Reines des échecs

Un documentaire israélien remet en lumière l’histoire hors du commun des célèbres sœurs Polga

Les soeurs Polar héroïnes d'un documentaire (photo credit: MTVA)
Les soeurs Polar héroïnes d'un documentaire
(photo credit: MTVA)
Hongrie, années 1970. Alors que le communisme est à son apogée, un jeune psychologue scolaire met en place une importante expérience pédagogique au sein même de son modeste appartement de Budapest. Après avoir étudié le parcours de plusieurs enfants prodiges, il est en effet parvenu à la conclusion que le génie n’est pas uniquement une chose innée, et qu’il est possible de l’acquérir.
La théorie de Laszlo Polgar est la suivante : en astreignant l’enfant à un processus intellectuel précis dès son plus jeune âge, on lui donne la possibilité d’atteindre l’excellence. Comme moteur d’étude, le psychologue juif choisit les échecs, tandis que ses trois filles, Zsuzsa, Zsofia et Judit, deviennent ses sujets. Polgar est lui-même un joueur assez moyen, mais il considère ce jeu hautement cérébral comme l’activité parfaite pour servir son propos. « Aux échecs, les progrès peuvent être mesurés de manière empirique », explique-t-il. « Vous gagnez ou vous perdez, et vous pouvez jouer contre des joueurs classés d’après leurs résultats ».
A l’époque, les échecs connaissent un regain d’intérêt en Europe de l’Est, et servent souvent de terrain d’affrontement entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, alors en pleine guerre froide. Lors d’une confrontation épique en 1972, le maître américain Bobby Fischer réalise un coup d’éclat en vainquant le champion du monde russe, Boris Spassky, mettant un terme à une domination soviétique de plusieurs dizaines d’années dans le domaine des échecs. Polgar et sa femme Klara, une enseignante, prennent Fischer en exemple, et entreprennent d’entraîner une nouvelle génération de maîtres d’échecs. Pour ce faire, ils défient les autorités communistes en scolarisant leurs filles à domicile. Celles-ci ne devaient plus entrer dans des écoles publiques que pour passer leurs examens obligatoires dans un certain nombre de matières.
Discipline de fer
Dès lors, les trois fillettes sont soumises à une stricte discipline : trois heures de sport chaque matin – ping-pong, natation, course, vélo –, suivies de nombreuses heures à jouer aux échecs jusqu’au moment du coucher à 22 heures. Polgar compile des analyses concernant 200 000 joueurs d’échecs professionnels, sélectionnées dans des magazines spécialisés, mettant ainsi à disposition de ses filles une sorte de bibliothèque de référence. Bien que la famille n’ait que très peu de moyens, le psychologue engage des experts en échecs responsables de leur entraînement. « Nous n’avions pas un sou », se souvient Laszlo, un homme réfléchi, affable et sympathique, aujourd’hui âgé de 71 ans, qui s’étend très peu sur sa philosophie en matière d’éducation, mais qui vous régale d’anecdotes colorées du passé. Entre les deux, il aborde la politique israélienne, établit des liens avec des personnages hongrois importants, ou propose d’agir en tant qu’entremetteur pour vos amis juifs célibataires. « On respirait, mais on ne mangeait pas », explique-t-il. « On avait du pain et de la margarine au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner ». Ses filles avaient droit de temps en temps à des fruits ou autres petits plaisirs, achetés grâce aux quelques pièces remportées lorsqu’elles gagnaient des tournois improvisés parmi le voisinage.
L’histoire de la famille Polgar, bien connue en Hongrie et dans le milieu des échecs, va désormais pouvoir être connue du plus grand nombre grâce au film israélien The Polgar Variant (la version Polgar). Présenté à Budapest au mois de mai lors d’un festival d’art juif, il est émaillé de courtes vidéos et interviews d’époque, ainsi que d’entretiens récents avec les différents protagonistes. Yossi Aviram, réalisateur et auteur du documentaire, admet volontiers qu’il s’est agi pour lui d’un véritable travail de cœur. Etant lui-même amateur d’échecs, il a eu connaissance de l’histoire des sœurs Polgar il y a une dizaine d’années lors d’un tournoi en Israël. « Je n’avais jamais entendu parler d’elles auparavant », raconte-t-il. « Lorsque j’ai commencé à m’y intéresser, j’ai été complètement fasciné par cette famille ».
