La ruée vers l’or virtuel

Décryptage de l’engouement généralisé pour le bitcoin

le bitcoin, une nouvelle monnaie virtuelle (photo credit: DADO RUVIC/REUTERS)
le bitcoin, une nouvelle monnaie virtuelle
(photo credit: DADO RUVIC/REUTERS)

Qu’est-ce qu’une crypto-monnaie ?

Les monnaies virtuelles ou crypto-monnaies sont des valeurs monétaires dématérialisées. Leur utilisation suppose donc l’existence de devises et nécessite de posséder un porte-monnaie ou portefeuille électronique, permettant leur stockage et leur circulation. Ces monnaies ont le même but que l’argent réel, à savoir l’achat de biens, virtuels ou non. Stockées sur des supports numériques, tel un ordinateur, un serveur ou un réseau, elles se créent, se transfèrent, se stockent et s’échangent numériquement. Les crypto-monnaies s’utilisent sur un réseau informatique décentralisé, de pair à pair (P2P). Leur codage crypté, lisible uniquement par les personnes qui en possèdent les « clés », permet de contrôler la création de la monnaie, de sécuriser le transfert de l’argent en circulation et d’empêcher le vol et la fraude.
Selon Wikipédia, il existe à ce jour au moins 34 monnaies de ce type - litecoin, swiftcoin, namecoin, ether, ubiq, etc. Ces crypto-monnaies, qu’il est possible de convertir en monnaies conventionnelles, sont extrêmement volatiles. Pour autant, le bitcoin, ou BTC, la première crypto-monnaie et la plus utilisée, n’a cessé de prendre de la valeur.
Qu’est-ce que le Bitcoin ?
« Le bitcoin a été la première monnaie virtuelle de la blockchain, et demeure la plus connue. Son fondateur a développé cette technologie pour effectuer des transferts d’argent sécurisés et il est parvenu à résoudre de nombreux problèmes posés par les crypto-monnaies. Au lieu d’avoir une banque centrale qui réglemente l’argent, et des banques qui valident les transactions financières, le bitcoin s’appuie sur la blockchain «, explique Florian Graillot, investisseur en capital-risque chez AXA, sur le site TechCrunch.
Pourtant, le bitcoin a connu des débuts laborieux. En 2013, pour acheter un bitcoin, il fallait se rendre dans une agence de type MoneyGram pour virer la valeur en dollars d’un bitcoin, au cours du jour de la crypto-monnaie. Ses promoteurs ont ensuite tenté de faciliter le système en mettant en place des guichets automatiques de bitcoins. Aujourd’hui, le processus est beaucoup plus simple car tout se fait en ligne. On trouve notamment trois guichets automatiques de bitcoins à Tel-Aviv.
A ce jour, un bitcoin vaut environ 48 000 shekels. Il y a actuellement quelque 17 millions de bitcoins en circulation dans le monde, ce qui représente une valeur d’environ 272 milliards de dollars (950 milliards de shekels). Encore une goutte d’eau cependant, en comparaison par exemple de l’océan monétaire américain qui est de 13,7 milliards de dollars (en liquidités et dépôts bancaires divers). Le bitcoin est le plus souvent représenté par une pièce flanquée d’un gros B en son centre, cerclé du slogan latin «libertas, veritas, equitas» (liberté, vérité, égalité). Le vrai bitcoin, bien sûr, n’existe pas physiquement, il est seulement numérique.
La technologie blockchain
L’année dernière, l’un des intervenants du forum « Swiss-Israel Innovation », qui s’est tenu à Lucerne en Suisse, avait parié que la prochaine technologie révolutionnaire qui allait changer le monde était la « blockchain ». Jusqu’à présent, les faits tendent à lui donner raison.
Le terme « blockchain » a été inventé en 2011 sous couvert d’anonymat, par un individu ou un groupe d’individus, répondant au nom de « Satoshi Nakamoto ». À ce jour, l’identité de ce groupe reste obscure. On ne sait pas si le nom d’usage de «Satoshi Nakamoto» est réel ou s’il s’agit d’un pseudonyme, ni s’il représente un individu ou un groupe d’individus.
Comme toutes les crypto-monnaies, le fonctionnement du bitcoin repose sur l’utilisation d’une « blockchain », sorte de « grand livre » de pair à pair (P2P), tel un registre de comptes numériques qui regroupe par blocs l’ensemble des transactions depuis la création de cette crypto-monnaie. Cela permet de valider à la fois l’existence des actifs à échanger, et de déterminer quels en sont les propriétaires. Pour résumer, c’est grâce à ce fichier que l’on sait qui possède quoi.
