qui attendait une réponse dans les jours suivants de la part du chef du gouvernement israélien. Certes, on est loin des courriers échangés par Rabin et Arafat en 1993 et qui ont conduit aux Accords d’Oslo. Mais il s’agissait quand même d’un pas dans la bonne direction après plus de trois ans de négociations au point mort. Trois ans que l’Autorité palestinienne (AP) refuse de retourner aux pourparlers tant que Jérusalem n’accepte ses conditions préalables et trois ans que Netanyahou s’y refuse.
Bien entendu, un échange de lettres n’est pas non plus de nature à susciter l’émoi au sein de la communauté internationale, occupée ces jours-ci avec la Syrie et l’Iran, et souffrant très probablement d’une lassitude moyenne-orientale.
Alors, les esprits se sont tournés vers la rencontre entre Netanyahou et Fayyad. Aussi étrange que cela puisse paraître, les deux hommes ne s’étaient jamais entretenus. Il s’agissait donc de leur premier tête-à-tête, et aussi de la première rencontre au sommet entre Palestiniens et Israéliens depuis les brefs pourparlers de septembre 2010.
Mais le soufflet est vite retombé. Fayyad s’est désisté. A la place, la lettre - dont le contenu est connu depuis des semaines - a été remise par l’éternel Saeb Erekat. Alors que les gouvernements israéliens se font et se défont, qu’Arafat a fini par décéder et être remplacé par Abbas, Erekat, lui est toujours là, dans le rôle du “négociateur” depuis 20 ans.
Résultat des événements : l’histoire de la rencontre est devenue celle de l’absence de Fayyad. Raison évoquée par l’Autorité palestinienne : Fayyad ne voulait pas rencontrer son homologue israélien lors de la “Journée des Prisonniers” palestiniens. Cela peut se comprendre : une photo avec Netanyahou un jour où l’AP a décidé de montrer sa solidarité avec ses prisonniers dans les prisons israéliennes n’est pas une recette de succès pour séduire la rue palestinienne. Mais Fayyad ne pouvait-il s’en apercevoir avant ? N’a-t-il donc pas de calendrier à sa disposition ?
La troublance idéologie moyen-orientale
En fait, l’absence de Fayyad a bien plus à voir avec l’état général du processus de paix. Dans le monde arabe d’aujourd’hui, une entrevue avec le gouvernement israélien, quel qu’il soit, n’est pas de nature à vous faire gagner en popularité. Car se rencontrer et négocier signifie céder...
au moins sur quelque chose. Ce qui ne passe pas bien dans l’opinion publique. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir comment l’AP et Abbas ont été décriés, suite à la révélation des Papiers palestiniens en janvier 2011, pour avoir négocié avec Israël sur Gilo et Ramot (!) et indiqué implicitement que tous les réfugiés palestiniens ne retourneront pas “chez eux”. Conséquence de ces fuites : Erekat avait dû démissionner de sa position de négociateur en chef de l’OLP. Juste avant d’être nommé négociateur palestinien, tout simplement, peu après. A noter que les Papiers palestiniens, tendancieusement révélés au public par Al Jazeera et le journal anglais The Guardian, ont été dévoilés avant qu’Hosni Moubarak ne soit renversé d’Egypte, et qu’il pouvait encore légitimer les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens. Mais même alors, le leadership palestinien a été pointé du doigt pour avoir mené des négociations avec la ministre des Affaires étrangères d’alors, Tzipi Livni. On ne peut qu’imaginer la situation aujourd’hui, l’Egypte ne poussant plus à la négociation et Livni la modérée ayant été remplacée par Netanyahou le dur...
Fayyad n’a pas voulu remplir l’ingrate mission d’Abbas. Car c’est bien ainsi qu’est considérée actuellement une rencontre avec Netanyahou. Ce qui explique pourquoi le chef de l’AP n’a pas voulu remettre sa lettre lui-même. Et révèle la troublante idéologie régnant dans la région : rejeter la réconciliation avec Israël et plébisciter la confrontation.