Après avoir trouvé les fonds nécessaires, Aviram a démarré le tournage en 2007. Il s’est d’abord envolé vers Budapest où Judit habite toujours, puis il a voyagé aux Etats-Unis où vit Zsuzsa ; il a ensuite contacté Zsofia, qui a épousé Yona Kosashvili, le maître d’échecs israélien d’origine géorgienne, avec lequel elle réside à Tel-Aviv. Mais avant de rencontrer les trois sœurs, le réalisateur a d’abord dû gagner leur confiance, car elles ont appris à se méfier des médias. Une attitude peu surprenante quand on sait à quel point ces derniers ont malmené Laszlo, l’accusant d’abuser de ses filles et de les priver d’une vie normale. « Ils l’ont beaucoup attaqué, surtout au début », raconte Zsofia, aujourd’hui mère de deux enfants. « Nous, ses filles, n’avons jamais prêté attention à ces allégations. Cette façon de vivre était naturelle pour nous, car nous n’avons jamais connu autre chose. » Et d’indiquer que le documentaire de Yossi Aviram est un portrait fidèle de la famille Polgar, de ses combats et de ses victoires. « La façon dont Yossi nous a cernés, et le tableau qu’il a dépeint de notre vie sont incroyables. »
Une fratrie de championnes
« J’ai développé une méthode pédagogique visant à prouver que tout enfant normalement constitué est un génie potentiel », relate Laszlo Polgar, qui partage aujourd’hui sa vie entre Miami, Tel-Aviv et Budapest. C’est ainsi qu’à l’âge de trois ans, Zsuzsa, sa fille aînée née en 1969, a commencé à apprendre les mathématiques et les langues étrangères. Si elle souhaitait jouer, elle ne pouvait pas le faire avec une poupée ou autre, mais seulement avec des tours, des pions, des fous, des chevaliers, des rois et des reines sur un échiquier. Elle n’avait que quatre ans lorsque Laszlo a décidé que Zsuzsa devait désormais se mesurer aux adultes du meilleur club d’échecs de Budapest. « Mon père les a mis au défi de jouer contre moi », se souvient-elle. « Au début, ils se sont tous mis à rire en disant “Vous plaisantez, elle n’arrive même pas jusqu’à la table !” », raconte Zsuzsa, qui est mariée au joueur d’échecs américano-vietnamien Paul Truong. Mais les membres du club n’ont pas ri longtemps. « J’ai gagné la partie. Mon adversaire s’est levé, et s’est rapidement sauvé. »
En 1982, à l’âge de 12 ans, Zsuzsa remporte en Angleterre le championnat féminin des moins de 16 ans, son premier trophée international. A 14 ans, elle obtient le titre de meilleure joueuse féminine du monde. Lors d’une démonstration, l’adolescente réalise même le tour de force de jouer à l’aveugle sans voir l’échiquier, contre cinq adversaires simultanément. « Mes filles parvenaient à jouer aux échecs tout en jouant au ping-pong », se souvient Laszlo Polgar.
Zsofia et Judit, nées en 1974 et 1976, reçoivent un entraînement similaire dès l’âge de quatre ans. A cinq ans, Judit, la plus jeune, pratique quotidiennement les échecs pendant sept heures, et commence à développer un style agressif, créatif, et toujours offensif, qu’elle appelle « la chasse au roi ». Elle n’a que sept ans lorsqu’elle commence à se mesurer à des joueurs de grande notoriété ; quatre ans plus tard, un journaliste britannique la désigne « meilleure joueuse de onze ans de l’histoire, tous sexes confondus ». En 1988, alors qu’elle n’a que douze ans, elle devient le plus jeune maître d’échecs international. Cette année-là, elle remporte un tournoi international mixte à Londres, après avoir battu plusieurs grands maîtres hommes, et rentre définitivement dans l’histoire. A 15 ans, elle devient elle-même grand maître, la plus jeune de tous les temps, battant ainsi le record de Fischer. En 1992, âgée de 17 ans, elle bat à son tour Spassky, l’ancien champion du monde, lors d’une démonstration à Budapest. Dix ans plus tard à Moscou, Judit battait un certain Garry Kasparov, un juif d’origine arménienne, considéré comme le plus grand joueur de tous les temps, qui a dominé les échecs durant deux décennies. Après sa défaite, ce dernier, qui avait par le passé qualifié Judit de « marionnette de cirque », a quitté la table, furieux, refusant même de serrer la main de la jeune fille. « Si “jouer comme une fille” voulait dire quelque chose aux échecs, cela signifiait être constamment dans l’agression, a écrit Garry Kasparov (de son vrai nom Garik Weinstein), dans son livre intitulé La vie est une partie d’échecs, publié en 2007. Désormais, Judit allait affronter uniquement des hommes, devenant la meilleure joueuse féminine de tous les temps. Un titre qu’elle volait à sa sœur, Zsuzsa.