La blockchain est ainsi un médiateur impersonnel de confiance, qui permet de confirmer les transactions au reste du réseau. Par exemple, les utilisateurs de bitcoins utilisent la blockchain pour empêcher que des pièces qui ont déjà été dépensées puissent être à nouveau dépensées ailleurs. De la même façon que les banques, lorsqu’elles encaissent un chèque, retirent des fonds d’un compte pour les ajouter à un autre.
Selon le magazine « Harvard Business Review » la blockchain est une « technologie de base » car elle « a le potentiel de créer de nouvelles bases pour nos systèmes économiques et sociaux ». C’est en effet une technologie de rupture, un entremetteur qui change la donne et qui met directement en relation ceux qui ont quelque chose à vendre avec ceux qui veulent l’acheter. Comme beaucoup d’autres technologies Internet, en éliminant les intermédiaires conventionnels elle donne accès aux marchés mondiaux à toute personne disposant d’une connexion Internet.
Avec ces « blocs » ou chaînes de transactions, plus besoin d’autorité centrale et d’intermédiaires financiers. La technologie blockchain, avec ses transactions sécurisées, qui garantissent l’anonymat et une sécurité totale (cryptage) sans fraude possible, sape les grands acteurs bien établis comme les banques, les bourses etc…, qui gagnent de l’argent en facturant leurs services en tant qu’intermédiaires. Cette avancée permet ainsi aux plus petits acteurs économiques et aux start-up de rivaliser en compétitivité, en créant de la valeur pour les consommateurs.
Comment peut-on créer de nouveaux bitcoins ?
Les banques créent de l’argent sous la supervision et la réglementation des banques centrales L’argent conventionnel est créé quand les banques commerciales augmentent leurs prêts en octroyant des crédits. Un prêt est simplement la création d’un compte chèque avec de l’argent. Les banques centrales limitent la création de crédit et d’argent en obligeant les banques à détenir des réserves à même de rembourser le crédit qu’elles accordent.
Le « minage » est la seule forme possible de création monétaire de bitcoins. C’est un procédé qui consiste à créer de l’argent en vérifiant les transactions de bitcoins. Comme le bitcoin est une monnaie numérique décentralisée, elle a besoin d’avoir à disposition de multiples ordinateurs pour effectuer ces calculs très complexes, nécessaires pour confirmer les transactions qui ont lieu en son nom. C’est la mécanique de base qui se cache derrière l’économie bitcoin, le minage aidant à préserver la fiabilité des transactions.
Le minage de bitcoins est une forme de commerce très compétitif et une façon efficace de dégager des profits. En échange de leurs services, les mineurs (les propriétaires des serveurs sur lesquels sont réalisés ces calculs), perçoivent un « revenu » pour les nouvelles pièces qu’ils ont créées et les frais des transactions qu’ils confirment. De cette manière, les nouvelles pièces sont distribuées de manière décentralisée, sans banque centrale. Ceci est réalisé par un «système de forage» - un système informatique unique qui effectue les calculs nécessaires à «l’exploitation minière». Les « mineurs » tirent parti de la puissance de l’ordinateur pour résoudre des problèmes cryptographiques complexes (la preuve du travail). Chaque fois qu’un problème est résolu, un bloc de bitcoins est ajouté à la chaîne et toutes les transactions qu’il contient sont ainsi validées.
Ces calculs sont intentionnellement très difficiles et coûteux à effectuer, limitant la nouvelle offre de bitcoins et préservant sa valeur. L’exploitation minière est délibérément organisée pour être ardue  à réaliser afin que le nombre de blocs traités chaque jour par les mineurs reste stable. Ceci est similaire à la façon dont les banques centrales stabilisent la création de crédit en contrôlant les réserves bancaires. Les blocs individuels de bitcoins créés par des mineurs doivent contenir une preuve du travail effectué pour être considérés comme valides. La rareté de l’offre qui en résulte par rapport à la demande explique en partie la flambée des prix du bitcoin.
L’extraction de bitcoins ressemble à l’extraction d’autres produits - elle nécessite beaucoup d’efforts et n’est pas sans rappeler la ruée vers l’or. Au départ, c’était facile et peu coûteux de le miner, ce qui a permis à quelques chanceux de s’enrichir rapidement. Lorsque l’extraction de la denrée précieuse est devenue plus compliquée et chère, son cours a augmenté, puis s’est stabilisé. Maintenant, l’or est devenu un moyen d’échange, et plus un moyen de faire du profit. Comme le Bitcoin tend à le devenir.
