A la recherche de l’Art perdu

A ceux qui se demandent si l’art juif existe, le Voyage de Betsalel s’insurge.

29 521 (photo credit: David Soulam)
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(photo credit: David Soulam)

D’aucuns diront que le peuple juif en diaspora n’a pas su créer unart qui lui est propre. L’art juif aurait été modelé par lespays d’accueil des communautés. Parce que cette question taraude toujours lesconsciences de nos coreligionnaires, cette petite association « ADCJ », mieuxconnue sous le nom du « Voyage de Betsalel » est née, et s’est donné la tâchede transmettre l’histoire de l’art juif. Ainsi, c’est au fil d’un « voyage » ou« parcours initiatique » au fil des âges et des communautés à travers le mondeque l’on découvre que ce débat n’a pas lieu d’être.
Qu’est-ce que ce voyage ? Un voyage à travers les arts pour apprendre àreconnaître des oeuvres provenant de diverses communautés, comprendre leurusage ainsi que leurs significations. Le Voyage de Betsalel est né en 2009,co-dirigé par deux chercheuses en art juif, Florence Soulam et Michèle Fingher.Il a pris ce nom en référence au premier artiste choisi par Dieu pourconstruire le tabernacle du désert, Betsalel, qui voguait de communauté encommunauté à la recherche de l’art juif. Le projet compte désormais de nombreuxélectrons libres qui oeuvrent à sa réussite. Tout commence par un siteInternet. Il met en lumière les oeuvres d’art restituées dans leur contexte etmet à disposition des fiches pédagogiques pour aider les professeurs des écolesjuives à enseigner l’art juif à partir des objets qui ont jalonné l’histoirejuive. Les enfants pourront notamment s’y amuser en répondant à des quizz,ainsi qu’en lisant la bande-dessinée sur un aventurier dans la synagogue deDoura Europos ou en participant à un concours de dessin sur un thème biblique. Suiteau site Internet, de nombreux projets ont vu le jour. Parmi eux : le premiertome d’une série d’ouvrages qui portent le nom de l’Art en Fête. Les fêtes deTishri sont expliquées aux lecteurs de 9 à 99 ans, non pas par le biaisbiblique, mais en partant d’une oeuvre. Les trois tomes couvrant l’ensemble duquotidien juif sont en préparation. En découvrant cette richesse artistique, lelecteur ne peut plus nier qu’il y a un art juif. Pour les plus petits, leVoyage de Betsalel a consacré A la recherche de la Menora, un ouvrageludo-pédagogique pour les 7 à 9 ans, qui initie les plus jeunes à l’art juif. Rédigéselon le programme de l’histoire de l’art de l’éducation nationale.
C’est la première fois que l’art juif est raconté de cette manière.
Cherchez bien dans les librairies juives des ouvrages qui reviennent à lasource des oeuvres d’art en mettant en lumière la tradition, vous n’entrouverez pas. « On espère trouver des fonds pour traduire l’ouvrage enanglais, en hébreu, et pourquoi pas en coréen », nous confie Michèle Fingher. L’artjuif comprend deux facettes : l’art cultuel et l’art profane, qui s’estdéveloppé à partir du XVIIIe siècle. Le Voyage voit dans l’art profane juif lesmanifestations de la judaïté. Chagall est un peintre juif parce qu’on cerne,ici et là, la manifestation de son âme juive. Tout nous raconte la pérennitédes communautés qui, depuis 2 000 ans, de générations en générations, fontl’effort de perpétuer les traditions. Le seul support pour le constater :l’art, témoin de la tradition.
Deux histoires, un projet 
« Florence, née au Maroc, avait conscience de sajudaïté, moi, je ne savais pas que j’étais juive, j’étais d’origine polonaisevivant à Paris. Le mot ‘juif’ n’existait pas chez nous.
Il y avait un non-dit sans bornes. Un silence explicite. Un jour, une copine àla récréation m’a traitée de sale juive. Quand j’ai demandé à mes parents, ilsm’ont répondu, le visage blême, que j’étais bien juive. Malgré le silenceconstant sur le sujet, je suis partie en quête de mon identité ‘qu’est-ce quec’est que d’être juif’, je suis tombée sur l’art d’abord, ensuite vers lareligion. Remplir ce vide, ça a été pour moi une recherche de la tradition, àtravers son esthétique, son art, qui me bluffait. Beaucoup d’Ashkénazes n’ontpas su remplir le judaïsme autrement que par la Shoah. Le judaïsme, ce n’estpas seulement la pauvreté du shtetl, c’est aussi le plat du Seder, les filmscomiques en yiddish, les hanoukiot, les synagogues. C’est un moyen, en dehorsde la tradition, de connaître le judaïsme », nous raconte Michèle.
Sortir de l’histoire larmoyante, par le triomphe de l’art, tel est le credo. PourFlorence, c’est une autre histoire : « Moi ma mère était peintre, j’ai étudiél’histoire de l’art alors que l’art juif n’était enseigné nulle part. Je l’aidécouvert en faisant ma première recherche au Louvre. Ma théorie : quand unpeuple a un art, c’est qu’il a une terre. Et pourquoi les non-Juifs nousappellent le Peuple du livre ? Ce n’est pas fondamentalement un compliment, çaimplique l’absence d’existence matérielle. Nous n’avions pas de terre à nous,mais l’objet a des racines juives. Une Bible en Allemagne est faite par unscribe enlumineur allemand mais ornée de décors juifs : une Menora, une MagenDavid. Moi j’ai eu tout ça à 30 ans. Un enfant qui va à l’école connaît MichelAnge pour la création du monde. Et ne saura rien sur Doura Europos. Commentillustrer la Bible et les fêtes juives sans l’art ? » Le pari de cetteassociation : raconter toute l’histoire juive au miroir de son art, del’Antiquité à nos jours, de l’Europe à Israël en passant par le Yémen, l’Inde,l’Afrique, Amsterdam, Venise, Tolède…