« Judit est très douce dans la vie, mais elle devient une autre personne lorsqu’elle joue. On le voit dans son regard », observe Yossi Aviram, qui a voulu se mesurer à la championne au cours d’une partie. « Jouer contre elle, c’est comme être enserré dans les tentacules d’une pieuvre, vous êtes pris au piège et vous sentez une pression de tous les côtés », continue-t-il. « Bien qu’elle ait joué sans sa reine, elle m’a battu en dix minutes. Je précise que pendant tout le jeu, elle était en conversation téléphonique. »
Les sœurs Polgar sont d’abord devenues célèbres en Hongrie, puis ce curieux trio d’enfants prodiges caché derrière le rideau de fer est devenu un phénomène international. Elles étaient considérées comme les sœurs Brontë des échecs. Un enfant prodige dans une famille peut être considéré comme le fruit du hasard, mais trois ? Les sœurs Polgar possédaient-elles toutes un don naturel pour les échecs, ou bien leur père y était-il pour quelque chose ?
Une méthode inspirée des yeshivot
Il y a 2 500 ans, le philosophe grec Aristote affirmait que les enfants naissent avec des esprits semblables à des tablettes de pierre vierges, comme un tableau blanc sur lequel l’apprentissage et l’expérience de la vie permettent d’inscrire des connaissances et des capacités. Les talmudistes sont arrivés à une conclusion identique concernant l’élasticité de l’esprit de l’enfant, et ont insisté sur l’importance de l’apprentissage précoce et ciblé.
Lazslo Polgar affiche les mêmes convictions. « Pour obtenir des résultats, il faut travailler dur », dit-il. « C’est aussi ce que dit le Talmud ». Ce n’est pas un hasard si l’intensité du programme de formation imaginé par Polgar rappelle celle des études dans les yeshivot les plus prestigieuses, car ce sont elles précisément qui ont inspiré le psychologue. « Mon grand-père a commencé à étudier la Torah plusieurs heures par jour alors qu’il n’avait que quatre ans », raconte-t-il. « Cela a toujours été une pratique courante chez les juifs de soumettre les enfants à une étude intensive dès le plus jeune âge. Nous sommes un peuple qui réussit, non parce que nous sommes génétiquement supérieurs, mais parce que nous avons toujours accordé une grande importance à l’étude. » Mais apprendre de façon intensive n’est pas la seule clé de la réussite. D’après lui, pour transformer un enfant en génie, il est essentiel de se focaliser sur une discipline particulière. « Un enfant en bas âge a besoin de se spécialiser dans un seul domaine, au lieu de devoir fragmenter son attention entre différents champs de connaissance. A l’école on apprend de nombreuses choses inutiles. Une fois que l’enfant concentre son attention sur un seul sujet, qu’il s’agisse de la physique, des maths, des échecs ou autre, il fait le reste du chemin par lui-même avec zèle, encouragé par ses progrès et sa réussite. Tout ce qu’il vous reste à faire est de le guider », assure-t-il. « J’ai mis les choses en place pour mes filles, et elles ont fait le reste. Et même si au bout du compte les enfants soumis à cette méthode ne deviennent pas tous des génies, ils auront tout de même un très bon niveau dans leur domaine. »
Laszlo a donc simplement suivi les traces de ces pères qui depuis des siècles, partagent cette vision de l’éducation et de l’excellence. Mozart était tout petit lorsque son père, Leopold, a commencé à lui enseigner la musique. C’est ainsi qu’à cinq ans, il composait déjà. Le mathématicien hongrois du XIXe siècle Farkas Bolyai a fait de son fils un génie en mathématiques qui à 13 ans imaginait des équations. Au XXe siècle, Moshé Menuhin, un immigrant juif de Biélorussie descendant du fondateur du hassidisme Rabbi Chneour Zalman de Liadi, a fait de son fils Yehudi, né aux Etats-Unis, l’un des plus grands violonistes de tous les temps. « L’élément nouveau dans l’expérience de papa était le fait qu’elle ait lieu au sein d’une société particulièrement fermée et que nous étions des filles », observe Zsofia Polgar.