Pourquoi la hausse du bitcoin est-elle si spectaculaire ? S’agit-il d’une bulle?
La valeur des bitcoins, bien qu’elle fluctue toujours un peu, a tendance à se stabiliser. Il faut aussi savoir que pour éviter la déflation de sa monnaie, le créateur des bitcoins a prévu de limiter leur nombre  à 21 millions.
À son lancement, en février 2009, un bitcoin ne coûtait que quelques centimes. Au 1er décembre 2016, chaque bitcoin valait 220,46 dollars. Au début de l’année 2017, il émergeait déjà à 966 dollars. Après un été 2017 marqué par différentes crises, il a atteint un nouveau record de 5 247 dollars en octobre 2017 pour dépasser les 12 000 dollars en décembre 2017, et atteindre les 13 500 début 2018.
Si vous avez investi 100 dollars en bitcoins il y a un an, votre investissement aujourd’hui en vaut actuellement 7 300. Et sii vous avez acheté un bitcoin le jour 1 (en 2009), il vaut 320 000 fois plus aujourd’hui. Aucun autre actif largement échangé ne peut égaler cela. Pas étonnant donc que des millions de personnes cherchent aujourd’hui à surfer sur la vague bitcoin.
Il s’agit donc bien d’une bulle, générée par une demande énorme par rapport à une offre limitée. Cette demande résulte en effet de la boucle de rétroaction habituelle - la valeur des bitcoins augmente, avec pour conséquence une hausse de la demande, qui engendre de nouvelles hausses... Et cette boucle de croissance exponentielle, alimentée par la facilité de ce type d’investissement, attire les investisseurs amateurs du monde entier. Une mentalité de troupeau s’est donc développée. Ce qui est sûr, c’est que de telles bulles finissent rarement bien.
Selon le site Web CoinMarketCap, les 20 crypto-monnaies leaders sont également en forte hausse. Le litecoin est celle qui a augmenté le plus : 40 % en une semaine à la mi-décembre 2017. A en croire le magazine Bloomberg BusinessWeek, un millier de « gros poissons », soit les mille détenteurs de plus grandes quantités de bitcoins, ont la capacité de faire évoluer le marché à leur guise : ils font chuter les prix quand ils vendent, ou les font monter en flèche quand ils achètent. Environ 40 % des bitcoins sont détenus par ces très gros investisseurs qui se connaissent entre eux et peuvent décider de coordonner leurs actions. Il n’est pas illégal pour un groupe de spéculateurs de faire grimper les prix à leur guise puis de liquider leurs pièces afin d’en tirer profit. Heureusement, jusqu’à présent, ils n’ont jamais agi de la sorte. Les analystes avancent que le bitcoin, porté par les médias sociaux, a attiré une foule de spéculateurs désireux de s’enrichir rapidement, espérant pouvoir vendre avant l’effondrement de cette valeur.
Peut-on parler d’une industrie du bitcoin ?
Une véritable industrie du “minage” s’est en effet développée sur tous les continents. Pour autant, il est très difficile de miner des bitcoins aujourd’hui, car il y a beaucoup de mineurs et très peu de bitcoins. Les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir sont tellement énergivores que la création d’une pièce coûte presque le prix de l’électricité nécessaire pour l’extraire.
Très rentable pour les mineurs il y a encore trois ans, le minage permet aujourd’hui de pousser la croissance d’un nouveau marché, et d’agir indirectement sur le cours du bitcoin en contribuant au bon fonctionnement du réseau. Le seul moyen efficace de gagner des bitcoins reste donc le commerce de biens et de services. La plus grande partie étant une demande de « réserve de valeur » des investisseurs qui veulent protéger leur argent et en tirer un rendement élevé.
De nombreuses entreprises sont créées dans le but d’exploiter des niches de l’industrie du bitcoin. Coinbase.com était en tête du classement des applications téléchargées par Apple. Coinbase facilite le commerce du bitcoin, du litecoin et autres crypto-monnaies. Le respectable Chicago  Global Markets Exchange permet désormais de négocier des contrats à durée déterminée en bitcoins - l’achat et la vente en bitcoin pour une livraison future, sur un mois, six mois ou un an. La volatilité des bitcoins les rend attrayants pour de tels métiers.
