Rendez-vous avec la simha

Souccot est appelée « époque de notre joie » car il s’agit, à travers cette fête, de manifester notre immense reconnaissance envers le Créateur

Unité du peuple juif et universalisme : deux messages de la fête de Souccot (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Unité du peuple juif et universalisme : deux messages de la fête de Souccot
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Tichri est un mois très particulier, le premier de l’année. Celui du jour J, Yom Kippour. Bien souvent, c’est l’unique occasion pour de nombreuses personnes de renouer avec le judaïsme. Ce mois est aussi une succession de fêtes, une période où l’on retrouve tous les aspects de la vie religieuse, de la solennité de Roch Hachana à la joie de Simhat Torah. Tout ceci n’est pas le fait d’une simple coïncidence. Tichri, en effet, marque un nouveau départ, et toutes ces festivités doivent nous permettre de « faire le plein spirituellement », et nous servir d’enseignement pour le reste de l’année. L’étymologie de Tichri est d’ailleurs « rendre droit », rectifier.
Il y a d’abord Roch Hachana. La traduction littérale de ce terme est « tête de l’année ». La tête est ce qu’il y a de plus élevé dans l’organisme. C’est le centre nerveux du corps tout entier. A son niveau, le moindre accident a des effets désastreux. Contrairement à ce que l’on pense communément, cette fête n’est pas l’anniversaire de la création du monde, mais celui de la création du premier homme. Ceci vient nous enseigner que c’est l’être humain qui donne à l’ensemble de l’univers son sens ultime, sa finalité.
Puis vient Yom Kippour. C’est certainement le point culminant du mois de Tichri et même de l’année tout entière. L’essence de ce jour remue véritablement notre âme et apporte le pardon et l’expiation. Ceci est obtenu après que l’on ait demandé pardon à autrui et exprimé sincèrement à Dieu notre profond regret pour tous nos égarements passés. Enfin, ces journées austères trouvent leur aboutissement dans la joie débordante de Souccot puis de Simhat Torah. Dieu n’est-il pas à la fois Avinou – notre père – et Malkénou – notre roi ? D’où cette double attitude de « Réjouissez-vous en tremblant ». Rabbi Yehouda Halévi enseigne ainsi dans le livre du Kouzari que la Torah se vit « dans l’amour et la joie ».
Eveiller la joie…
La mitsva d’être dans la joie, besimha, est commune aux trois fêtes de pèlerinage. Cependant, seule Souccot est appelée « époque de notre joie ». Il s’agit en effet de manifester à travers cette fête une immense reconnaissance envers le Créateur. Ceci est d’autant plus de circonstance en automne lorsque les greniers sont remplis par les récoltes ; l’agriculteur risque en effet d’oublier que toute cette abondance est l’œuvre de Dieu. Aussi lui est-il prescrit de quitter pendant huit jours sa maison aux murs épais pour habiter une fragile cabane dont le toit est composé de feuillage laissant voir le ciel. Nous prenons ainsi conscience que l’existence humaine est éphémère. En regardant ces demeures temporaires, nous nous rappelons les tentes dans lesquelles nos ancêtres ont vévu dans le désert. Nous en arrivons alors à la conclusion que Dieu n’est pas seulement le Créateur de l’univers, mais également la Providence qui a fait sortir Israël du pays d’Egypte.
La soucca est une mitsva bien particulière. En général, lorsqu’on accomplit un commandement, seule une partie déterminée du corps est concernée. Ici, par contre, la cabane entoure la personne tout entière. Tout ce que nous y faisons, même une action tout à fait banale, est élevé automatiquement au degré de mitsva, du fait de son accomplissement dans la soucca. L’enseignement est fondamental. Selon la Torah, chaque acte, chaque instant, doit être consacré à Dieu. Même les plus petits détails matériels doivent être spiritualisés. Le judaïsme n’est une religion qui se pratique une fois par semaine dans un temple. C’est avant tout un mode de vie, une civilisation basée sur l’harmonie et l’unité entre la matière et l’esprit.
Contrairement aux autres fêtes qui commémorent des événements précis de l’histoire juive, la soucca englobe tout. Les individus les plus divers y ont leur place et toutes les nations y sont conviées. Tout le monde peut y entrer : les adultes, les enfants, les sots et les sages. Toutes les différences sont gommées. Les kabbalistes enseignent que Souccot correspond au hessed, à la bonté et à l’amour universel. Plus cet amour grandit, plus il y a de place pour tout le monde.
A Kippour, nous avons été lavés de nos fautes. A Souccot, notre amour peut donc être total et sans limites. Nous sommes en quelque sorte comme des enfants qui viennent de naître. La vie recommence et nous retrouvons notre innocence originelle.
L’autre mitsva pratiquée pendant Souccot consiste à réunir quatre espèces végétales, l’etrog (cédrat), le loulav (branche de palmier), le hadas (myrte) et l’arava (saule). Les rabbins enseignent dans le midrach que ces plantes représentent différentes catégories d’individus que l’on trouve dans le peuple juif. Ce commandement symbolise notamment le fait que, malgré nos différences apparentes, nous pouvons et devons rester unis. Le salut individuel ou la tour d’ivoire n’ont pas leur place dans le judaïsme. L’unité du peuple juif et l’universalisme sont donc deux attitudes fondamentales que nous enseigne la fête de Souccot.
Transcendance
Chemini Atséret et Simhat Torah clôturent le mois de Tichri et plus encore le résument. On sait qu’il est coutume de se réjouir avec la Torah et de danser avec elle. On peut se demander pourquoi cette joie s’exprime par des danses faisant intervenir les membres inférieurs. S’agissant du Livre des livres, on se serait attendu à une étude, à une méditation. En fin de compte, l’aspect essentiel de la Torah est sa kedoucha qui réside dans sa transcendance qui va au-delà de sa compréhension. Cet aspect supra-rationnel est caractérisé par le fait que le rouleau de la Torah est enveloppé et que son contenu nous est donc caché. Même les moins érudits prennent part aux danses. Nous manifestons ainsi le fait que la Torah transcende notre raison.
Durant les sept jours de fête, on apportait au Temple de Jérusalem, en l’honneur des soixante-dix peuples de la terre, le même nombre de sacrifices, appelés « sacrifices de paix ». On priait ardemment pour le bien-être de toute l’humanité. La paix, le chalom, c’est la plénitude. Le monde est trop souvent « brisé » en raison de la désunion. Ces soixante-dix sacrifices visaient ainsi à rassembler les hommes et à retrouver la plénitude universelle du genre humain. On comprend dès lors pourquoi la Haftara lue pendant les jours de Souccot est celle des prophéties de Zacharie (XIV, 9) : « L’Eternel sera Roi sur toute la terre ; en ce jour, l’Eternel sera un et unique sera son nom. » De même que les pieds sont pour ainsi dire « soumis » au cerveau et répondent simultanément et sans effort à la moindre impulsion, de même devons-nous constituer « les jambes du Sefer Torah ». C’est forts de cette résolution que nous achevons la lecture de la Torah et la recommençons de suite pour signifier qu’il n’y a pas de fin à la parole de Dieu.
Nul doute que si nous faisons nôtres tous ces enseignements, s’accompliront les traditionnels vœux de Chana tova : soyez inscrits pour une bonne et heureuse année dans le Livre de la Vie.
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