Pédagogie controversée
Pour ses détracteurs hongrois, le pédagogue ressemblait plus à un commandant d’armée obsédé et dominateur qu’à un père. A leurs yeux, Laszlo Polgar cherchait à exploiter ses filles pour mener à bien ses expériences. Ses partisans, en revanche, le perçoivent comme un éducateur révolutionnaire, qui a démontré que le génie et l’excellence sont à la portée de tous. « Mes filles sont équilibrées, intelligentes et heureuses », dit Laszlo. « Ont-elles l’air d’avoir eu une enfance traumatisante ? » Il concède que ses filles n’ont pas connu certaines joies de l’enfance et l’insouciance qui la caractérise, et qu’elles ont passé la plupart de leur temps à la maison, penchées sur leur échiquier. Mais il tempère aussitôt, en rappelant qu’elles ont parcouru le monde pour disputer leurs tournois, dans une période où la plupart des Hongrois ne pouvaient mettre le pied en dehors du bloc de l’Est. Elles ont joué avec les kangourous en Australie, posé devant les pyramides aztèques au Mexique, et ont fait des apparitions dans des émissions en Allemagne. « Dans mon petit monde », dit Laszlo (Eli) Berger, un cinéaste israélo-hongrois qui a participé à la production de The Polgar variant, « les Polgar étaient des héros. » Berger, aujourd’hui âgé de 47 ans, est de la même génération que les trois sœurs, et a grandi comme elles en Hongrie communiste, avant de faire son aliya en 1991. « Ils ont connu la réussite malgré le rideau de fer », explique-t-il. « Ce qu’ils ont réalisé était tellement novateur. »
Le documentaire ne s’étend pas sur les questions éthiques que pose l’éducation prônée par Polgar, mais ne les élude pas totalement. « Sa méthode pose certes quelques questions morales », souligne Yossi Aviram, père de trois jeunes enfants. « Mais j’ai senti qu’il y avait eu beaucoup d’amour et de chaleur au sein de cette famille. Laszlo était un féministe en pays communiste et machiste. » « Je crois fermement qu’une femme qui reçoit le même soutien au niveau professionnel, psychologique et social qu’un homme, peut remporter le championnat mondial masculin », affirmait Laszlo au cours d’une interview télévisée dans les années 1980, alors que les échecs de haut niveau étaient a l’époque largement dominés par les hommes. D’après lui, le problème provenait du fait que d’emblée, on attendait moins des filles, c’est pourquoi elles finissaient par avoir moins d’ambition, et donc par réaliser moins de choses. Mais c’était loin d’être le cas de ses filles. « Mes filles ont battu les 13 meilleurs joueurs du monde au cours des dernières décennies, et ont remporté 200 parties contre des champions mondiaux », dit Laszlo.
A contre-courant
Avec le temps, l’ambition du père est devenue celle des filles. Les responsables de la fédération hongroise d’échecs souhaitaient voir les sœurs Polgar dominer la compétition féminine, ce qui constituait une excellente propagande pour le régime communiste. Mais c’était mal connaître les aspirations de la famille Polgar, qui n’a pas hésité à défier ouvertement le chef du parti communiste Janos Kadar, un amateur d’échecs. « Mon père et moi poursuivions l’objectif que je devienne une championne parmi les hommes », se souvient Zsuzsa. Sous le régime, l’éducation des enfants devait coller aux principes marxistes d’uniformité et d’obéissance ; mais Laszlo le libre-penseur a provoqué l’ire de l’apparatchik. Conséquence : il a été menacé d’emprisonnement ou d’internement en hôpital psychiatrique, tandis que ses filles ont failli être placées en institution.
La réussite de la famille Polgar n’a pas uniquement été celle d’un éducateur ambitieux et de la fratrie. C’est aussi celle d’un juif fier de ses origines, dans un pays où l’antisémitisme était latent, prêt à jaillir à tout moment par le biais d’un sourire en coin, d’un regard hostile ou d’une insulte. « L’antisémitisme m’est insupportable. Enfant, j’ai été harcelé et humilié par des voisins qui étaient de vrais tyrans, simplement parce que j’étais juif. Mais cette expérience m’a aussi donné une motivation supplémentaire pour réussir », explique Laszlo Polgar. Le succès de ses filles aux échecs sur la scène internationale est devenu une sorte de bouclier pour la famille contre les menaces et les tentatives d’intimidations du régime communiste.