Israël s’est-il investi dans le sillage du bitcoin ?
Une société israélienne appelée Natural Resources Holdings a annoncé en octobre qu’elle abandonnait l’exploitation minière du fer et de l’or pour s’orienter vers le secteur minier du bitcoin. Ses actions ont alors immédiatement explosé. Du 10 novembre à la mi-décembre, le cours de son action a été multiplié par vingt.
Selon le quotidien Haaretz, la Natural Resource Holdings a acheté une start-up canadienne de « crypto-monnaie ». En novembre, en seulement un mois, elle a « extrait » 390 bitcoins avec ses quatre fermes de serveurs, d’une valeur de plus de six millions de dollars. Il est important de noter que l’exploitation minière de bitcoins nécessite d’énormes quantités d’électricité pour alimenter les fermes de serveurs - mais l’électricité est bon marché au Canada, ce qui donne un avantage à la jeune entreprise canadienne.
Le 15 décembre, un promoteur immobilier israélien, Hanan Mor, coté à la Bourse de Tel Aviv, a déclaré qu’il commencerait à accepter des bitcoins en règlement des appartements de son projet immobilier Ir Yamim 10 à Netanya. Selon le quotidien Haaretz, c’est la première fois qu’une société israélienne accepte un règlement en crypto-monnaie. Néanmoins, il y a une limite. Le plafond est de 10 bitcoins, ou bien un quart du prix de l’appartement seulement payable en bitcoins.
Cependant, ces velléités commerciales pourraient être freinées par les autorités financières du pays qui se montrent particulièrement inquiètes par cette spéculation autour du bitcoin. Le 26 décembre, la commission de contrôle des valeurs mobilières a ainsi annoncé vouloir interdire le commerce de cryptomonnaies tant que ce type de transactions ne serait pas réglementé. Parallèlement, Israël envisage de créer une cryptomonnaie d’Etat. Un shekel digital qui permettrait, comme le bitcoin, d’effectuer des paiements sans passer par l’intermédiaire d’une banque.
Le bitcoin et les autres crypto-monnaies sont-ils une aubaine ou une bulle ?
 Le lauréat du prix Nobel, Robert Shiller, dans son livre « Finance and the Good Society » (Finance et société saine), paru en 2012, insiste sur le fait que la façon dont l’argent est emprunté et prêté peut générer d’énormes bénéfices pour la société, surtout quand la créativité humaine est impliquée. Dans le même temps, les « gros poissons » sont cupides ce qui pourrait potentiellement créer des catastrophes dans le secteur des services financiers, comme lors du crack financier de 2008.
Les banques centrales mondiales ont été très lentes à s’éveiller à l’industrie de la crypto-monnaie. Aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) vient seulement de commencer des investigations en matière de crypto-monnaie. En Israël, Shmuel Hauser, président de l’Israel Securities Authority, a envisagé avec Ittai Ben-Zeev, P.-D.G. de la Bourse de Tel-Aviv, d’exclure les entreprises minières de bitcoins des indices boursiers TASE, l’inclusion conférant une confiance et une respectabilité qui ne lui paraissent pas justifiées dans le cas de ces sociétés.
Lors des cyber attaques les plus importantes de ces derniers mois, des serveurs ont été pris en otage. Les pirates s’étaient introduits dans certains systèmes informatiques, avaient changé leurs mots de passe, puis exigé de l’argent en échange de la libération de ceux-ci. Les hackers ont souvent exigé le paiement des rançons en bitcoins, car leur traçabilité est difficile.
Comme presque toutes les innovations financières, le boom du bitcoin est à la fois une aubaine et une bulle. C’est une aubaine, car elle permet à un grand nombre de personnes et d’entreprises d’effectuer des transactions à échelle mondiale, sans avoir recours aux banques, aux cotes de crédit, aux cartes de crédit et aux chèques. Mais c’est aussi une bulle parce que l’appât du gain attire beaucoup de gens qui ont vu monter la valeur des bitcoins, et veulent gagner de l’argent rapidement, ce qui a pour effet de gonfler la valeur de chaque bitcoin à des niveaux irréalistes. Tôt ou tard, cette bulle éclatera et la fête sera finie. Et comme d’habitude, les gagnants seront les gros poissons qui auront vendu à temps, et les perdants, les investisseurs ordinaires, mal informés, qui n’auront plus qu’à vendre leurs avoirs au prix plancher.
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite