Une nouvelle initiative civile pour relancer un processus de paix moribond

Après des années d'enlisement, un espoir de paix entre Israéliens et Palestiniens

Eliaz Cohen (3è en partant de la gauche), un des initiateurs de "Deux Etats, une Patrie" (photo credit: DR)
Eliaz Cohen (3è en partant de la gauche), un des initiateurs de "Deux Etats, une Patrie"
(photo credit: DR)
Peut-on encore réinventer la paix ? Il semble bien que certains Israéliens y croient toujours dur comme fer. Après plus de 70 ans de conflit israélo-palestinien, de nombreuses propositions de résolution, ainsi que des espoirs et des échecs à répétition, une initiative baptisée Chté medinot, moledet ahat (« Deux Etats, une Patrie ») fait actuellement parler d’elle. Une énième tentative sans issue ? Peut-être. Elle a en tout cas le mérite d’exister, de faire des émules et surtout, de rassembler des personnalités de gauche comme de droite.
En quoi cette initiative, émanant de la société civile, est-elle différente des autres ? Son originalité réside dans quelques points essentiels : tout d’abord, elle ne se base plus une stricte reconnaissance historique du droit à la Terre entre Israéliens et Palestiniens ; elle prévoit ensuite la libre circulation entre les deux Etats et répond partiellement au problème du droit au retour des réfugiés palestiniens ; enfin, elle s’inspire d’un modèle de confédération et ne réclame pas le départ des résidents des implantations de Judée-Samarie. Autre point de distinction notoire : les signataires de ce texte se retrouvent sur tout le spectre politique et social israélien (nationalistes religieux comme laïques de gauche). Preuve de son intérêt grandissant, les partisans de cette initiative ont tenu début juin leur première conférence à Tel-Aviv.
Un autre regard
Le parcours d’Eliaz Cohen, l’un des fervents militants de « Deux Etats, une Patrie », illustre bien la diversité de ses sympathisants. Rien ne prédestinait celui-ci à adhérer à une telle initiative. Elevé dans l’implantation d’Elkana en Judée-Samarie, éduqué dans l’idéologie sioniste et empreint de convictions religieuses, il aurait pu ne jamais se poser de questions sur la situation de la région qui l’a vu grandir. Et suivre sans sourciller l’enseignement strict de sa yeshiva sur la fidélité à la Terre d’Israël, au peuple juif et au respect de la Torah.
A l’adolescence, il commence pourtant à travers ses lectures à s’écarter du chemin tracé par l’idéologie dominante dans les implantations, inspirée par le Goush Emounim (le Bloc de la foi), qui, dans le sillage de la guerre des Six Jours, prône le plein investissement de la Terre d’Israël. La doctrine de ce mouvement et son influence grandissante dans les milieux sionistes l’inquiètent et le conduisent à s’engager dans une nouvelle voie. Il se souvient encore avec un brin de colère des propos d’Elyakim Haetzni, cet homme politique de droite partisan des implantations, qui n’avait pas hésité à diaboliser l’idée d’un partage de la terre d’Israël. « J’étais adolescent quand il nous a dit que partager la Terre d’Israël, notre patrie, l’héritage de nos prophètes, serait comme partager sa femme avec un autre homme », se souvient Cohen.
« J’ai trouvé la comparaison scandaleuse. La voie que j’ai choisie est différente par rapport à ceux qui acceptent tout au nom du sionisme et de la religion, ne tolèrent aucune discussion sur la Terre d’Israël, et n’arrivent pas à considérer qu’il y a une autre nation attachée comme nous à cette terre, à sa beauté, à sa sainteté », explique-t-il.
Près de 30 ans plus tard, Eliaz Cohen vit toujours en Judée-Samarie dans le village de Kfar Etzion et demeure sioniste religieux. Mais il a aussi décidé d’œuvrer pour la paix et rejoint le groupe d’intellectuels, d’universitaires, d’avocats et de journalistes qui propose cette solution inédite au conflit dénommée « Deux Etats, une Patrie ». Cette initiative reconnaît le lien des deux peuples, israélien et palestinien, avec la Terre d’Israël ainsi que leurs aspirations respectives à un cadre politique indépendant. Elle prévoit de créer du Jourdain à la Méditerranée deux Etats souverains, indépendants et démocratiques. Ce projet se base sur le concept européen d’une confédération dans laquelle chaque peuple conserverait son attachement religieux et historique avec sa Terre, et où tous ses citoyens seraient égaux. Une idée ambitieuse grâce à laquelle ses promoteurs espèrent résoudre un siècle de conflit et de défiance pour conduire les deux peuples vers un avenir commun.
Le salut dans la confédération ?
