Le retour du chant sacré

Un nouveau musée à Jérusalem explore les liens immémoriaux des juifs avec la musique

Une des salles d'exposition du musée de la Musique hébraïque (photo credit: HEBREW MUSIC MUSEUM)
Une des salles d'exposition du musée de la Musique hébraïque
(photo credit: HEBREW MUSIC MUSEUM)
La plupart d’entre nous ignorent ce que sont le kinkin, l’adonedo, l’azouz ou le charongo. Tout comme le baglama, le saq turc, le guitacello et la tampoura. Plantes rares, produits exotiques ? Non, ce sont tous des instruments de musique – en grande partie étranges et insolites – réunis au musée de la Musique hébraïque, en plein centre de Jérusalem. Ceux-ci ne représentent qu’une partie de la collection de 260 instruments conservés dans ce bâtiment de la rue Yoel Salomon, magnifiquement rénové et qui fait la part belle à la technologie.
Le fondateur et le cerveau de cette entreprise est Eldad Levy, un musicien et un baal techouva de la communauté hassidique Breslev. « Il y a près de 12 ans, j’ai eu une idée motivée par une véritable envie. Rabbi Nahman de Breslev lui-même affirme ainsi que si quelqu’un est animé d’une passion, il peut la concrétiser car l’énergie passe par le désir. On ne saurait réaliser quoi que ce soit sans volonté préalable. « J’avais envie d’accomplir quelque chose de positif pour le peuple d’Israël. Comme je suis Levi (descendant de l’ancienne tribu des Lévites) et que je joue du santour persan et du kamânche, j’ai compris que la façon dont je pouvais avoir une influence passait par la musique. Cet art a cela de particulier qu’il ne prend pas de place et qu’il peut remplir le monde entier ! »
Par bonheur, son désir va rencontrer un écho favorable chez un autre Lévite, le français Laurent Lévy, patron des magasins Optical Center, qui avait déjà provoqué une mini-révolution à Jérusalem en rachetant un célèbre restaurant pour en faire une enseigne cachère, ou en distribuant des lunettes aux personnes démunies.
Shofar, cithare et charango
« Alors que je jouais chez lui, je lui ai fait part de mon idée d’un musée de la musique juive. Il s’est montré très enthousiaste et m’a demandé de rédiger une proposition détaillée, avec une liste de tout ce qui serait nécessaire pour la réalisation du projet. Il a ensuite financé l’achat du site, un espace situé entre la synagogue italienne et la rue Yoel Salomon, en plein cœur de Jérusalem. »
L’état délabré des immeubles n’effraie pas Laurent Levy, qui en saisit immédiatement l’énorme potentiel. Aujourd’hui, en plus du musée, situé à l’étage au-dessus de l’entrée principale, la place de la Musique (Kikar Hamusica) comprend une synagogue, cinq restaurants, une galerie d’art en rapport avec la musique et une boutique de disques et articles connexes. L’ensemble du complexe a été restauré pour 120 millions de dollars.
Le musée lui-même est un modèle de technologie moderne. Dès l’entrée, chaque visiteur se voit remettre une tablette avec un casque. Devant chaque pièce exposée, il clique pour entendre jouer de l’instrument en question. La visite du musée prend ainsi vie. Des films sont également projetés qui montrent divers groupes culturels interpréter leur propre musique.
L’une des salles figure un salon marocain magnifiquement aménagé, doté d’un plafond superbement travaillé, sculpté à la main. D’autres salles présentent des jeux interactifs basés sur des motifs kabbalistiques qui s’adressent au jeune public, mais les adultes pourront également s’en donner à cœur joie.
Les instruments, que Laurent Levy a mis quatre ans à réunir ou à faire fabriquer, comprennent les plus familiers, comme le shofar, la mandoline, le bouzouki, le kanon, le sitar, le dulcimer et l’oud. D’autres sont complètement inconnus du visiteur lambda, tel le charongo, un instrument à cordes fabriqué avec une carapace de tatou pour caisse de résonance, ou bien le surmandel, la fifa, le karot et le dunra, ainsi qu’une collection de tambours africains et de flûtes, rivalisant d’exotisme. L’instrument le plus ancien de l’exposition est la harpe de Babylone, vieille de 3 000 ans, dont les sons ont peut-être bercé les figures bibliques Daniel, Ezra et Néhémiah.
Le secret de la musique sacrée
A l’issue de la traversée des sept salles, qui symbolisent les sept régions principales de la diaspora juive où certains de ces instruments (mais pas tous) étaient joués par des juifs, le visiteur aboutit à une autre pièce dans laquelle trône une maquette du Second Temple. Ici, il reçoit un casque et des lunettes de réalité virtuelle. Il va ainsi pouvoir assister au service sacerdotal, effectué dans le Second Temple reconstitué, où les Lévites chantent et jouent pour accompagner les sacrifices quotidiens. Cette touche finale s’inscrit dans la vision d’Eldad Levy concernant l’enjeu du musée lui-même.
« A l’époque du Temple », explique-t-il, « les Lévites possédaient le secret de la musique sacrée. Ils avaient le pouvoir de compenser, par leur chant et leurs notes, les lacunes de l’humanité, et de graver au tréfonds de leur âme ce qui faisait défaut à celle-ci. Ainsi leur âme pouvait-elle s’épancher pour parvenir au repentir profond. »
« Quand le Temple a été détruit et le peuple envoyé en exil, ils ont emmené leur musique avec eux. Une grande partie a été perdue. Dans le Temple, les Lévites connaissaient 400 mouvements dans la musique. Ainsi un nom pouvait-il être prononcé doucement ou sévèrement, en fonction de ce que l’on attendait de la personne. Pareil pour les notes de cantillation de la Torah. Dans la musique ancienne, chaque note possède un sens différent. Il existe une note pour le calme, une pour la joie, pour le chant, la dépression, la tristesse ou même la lune et ainsi de suite – 400 en tout.
Dans la musique orientale, nous trouvons 95 makamim. C’est déjà beaucoup moins, mais cela montre la complexité du système. Ceux-ci se situent tous au même niveau, c’est une véritable démocratie. Dans la musique ancienne, l’harmonie se produit quand chacun réalise son potentiel ; toutes les notes sont donc égales. C’est ainsi que l’on parvient à l’harmonie. Toutes se dirigent vers les sommets, vers l’Un. « La perte du Temple représente donc beaucoup plus que la perte d’un édifice », souligne Eldad Levy. « Elle a affecté toute une grille complexe de sentiments, de sensibilités qui étaient le baume de l’âme et de l’esprit. Pendant 2 000 ans, chaque communauté a gardé sa propre mémoire de la musique du Temple. Quand les juifs ont commencé à revenir vers la Terre sainte, il n’y avait rien ici, ni travail, ni agriculture, ni langue, rien, juste un peu d’eau. Que possédaient-ils alors ? La musique. Ils ont écouté cette petite voix, la même que j’ai entendue. J’ai réalisé alors que le moment était venu de mettre tout cela en pratique. »
Musique à tous les étages
Outre les 400 visiteurs par jour depuis son ouverture en avril 2016, Eldad Levy souligne la dynamique propre du musée : « Nous proposons des ateliers, des journées de piyoutim (chants liturgiques juifs) et également des événements en soirée. Nous avons même réalisé un CD à partir de toutes sortes de mélodies – dont des chansons israéliennes profanes – que nous avons transformées en chants sacrés. J’aime les considérer comme la musique du Temple. Certains des meilleurs musiciens israéliens comme Shouli Rand, Shlomo Gronich, David D’Or et Ehoud Banaï y ont participé. Le morceau final est un chant de Chabbat, qui unit tous les musiciens : chaque interprète, qu’il soit laïque ou religieux, en chante deux versets. »
Kikar Hamusica offre également deux ou trois spectacles live par jour, qui se déroulent sur l’esplanade centrale. On y trouve par ailleurs cinq restaurants, tous strictement cachers, chacun avec ses spécialités pour satisfaire les goûts des différentes clientèles. A partir de 11 heures du soir, le pub-night-club situé au sous-sol offre des représentations supplémentaires.
En plus des structures existantes, Laurent Levy construit actuellement un auditorium de 400 places au-dessus de la place centrale. « Nous prévoyons également un hôtel sur le thème de la musique qui comprendra 50 chambres de charme, chacune dédiée à un musicien juif ayant eu une influence dans le monde. Arik Einstein aura sa chambre dédiée mais aussi Leonard Cohen, Bob Dylan, Shlomo Carlebach, etc. Nous projetons également d’ouvrir une école de musique juive afin de permettre la découverte de l’essence cet art dans toute sa diversité. »
Le musée a déjà touché un très large public. « Nous accueillons des visiteurs de tous horizons », note Eldad Levy, « enfants, adultes, laïques, ultraorthodoxes et non-juifs. C’est une merveilleuse façon de rassembler les gens. La musique appartient à tout le monde. »

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