Une mentalité qui ne date pas d’hier. Prenons pour exemple Anouar el-Sadate, le président égyptien assassiné.
Pour avoir signé un traité de paix avec Israël, Sadate a pu récupérer toute la péninsule du Sinaï, décrocher un prix Nobel de la paix et assurer une aide américaine plus que nécessaire de plusieurs milliards de dollars à son pays. Et comment a-t-il été remercié par son peuple ? Par une pluie de balles fondamentalistes tirées par ceux-là mêmes qui cherchent aujourd’hui à prendre le pouvoir en Egypte.
Voilà le sort réservé aux faiseurs de paix. Quid alors des fauteurs de trouble ? Le président syrien Hafez Assad, père de Bashar, n’a jamais rien donné à Israël. Ni reconnaissance, ni poignée de main, uniquement des ennuis. En retour, il n’a rien reçu non plus, ni les collines du Golan, ni l’approbation de la communauté internationale. Mais sa résistance à Israël lui a acquis une telle reconnaissance dans le monde arabe que son fils peut aujourd’hui massacrer son propre peuple dans l’inertie arabe générale.
Ou est donc passée l’indignation du Hamas ? Du Hezbollah ? De l’Autorité palestinienne ? Décidément, au Proche-Orient celui qui résiste à Israël est adulé tandis que celui qui coopère avec l’Etat juif est montré du doigt.
Abbas entre en résistance
Ce qui, évidemment, place Abbas dans une situation difficile. Il sait que faire des concessions à Israël ne lui sera pas favorable dans le nouveau contexte du Proche- Orient. Comment donc procéder ? Le dirigeant semble avoir abandonné, et c’est tout à son honneur, la stratégie terroriste, convaincu que cela dessert son peuple et les buts qu’il s’est fixés. A la place, il s’est lancé dans un bras de fer diplomatique. Au programme : ni compromis, ni conciliation, mais coercition. Pour qu’en fin de compte, le monde fasse pression sur Israël, conformément aux souhaits de l’AP. La décision d’Abbas de ne pas rencontrer Netanyahou et d’envoyer une lettre à la place est donc bien un acte de résistance, de défiance. Une attitude encore renforcée par le désistement de dernière minute de Fayyad.
Et pendant ce temps-là, rien ne bouge. De petits gestes tels qu’envoyer une lettre signifient à la communauté internationale que les partis restent toujours engagés dans la négociation, mais en définitive rien ne change. Les événements de la semaine passée laissent en réalité penser que les Palestiniens attendent un changement de gouvernement en Israël, ainsi que les élections américaines.
Concernant le gouvernement israélien, c’est exactement ce que Moussa Keilani, ancien ambassadeur jordanien et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Al Urdun a conseillé à l’AP de faire dans une récente tribune. “Il n’y a aucun espoir pour des négociations fructueuses tant que l’actuelle coalition reste au pouvoir en Israël”, a ainsi écrit Keilani. “Il serait donc plus sage d’attendre les prochaines élections générales et de voir si un changement de coalition rend possibles de sérieuses négociations”.
A Jérusalem, on déclare cependant que les Palestiniens attendent surtout les prochaines élections américaines en novembre, croyant qu’un second mandat d’Obama jouera en leur faveur. Le président américain, fort d’un nouveau plébiscite électoral, serait alors supposément plus libre de se montrer dur envers Israël.
Mais deux problèmes se posent. Tout d’abord, Obama pourrait ne pas gagner. Ensuite, même vainqueur, il pourrait ne pas se ranger du côté de Palestiniens et peut-être encore moins réussir à faire pression sur les Israéliens.
Selon la rumeur, Arafat aurait rejeté l’offre généreuse du président Bill Clinton, juste avant que ce dernier ne quitte ses fonctions en 2001, pensant que les Palestiniens obtiendraient un meilleur marché de la part de George W. Bush fils.
Mais Arafat avait tort. De quoi donner matière à réflexion aux Palestiniens alors qu’ils adoptent aujourd’hui cette stratégie de l’attentisme. Au vu de leurs dernières actions, c’est pourtant celle-là qu’ils semblent vouloir privilégier.