Concrètement, l’initiative prévoit la création d’un Etat palestinien à l’intérieur des frontières d’avant 1967, avec Jérusalem comme capitale des deux pays. Ce projet s’inspire de la solution de « Deux Etats pour deux peuples », mais va plus loin puisqu’il déclare que la Palestine et Israël doivent être « une même entité historique et géographique du Jourdain jusqu’à la Méditerranée », et n’appelle donc pas à une expulsion des juifs du futur Etat palestinien. A l’inverse de la solution classique qui prévoit la séparation entre Israéliens et Palestiniens, « Deux Pays, une Patrie » se réfère à un système de confédération avec des frontières ouvertes, une liberté de circulation et de résidence dans un Etat ou l’autre, ainsi que les mêmes droits pour tous. Les habitants juifs de Judée-Samarie pourraient donc rester en Palestine et disposer d’un statut officiel.
Si l’idée est généreuse, les écueils ne manquent pas. Notamment sur les questions ultrasensibles de la sécurité et des réfugiés. Concernant la sécurité, le texte prévoit que les deux Etats s’engagent à résoudre les conflits qui pourraient naître entre eux « sans faire usage de la force, et à combattre toute manifestation de violence ou acte de terrorisme ». Les gouvernements respectifs devront « assurer l’ordre public dans leur propre territoire et la sécurité de leurs habitants ». Quant aux milices armées et aux organisations non autorisées, elles deviendraient hors-la-loi. Cependant, hormis cette interdiction, les contours de la coopération sécuritaire restent flous.
Sur les réparations à accorder aux réfugiés de la guerre d’Indépendance de 1948, les détails concrets prêtent également à discussion. Le projet évoque « un dispositif commun » pour gérer les indemnités dans le cadre des propriétés expropriées aux Arabes quand cela est possible, et prévoit également la possibilité de dédommager les Juifs qui ont perdu leurs biens dans les pays arabes, après la création de l’Etat d’Israël. Soulignons que dans les deux cas, le texte spécifie que les « injustices passées ne seront pas résolues en causant de nouvelles injustices », une référence à la possible éviction d’Israéliens soit des implantations, soit des maisons dans lesquelles ils habitent actuellement et qui auraient été auparavant possédées par des Arabes.
Tous bienvenus
Cette proposition doit encore faire son chemin dans les implantations où la méfiance à l’égard des Palestiniens domine. En toute logique, la plupart des Israéliens signataires de ce projet appartiennent à la gauche laïque. En font partie le journaliste Meron Rappaport, l’avocat des droits de l’homme Michael Sfard, Oren Yiftachel, professeur à l’université Ben-Gourion, Moriah Shlomot, ancien responsable de l’organisation Chalom Akhchav ainsi que de nombreux autres.
Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, le sioniste Eliaz Cohen, habitant des implantations, ne fait pas figure d’exception dans cette palette de militants. D’autres personnalités sionistes soutiennent également ce projet, tels Shlomo Riskin, fondateur et Grand Rabbin d’Efrat et son petit-fils de 18 ans, Eden, ardent défenseur de la solution « Deux Etats, une Patrie » auprès des jeunes. Pour Eliaz Cohen, ce projet ne constitue rien moins qu’un moyen « d’inoculer de l’espoir » parmi la jeunesse.
D’autres voix venant des implantations se sont également fait entendre pour participer à cette initiative. Elles viennent autant de communautés modérées en Judée-Samarie comme Alon Chevout et Tekoa, que de plus radicales comme Otniel ou Chilo. Le 2 juin à Tel-Aviv, les kippot crochetées étaient donc également nombreuses au sein de l’assistance. Leur présence illustre une nouvelle tendance politique, même si leur engagement envers la terre d’Israël reste le même, tiennent-ils à préciser. « Je pense que toute solution de paix doit être basée sur un système de confédération », explique le rabbin Yakov Nagen, habitant d’Otniel au sud de Hébron. Celui-ci a d’ailleurs défrayé la chronique, en début d’année en se rendant à l’université al-Azhar au Caire pour s’entretenir avec des chercheurs musulmans sur la religion et la paix. « Le projet “Deux Etats, une Patrie”, permettra à chaque Etat de conserver son identité nationale sans vouloir dominer l’autre. C’est essentiel pour dépasser les conflits qui bloquent le processus de paix depuis trop longtemps », explique-t-il.
« Cette initiative a l’avantage d’éviter une tragédie humaine et sociale, qui se traduirait par l’expulsion de dizaines de milliers de Juifs des implantations et par la rupture de notre attachement à la Terre de Judée-Samarie. Cette région fait certes partie de l’histoire de la Palestine mais aussi de celle du peuple juif. Si celui-ci possède une légitimité en Israël, c’est bien sur ce territoire », affirme Yakov Nagen. La tâche ne sera pas aisée, reconnaît-il, admettant bien volontiers que la plupart de ses proches soutiennent l’idée classique d’une solution de deux Etats distincts. « Ils sont rares à accepter certaines variations, mais l’espoir demeure », ajoute-t-il. Et de souligner que les mentalités sionistes évoluent sur de nombreuses questions.
« Si vous étudiez les écrits du prophète Isaïe et l’enseignement du rav Kook, l’accent est mis sur le mot paix, chalom, un terme qui signifie également connection. La solution à deux Etats – nous ici, et eux là-bas – est un modèle basé sur la séparation, qui va automatiquement engendrer des frustrations et toutes sortes de problèmes liés au terrorisme, à l’immigration et au non-respect de la loi. En un mot, sans solution de paix véritable », souligne Yakov Nagen. C’est la raison pour laquelle le rabbin d’Otniel croit fermement à une solution basée sur un système de confédération entre les deux communautés. Il admet toutefois que pour arriver à discuter de l’initiative « Deux Etats, une Patrie », un des nombreux défis est de créer une relation de confiance entre les négociateurs israéliens et palestiniens. Une tâche qui reste difficile compte tenu de la personnalité des délégués palestiniens, la plupart membres du Fatah et anciens prisonniers dans les geôles israéliennes.
Le plus grand défi : la confiance
Lors de discussions formelles ou informelles, les négociateurs israéliens comme Rappaport et Yiftachel ont noué des relations amicales avec leurs homologues palestiniens. Tels Mohammed al-Beiruti, ancien maire adjoint de Jénine, ou Awni al-Mashni qui a vécu dans le camp de réfugiés de Dhehaisheh et purgé une peine de 10 ans dans les prisons israéliennes. Ces hommes, qui se sont rencontrés des centaines d’heures au cours des quatre dernières années, ont réussi à créer des relations sincères. « Nous avons là une chance d’arriver à la paix », se réjouit al-Mashni. Un revirement pour cet homme qui dans sa jeunesse avait adopté une attitude résolument anti-israélienne. « Israéliens et Palestiniens ont tout essayé – guerres, soulèvements, accords politiques, murs – et rien n’a permis aux uns ou aux autres de déclarer victoire. Nous pouvons continuer ainsi encore 70 ans et même 700 ans, mais cela ne nous mènera nulle part. Le conflit entre nos deux peuples ne se résoudra pas par la force », insiste-t-il.
Meron Rappaport a ouvert la conférence du 2 juin en notant qu’Israéliens et Palestiniens n’étaient pas égaux, les Palestiniens de Ramallah ayant dû franchir de multiples points de contrôle pour arriver ce jour-là à Tel-Aviv. Un sentiment de culpabilité souvent exprimé par les Juifs, mais qui n’a pas son équivalent chez les Palestiniens, peu nombreux à faire amende honorable suite aux attentats contre des civils israéliens. Certes, al-Beiruti et al-Mashni sont convaincus qu’attaquer Israël ne sert pas les intérêts des Palestiniens. Pour autant, il ne semble pas qu’ils aient profondément modifié leur état d’esprit sur le meurtre d’innocents. « La roue de l’histoire tourne. Vous êtes les plus forts aujourd’hui mais ce ne sera pas toujours le cas. Vous avez besoin d’un compromis parce qu’un jour la situation va changer et nous serons les plus forts », m’a expliqué al-Beiruti en mai à Ramallah.
La question de la confiance reste donc entière, surtout à la vue des rues palestiniennes. Sur la route entre Qalandiya et Ramallah, les murs des écoles exposent des graffitis couleur sang représentant des soldats israéliens tuant des enfants palestiniens. A l’entrée des villes, des affiches font l’apologie des actes terroristes commis contre des Israéliens depuis septembre 2015. Ces posters ont-ils été placés par les autorités locales pour attiser la colère de la population locale ou s’agit-il d’une réaction spontanée de la rue ? Ce n’est pas clair.
Quoi qu’il en soit, ces affiches sont tolérées par le gouvernement de Ramallah et par le parti au pouvoir, le Fatah, dont al-Mashni, al-Beiruti, Issa Abou Ahram et les autres signataires de cette initiative sont membres. Ceci rappelle des temps sinistres, quand l’AP glorifiait les Palestiniens qui tuaient ou tentaient de tuer des Israéliens dans les années quatre-vingt-dix. A cette époque, les déclarations de Yasser Arafat soutenant les assassins ont conduit les négociateurs israéliens à dénoncer les pourparlers.
Oren Yiftachel admet que la question de la sincérité et de la confiance envers les Palestiniens est un sujet de préoccupation majeur, mais, selon lui, depuis les années quatre-vingt-dix, des efforts bilatéraux ont été faits pour instaurer un climat de confiance. L’homme se veut positif, et souligne une évolution des mentalités tant chez les Palestiniens que chez les Israéliens. C’est pourquoi il est persuadé que l’initiative « Deux Etats, une Patrie » pourrait se concrétiser.
« C’est un lent processus », dit-il « mais qui prend peu à peu ! Quand vous parlez avec des Palestiniens aujourd’hui, vous sentez bien qu’il y a une écoute positive face aux idées que nous présentons et qu’il est possible de discuter. » Il parle également d’une réaction similaire chez les résidents des implantations. « S’ils ne se montrent pas véritablement enthousiastes, vous voyez qu’ils prennent le temps d’écouter. La société change et évolue positivement. A nous de présenter un projet à même de répondre aux inquiétudes », conclut-il.
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