Voisinage difficile

Alors que la situation dans le Sinaï se complique de plus en plus avec la montée en puissance des combattants affiliés à l’Etat islamique, l’Egypte et le Hamas tentent un rapprochement

Rafah, poste frontière entre le sud de la bande de Gaza et l’Egypte (photo credit: REUTERS)
Rafah, poste frontière entre le sud de la bande de Gaza et l’Egypte
(photo credit: REUTERS)
Fin janvier, Ismaïl Haniyeh, le désormais ex-chef du Hamas, était en visite au Caire où il a notamment rencontré le chef des services de renseignements égyptiens, Khaled Fawzi. Objectif : tenter de réchauffer les liens avec l’Egypte. Les échanges ont essentiellement porté sur la levée du blocus de Gaza que le Hamas appelle de ses vœux. Mais Le Caire ne souhaite prendre aucun risque, et réclame certaines conditions afin de s’assurer que le passage de Rafah soit sécurisé. En tête de celles-ci, la fin de la coopération entre l’organisation islamiste de Gaza et les terroristes du groupe Ansar Bait al-Maqdis, rebaptisé Province du Sinaï de l’Etat islamique depuis qu’il a prêté allégeance à l’EI en 2015.
Malgré sa supériorité numérique et son armement de pointe, l’Egypte a été jusqu’ici incapable de défaire les djihadistes du Sinaï et subit des attaques régulières. Israël se trouve lui aussi dans la ligne de mire des terroristes. Le récent barrage de roquettes tiré sur la ville d’Eilat n’est qu’une piqûre de rappel du danger représenté par ces islamistes pour l’Etat juif, quelques années après l’embuscade mortelle de la route 12 en 2011. Faisant cause commune avec Le Caire, Jérusalem a donc permis à son voisin d’envoyer plus de troupes à proximité de sa frontière que ne le permet le traité de paix signé en 1979 par Begin et Sadate.
Un accord entre Le Caire et le Hamas est-il envisageable alors que les différentes parties impliquées présentent des agendas bien différents ?
Une épine dans le pied du Caire et de Gaza
De plus en plus présente dans le Sinaï, l’organisation terroriste affiliée à l’EI semble pour le moment avoir les cartes en main. Elle s’est engagée dans une véritable guérilla, tout en ayant l’avantage de n’avoir aucun territoire à défendre. Elle n’a pas non plus peur de perdre ses soldats, tous prêts à mourir pour la cause. Tout en harcelant les forces du régime dans le nord de la péninsule, les djihadistes organisent également des opérations en profondeur sur le territoire égyptien, infligeant de nombreux revers au président Abdel Fattah al-Sissi qui tente désespérément de stabiliser son pays au niveau politique et économique.
La Province du Sinaï gêne également le Hamas, en perturbant ses efforts pour maintenir la contrebande d’armes depuis la péninsule. Afin de s’attirer les bonnes grâces des islamistes du Califat, le Hamas se trouve acculé à coopérer avec ces derniers, permettant aux combattants blessés de se réfugier à Gaza lorsque cela est nécessaire. Les djihadistes peuvent également s’entraîner dans l’enclave palestinienne sans craindre l’armée égyptienne, en échange de leur aide dans le transfert du matériel militaire via les quelques tunnels qui n’ont pas été détruits par l’Egypte. Il n’empêche que le Hamas aimerait bien avoir les mains libres dans le Sinaï.
Les quelque 700 combattants de l’EI réfugiés à Gaza que le Hamas refuse de livrer à l’Egypte ne sont que l’un des points
d’achoppement entre Le Caire et les dirigeants de l’enclave palestinienne. Ces dernières années, les tensions se sont accumulées entre les deux voisins. Ces frictions s’expliquent d’abord par la carte génétique du Hamas qui n’est autre qu’une branche des Frères musulmans, un mouvement éjecté du pouvoir en Egypte par le soulèvement populaire mené par l’armée en 2013.
Depuis, la confrérie a été déclarée organisation terroriste par Le Caire, et ses membres combattent le nouveau régime. Le Hamas a ainsi été impliqué dans de nombreuses activités terroristes au pays des pyramides. Il a pris part à des attaques contre les prisons égyptiennes au début de la révolte contre Moubarak en 2011 pour libérer un des commandants de son aile militaire ainsi que Sami Shihab, militant du Hezbollah libanais capturé en 2009 alors qu’il préparait un attentat contre le canal de Suez sur ordre de l’Iran. Après avoir été accusée d’avoir tué des soldats et des policiers égyptiens dans le Sinaï aux côtés d’autres organisations terroristes, l’aile militaire du mouvement palestinien, les brigades Ezzedine al-Qassam, a été déclarée organisation terroriste par le gouvernement d’al-Sissi. Si l’Egypte s’est gardée de qualifier l’ensemble du Hamas de formation terroriste – probablement en raison du soutien du Caire à la cause palestinienne – les activités de ce dernier en Egypte ont depuis lors été interdites.
Un difficile compromis
Le Hamas, qui sait bien que son seul accès au monde extérieur réside dans le point de passage de Rafah ouvert par l’Egypte une fois par mois ou tous les deux mois à des fins humanitaires, se trouve sous pression : alors que la situation économique dans la bande de Gaza est catastrophique, ses dirigeants savent qu’il leur faut redonner de l’espoir à une population qui commence à montrer des signes de révolte. Dans ce contexte, la réouverture définitive du point de passage de Rafah, propice au développement des relations commerciales avec l’Egypte, tomberait à pic.
Mais selon certaines informations en provenance du Caire, les pourparlers se révèlent laborieux et les chances de voir un compromis émerger sont minces.
Le Hamas restera toujours une branche des Frères musulmans honnis en Egypte, et continuera à faire transiter des armes par le Sinaï en préparation d’un nouvel affrontement avec Israël. Il ne se pliera pas non plus aux exigences du Caire de livrer les combattants de l’EI qui se cachent à Gaza, et ce pour deux raisons : éviter une confrontation directe avec les islamistes du Sinaï ainsi que des tensions internes au Hamas entre le bureau politique et l’aile militaire qui a pris fait et cause pour les djihadistes. Les combattants de la Province du Sinaï semblent donc avoir encore de beaux jours devant eux, tant qu’ils tiennent tête à l’armée égyptienne et qu’ils maîtrisent les routes par lesquelles passe la contrebande à destination de Gaza.
L’Egypte, de son côté, pose certaines conditions à l’amélioration de ses relations avec le Hamas. Elle aimerait notamment voir le mouvement islamiste se réconcilier avec Ramallah et accepter une trêve de longue durée avec Israël. Le gouvernement du Caire presse par ailleurs son voisin de trouver un accord avec l’Etat juif concernant les deux citoyens israéliens retenus prisonniers à Gaza après avoir traversé la frontière par erreur, et le rapatriement des corps de deux soldats tués lors de la guerre de 2014. Autant de points de désaccord qui rendent le rapprochement entre Gaza et Le Caire très incertain.

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