Cependant, cela n’a pas empêché le gouvernement, en 1984, de leur interdire de participer à des tournois internationaux pendant trois ans. Lorsque cette interdiction a enfin été levée, les trois sœurs ont réalisé un coup d’éclat en 1988, en remportant la médaille d’or par équipe aux 28es olympiades d’échecs à Thessalonique en Grèce, rompant ainsi avec la domination de l’Union soviétique depuis plusieurs décennies. « Du jour au lendemain, nous sommes devenues des icônes nationales », se souvient Zsuzsa. Quand à Laszlo, cette victoire représentait pour lui une sorte de reconnaissance. L’année suivante, le mur de Berlin est tombé, et ses filles étaient enfin libres de jouer contre des hommes sans que la politique ne s’en mêle. Cette même année, Judit et Zsofia ont réalisé des performances décisives, la première en remportant huit tournois consécutifs, et la seconde en gagnant huit parties d’affilée contre des joueurs experts lors d’un tournoi à Rome.
Le combat en héritage
Le documentaire, qui dure un peu plus d’une heure, ne s’étale pas sur les opinions de Laszlo sur le plan éducatif, et préfère se focaliser sur le point de vue des trois sœurs. Dans une séquence, Aviram retourne avec Zsofia dans l’appartement de son enfance, aujourd’hui occupé par un homme âgé, qui ne semble pas la reconnaître. Elle parcourt l’appartement avec nostalgie, s’étonnant de son étroitesse, alors qu’il lui semblait suffisamment spacieux à l’époque. Il apparaît aujourd’hui comme la relique d’une époque où l’horizon physique et mental était limité par un système politique répressif. Dans une autre séquence, la jeune femme dispute une partie d’échecs rapide contre son mari dans leur maison de Tel-Aviv. Le film montre également une ancienne vidéo familiale enregistrée par Laszlo en 1986, dans laquelle on aperçoit son père Armin, survivant d’Auschwitz où ses parents, sa première femme et leurs six enfants ont été exterminés. Après la guerre, il s’est remarié à une femme également rescapée d’Auschwitz. De cette union est née Laszlo en 1946. Sur les images, on voit le vieil homme rendre hommage aux victimes hongroises de la Shoah au cimetière juif de Gyongyos dans l’est de Budapest. « Dans les camps de la mort, les champs de neige, sur les routes et les berges », dit-il, « 600 000 d’entre nous ont été torturés, étranglés, anéantis, assassinés par la haine et la soif de sang. Nous ne les oublierons jamais ». Ses petites-filles se tenaient près de lui. Lorsqu’Aviram a découvert cet enregistrement, il a su qu’il tenait un film. « Cela donnait une dimension supplémentaire à l’histoire de la famille Polgar. »
Laszlo Polgar est un auteur véritablement prolifique. Il a publié 123 ouvrages consacrés à ses deux spécialités : les échecs et la psychologie de l’enfant. Plusieurs de ces livres sont des best sellers. Il a également inventé deux variantes des échecs dont celle appelée les échecs en étoile dans laquelle le jeu se joue sur un échiquier en forme d’étoile avec des règles qui permettent d’imaginer de multiples stratégies. Une variante qui fait aujourd’hui l’objet de compétitions internationales.
Mais son plus grand succès demeure ses filles. Bien qu’elles se soient toutes retirées de la compétition professionnelle, elles sont très actives dans la promotion des échecs sur le plan éducatif. Elles sont également restées sous les feux de la rampe. Zsuzsa a fait l’objet d’un documentaire de National Geographic sur les pouvoirs du cerveau humain ; Judit a donné des conférences TED sur la méthode pour devenir un génie, tandis que Zsofia a rédigé et illustré plusieurs manuels d’échecs pour enfants qui ont obtenu un très grand succès. Laszlo Polgar regrette cependant qu’aucune d’elles n’ait appliqué sa méthode éducative avec leurs propres enfants. Une autre des aspirations du père est demeurée inaccomplie : aucune de ses filles n’a remporté le titre de champion du monde masculin. Seule Judit s’en est approchée, en battant nombre de grands maîtres et de champions du monde. Peu importe. Ce que l’on retient, c’est que les Polgar sont partis à la conquête du monde et qu’ils ont gagné. Main dans la main et avec panache.
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite