Reconstruire le Beit Hamikdach

Rencontre avec Frankie Snyder, la femme qui recolle les dalles du Second Temple

Frankie Snyder, la femme qui recolle les dalles du Second Temple (photo credit: COURTESY OF TEMPLE MOUNT SIFTING PROJECT)
Frankie Snyder, la femme qui recolle les dalles du Second Temple
(photo credit: COURTESY OF TEMPLE MOUNT SIFTING PROJECT)
L’annonce a été faite il y a déjà plusieurs semaines. Une petite équipe d’archéologues israéliens est parvenue à reconstituer un dallage qui, sous le règne du roi Hérode, ornait sans doute le sol du mont du Temple, et peut-être même l’intérieur du Second Beit Hamikdach. La photo de ces magnifiques mosaïques qui nous transportent dans le temps, délicatement présentées par une femme aux cheveux blancs a fait le tour du monde.
Derrière ses petites lunettes, Frankie Snyder a les yeux qui brillent lorsqu’elle raconte son histoire et parle de son métier.
« J’ai fait mon aliya à l’été 2007 et un mois plus tard, je travaillais déjà sur le Temple Mount Sifting Project, le projet de tri des débris du mont du Temple », confie-t-elle. Né en 2005, le programme consiste à retrouver des vestiges archéologiques dans la terre retirée du site et emportée par environ 400 camions, lors des travaux effectués par les autorités musulmanes du Waqf autour de la mosquée souterraine d’al-Marouani, de 1996 à 1999. Des centaines de trésors ont déjà été mis au jour. Un grand nombre d’entre eux, liés à l’histoire biblique, ont plus de 3 000 ans. Le travail de tri, mené sous l’égide de la fondation Ir David (Elad), repose sur une technique similaire à celle utilisée par les chercheurs d’or.
« Deux semaines après mon arrivée en Israël », se souvient Frankie Snyder, « j’ai entendu parler du projet du parc archéologique d’Emek Tsourim et je me suis inscrite en tant que bénévole pour une activité de deux heures. Depuis, je n’en suis plus repartie ! Au bout de deux semaines, on m’a proposé un emploi rémunéré. C’était incroyable pour moi : je venais d’arriver dans le pays et ce travail me permettait de rester ! »
Sur les traces du roi Hérode
« Dès le départ, j’ai été fascinée par le pavage de l’opus sectile, sans doute parce que j’avais fait des études de mathématiques avant d’obtenir un master d’études juives. J’avais donc l’esprit matheux, de bonnes connaissances en histoire juive et une profonde attirance pour l’archéologie. »
L’opus sectile [appareil découpé] est un dallage constitué de pierres de couleur, de coquillages, de nacre ou d’autres matériaux découpés pour s’inclure dans un motif, qui est géométrique ou figuratif. Originaire du Proche-Orient antique, ce type de composition a trouvé sa véritable forme par la suite en Italie, apparaissant pour la première fois à Rome vers le IIe siècle avant notre ère. « Cette façon de travailler a été introduite en Israël par le roi Hérode », explique Frankie Snyder. « Il l’a voulue pour ses palais et, manifestement, pour le mont du Temple. Nous avons également retrouvé des fragments d’opus sectile datant de l’époque byzantine, de celle des Croisades et de diverses périodes islamiques. »
« Mon rôle est de trier par périodes les vestiges retrouvés. C’est devenu ma spécialité. Une fois que je sais à peu près de quand ils datent, il ne me reste plus qu’à tenter de reconstituer les motifs qu’ils formaient. C’est ce que j’ai commencé à faire au début, parce qu’à ce moment-là, on récoltait les fragments de dallage et on les répertoriait, mais il n’y avait personne pour travailler aux reconstitutions. Certaines dalles étaient intactes, d’autres brisées en mille morceaux. Aujourd’hui, nous sommes capables de recomposer les pièces cassées. Il m’est arrivé de mettre de côté un fragment, puis trois ans plus tard d’en trouver un autre et de me dire : “Je sais où est l’autre morceau !”, pour réussir enfin à les assembler. C’est un métier qui exige d’être très méticuleux. »
Recoller les morceaux
Frankie Snyder n’a pas eu à attendre très longtemps pour se voir confier une mission d’une portée bien plus large. « Quand le Musée d’Israël a commencé la préparation de l’exposition Hérode, il s’est retrouvé avec une multitude de dalles en opus sectile. Certaines venaient de Chypre et d’autres du bas de l’Hérodion. Le musée, qui souhaitait recréer un pavement, a donc fait appel à notre équipe, parce qu’il savait que c’était notre spécialité. Mon travail a été d’imaginer les motifs du dallage dont étaient issus les kilos de morceaux retrouvés au pied de l’Hérodion, et de les remettre en ordre. »
« Très vite, nous nous sommes aperçus que les fragments de l’Hérodion ressemblaient beaucoup à ceux retrouvés à Massada. Le pavement que nous avons reconstitué est donc inspiré des motifs de l’antique forteresse. En son centre, il y avait un petit groupe de dalles qui venaient de Chypre. Une fois le pavement recomposé et présenté au public, d’autres sites archéologiques du pays se sont rendu compte qu’il existait une personne derrière ce travail, et j’ai commencé à recevoir des coups de téléphone… »
Frankie Snyder œuvre actuellement sur des fragments de carrelage provenant de dix sites liés à Hérode. « Cela m’aide beaucoup pour le projet du mont du Temple, où nous recevons tout en vrac, parce que je sais maintenant quel type de dimensions, de formes et de matériaux je dois chercher dans le cadre de mes recherches sur cette époque. Je vois des pavements hérodiens venus de Massada, Jéricho, Chypre, Banyas, Tibériade et d’autres endroits encore. J’ai également travaillé sur différents sites des environs de Jérusalem, où l’on trouve aussi de tels vestiges. Ainsi, malgré moi, je suis devenue la personne à consulter en matière de pavements antiques ! »
Un véritable sacerdoce
L’annonce de la présence de motifs en opus sectile datant de l’époque d’Hérode sur le mont du Temple a marqué un tournant dans les recherches de Frankie Snyder. « Au fil des ans, nous avons publié plusieurs articles sur notre découverte des fragments de pavements que nous pouvions attribuer au règne d’Hérode. En revanche, nous n’étions pas parvenus à reconstituer des motifs qui ornaient probablement le mont du Temple. Nous avons trouvé un moyen de fabriquer les fragments de carrelages qui manquaient et de les mêler aux originaux pour les inscrire dans des motifs communément utilisés à l’époque hérodienne dans l’Empire romain, à Rome, Pompéi ou Herculaneum. Mon rôle consiste à bien examiner les matériaux dont je dispose, la taille et la forme des fragments, puis à essayer de savoir avec quoi ils peuvent s’associer pour former les pavages. Nous avons ainsi découvert sept motifs différents qui ont pu être utilisés pour décorer le mont du Temple. »
« Aujourd’hui, après douze ans de recherche, nous avons sous les yeux des éléments dont nous sommes à peu près certains qu’ils remontent à la période du Second Temple. Il y a en particulier un pavement très coloré dont parle Flavius Josèphe dans ses écrits : nous sommes quasiment sûrs d’en avoir reconstitué une partie. »
Frankie Snyder n’était peut-être pas la personne la plus désignée pour ce genre de mission. « Je suis née à Richmond, en Virginie », confie-t-elle. « Je suis juive, mais j’ai été élevée dans la foi catholique. Ma grand-mère s’appelait Stella Esther Schwartzberg, de sorte que je ne pouvais pas renier mes origines. Je suis revenue au judaïsme en 1997, quand je suis allée à Boston pour mener mes études de troisième cycle. Avant cela, je savais que j’étais juive, mais il n’y avait jamais eu de communauté dans les différents lieux où nous avions habité. Mon ex-mari travaillait dans l’armée de l’air, si bien que nous avons vécu dans des endroits assez isolés, qui n’abritaient pas de fortes populations juives. C’est seulement à Boston que j’ai commencé à m’intéresser au judaïsme. »
« J’ai donc vraiment senti que j’étais juive à l’âge de 32 ans et, dès lors, j’ai compris que je devrais tôt ou tard aller vivre en Israël. Quelque chose me disait que ma place était là-bas. Quand je suis arrivée, je n’avais aucun projet particulier. J’approchais la soixantaine et j’envisageais de prendre une semi-retraite. C’est là que j’ai commencé à travailler en tant que bénévole à Ein Tsourim. Un mois plus tard, on m’embauchait et ensuite, c’est devenu une vraie carrière... Cela confirmait ce que j’avais ressenti un quart de siècle plus tôt : je devais venir en Terre sainte, parce que j’avais quelque chose à y accomplir. »
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