Le judaïsme de France aura son écrin à Jérusalem

Animé par une volonté de protection et conservation, Mordehay Benayoun est bien décidé à aider le judaïsme français à s’exposer en Israël.

Musee (photo credit: MORDEHAY BENAYOUN)
Musee
(photo credit: MORDEHAY BENAYOUN)

 

Un an à parcourir la France, ses communautés florissantes et ses communautés dépeuplées, à la recherche des rouleaux de Torah pessoulim (invalides), dans le but de les sauver de l’abandon, et parfois même de les restaurer et de leur donner une seconde existence cultuelle dans des synagogues israéliennes. Un an durant lequel Mordehay Benayoun, franco-israélien d’origine marocaine, a pu mesurer l’ampleur de la déshérence d’une partie du patrimoine religieux et culturel du judaïsme français. Il raconte, ému, avoir vu des trésors d’art juif soumis à des échanges mercantiles au profit de collectionneurs privés, souvent étrangers. « Mais ces trésors appartiennent symboliquement à chaque Juif et Juive de France, ils ne sont pas à vendre et ne devraient pas être vendus et dilapidés sous le manteau », s’insurge-t-il.

Mieux représenter un patrimoine millénaire

Fort de ce constat, auquel s’ajoute celui du nombre croissant de Juifs français ou francophones en Israël ainsi que la sous-représentation de leur culture spécifique dans les musées israéliens, Mordehay Benayoun décide de porter un projet auprès de l’association Hekhal Shlomo. Objectif : créer un département dédié au judaïsme de France et d’Afrique du Nord dans le très prestigieux musée Wolfson, situé sur l’artère centrale de Jérusalem, la rue King Georges. L’Institut Hekhal Shlomo est une association qui gère entre autres, le musée d’art juif Wolfson, l’association gouvernementale Menora, chargée du rapatriement du patrimoine juif de diaspora vers Israël, et la grande synagogue de Jérusalem.

L’initiative comblerait ainsi une absence qui n’a pas lieu d’être dans un musée parmi les plus importants en termes de judaïca, et censé couvrir toute la palette du judaïsme mondial. Car le judaïsme français, c’est en effet celui de Rachi et des Tossafistes, celui des philosophes provençaux du Moyen Age tels les Tibbonides, celui du Consistoire et des Grands Rabbins français du XIXe siècle tels David Sintzheim, premier Grand Rabbin de France en 1808 ou encore Zadoc Kahn, celui des Juifs portugais du Sud-Ouest (à l’origine de la synagogue de la rue Buffault). Certaines traditions et objets religieux lui sont spécifiques, à l’image de la Mappah, lange de circoncision brodé et décoré, que le judaïsme alsacien a la coutume d’offrir à la synagogue pour enrouler le Sefer Torah.
« Toutes ces spécificités, cette histoire multiple, complexe, ces objets de culte, ces synagogues doivent être présentés en Israël », dit-il. « Ainsi, les enfants israéliens nés de parents ou grands-parents français, auront un endroit à Jérusalem qui créera du lien avec leur passé diasporique. Ils pourront voir, apprendre et comprendre la richesse du judaïsme de France et d’Afrique du Nord que les générations précédentes ont contribué à construire et pérenniser », espère-t-il.

Préserver et sauver

Concernant l’Afrique du Nord, il y a dans la démarche de Mordehay Benayoun une dimension d’opération de sauvetage qui n’est pas présente pour la partie strictement française du projet. En effet, le patrimoine juif français est fort de nombreux musées en France, alors que celui d’Afrique du Nord risque d’être tout simplement détruit, au vu des évolutions géopolitiques de la région et du départ des Juifs de cette région. Il resterait environ 5 000 Juifs dans tout le Maghreb, concentrés dans certains endroits où ils peuvent encore vivre plus ou moins tranquilles. De même, certaines synagogues, dont celle de Moknine en Tunisie, fleuron d’architecture hispano-mauresque du XVe siècle, sont en ruine, à l’abandon, régulièrement pillées.

Pour Mordehay Benayoun, il est hors de question qu’arrive avec le patrimoine juif d’Afrique du Nord ce qui est arrivé avec celui d’Irak, de Libye, ou d’Afghanistan, où des milliers de manuscrits ont été détruits ou spoliés, des synagogues détruites et perdues à tout jamais pour l’humanité. L’armée américaine a, par exemple, récupéré 400 rouleaux de Torah pendant la guerre d’Irak et des pourparlers sont en cours entre l’Irak et les Américains pour rapatrier ces Sifré Torah en Irak. « C’est un véritable scandale ! Ces trésors reviennent de droit aux Juifs irakiens, qui sont aujourd’hui en majorité en Israël », argumente-t-il.
Le projet est ambitieux : certaines des plus belles synagogues de France et d’Afrique du Nord seront reconstruites à l’identique en Israël. Il se heurte également à certaines difficultés d’ordre diplomatique : certains pays d’Afrique du Nord semblent en effet plus désireux de préserver les trésors juifs sur leur sol, que de préserver leurs citoyens juifs.
Il faut toute la patience et les négociations des membres de l’association Menora pour venir à bout de ces réticences et prouver la légitimité d’Israël à réunir et préserver le patrimoine juif de diaspora.

Une concrétisation imminente

Si l’intégralité de la collection n’est pas encore constituée pour les raisons invoquées précédemment, une grande soirée inaugurale aura lieu le 11 août prochain à Jérusalem, en présence d’intellectuels juifs français et de nombreuses figures rabbiniques de premier rang. Il s’agira d’exposer au public les premiers trésors recueillis, de réfléchir à la situation des Juifs français en Israël, tout en invitant les responsables communautaires et les familles de collectionneurs à confier les objets en leur possession au musée Wolfson. Tous les objets témoins de la vitalité du judaïsme français – chaises de circoncision, rimonim (décorations de rouleaux de Torah, souvent richement sculptés) ou encore livres ayant appartenu à des rabbins célèbres – sont intéressants, à la fois pour les esthètes et les chercheurs, les touristes, et tout simplement pour chaque Juif.

Et Mordehay Benayoun, le porteur du projet, de conclure : « Ce projet participera, je l’espère, à la création d’une unité des Juifs français en Israël, à l’image de ce qui existe au sein de la communauté russe ou américaine. Cette unité n’existe malheureusement pas encore. Je crois que la culture et l’histoire sont un bon moyen de fédérer. »