La culture selon Miri Reguev

A coup de déclarations super-patriotiques, l’ancienne porte-parole de Tsahal est parvenue à se hisser jusqu’au cabinet ministériel. Mais sa stratégie de va-t-en-guerre pourrait ne plus fonctionner

Miri Reguev (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Miri Reguev
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Si Netanyahou ne me confie pas un portefeuille de ministre », avait menacé Miri Reguev en décembre dernier, « je déclarerai la guerre ! »
Six mois plus tard, le chef du gouvernement a nommé Miri Reguev au ministère de la Culture et des Sports, mais cela ne l’a pas empêchée de se jeter dans la bataille, prouvant ainsi que même à la tête d’un portefeuille relativement mineur, on peut provoquer une véritable tempête médiatique et enflammer la sphère publique. Bien qu’en poste depuis quelques semaines à peine, la générale de brigade à la retraite et ancienne porte-parole de Tsahal, a déjà réussi à se mettre à dos la majorité de la communauté artistique qu’elle est censée servir.
Dans les faits, Miri Reguev a décidé de suspendre le financement du théâtre Al-Midan de Haïfa. La raison : la pièce Parallel Time est inspirée de l’histoire d’un Palestinien condamné pour son implication dans l’enlèvement et le meurtre du soldat de Tsahal Moshé Tamam en 1984. La famille de la victime s’était sentie offensée. Mais le théâtre avait ignoré son opposition. Certes, la ministre de la Culture, qui était censeur en chef de Tsahal avant d’en être nommée porte-parole, ne peut censurer les créations culturelles ou fermer les salles. Elle est en revanche chargée de décider du montant des subventions et de leur destination.
Et son attitude par rapport à la pièce Parallel Time n’est pas un fait isolé. Ce ne serait, au contraire, semble-t-il, que le premier volet de l’offensive menée par l’ancienne générale de brigade. En effet, à la suite du refus de l’acteur arabe israélien Norman Issa de jouer dans une pièce du théâtre de Haïfa qui se produisait au-delà de la Ligne verte, Miri Reguev a déclaré qu’elle reverrait les subventions versées au théâtre Almina qu’il dirige à Jaffa. Le cas de Norman Issa est totalement différent de celui de la pièce Parallel Time. Chrétien maronite, l’acteur a joué dans de nombreuses pièces et films israéliens et a fondé avec sa femme de confession juive un théâtre où des enfants juifs et arabes apprennent et s’exercent ensemble à l’art dramatique. En outre, son refus de se produire dans les localités de la vallée du Jourdain ne s’est pas manifesté au nom d’une institution. Il s’agissait d’une protestation qui, quoique controversée, est néanmoins partagée par une partie de l’opinion israélienne.
Entre-temps, Miri Reguev a ouvert un troisième front qui, cette fois, a pris de court ses adversaires de la gauche. Elle s’est attaquée au Festival international du film de Jérusalem, reprochant à ses organisateurs d’avoir programmé un documentaire sur Yigal Amir, l’assassin de l’ancien premier ministre Itzhak Rabin, qui le montre sous un jour plus humain. De nouveau, la ministre de la Culture et des Sports a menacé de retirer ses subventions. Les organisateurs du festival ont annoncé que le film serait supprimé du programme officiel, mais serait projeté lors des avant-premières.
Guerre culturelle…
Tout a commencé quand, lors d’une réunion avec les principaux responsables de la culture, Miri Reguev a ouvert les hostilités en déclarant : « Nous avons gagné 30 mandats et vous n’en avez reçu que 20. » Lorsqu’on lui a demandé de préciser qui elle désignait par ce « vous », la ministre a répondu : « la gauche ». La gauche qu’elle accuse de s’être « appropriée la culture israélienne ».
Puis la ministre a précisé ses intentions : « Je définis les critères de distribution des fonds. Je peux décider que certaines institutions n’en bénéficieront pas. Je peux décider que toutes les subventions iront à la périphérie et en Judée-Samarie. » Au cas où on l’aurait mal comprise, elle a prévenu : « Les artistes ne vont pas me dicter ce que je dois faire. »
Comme c’est souvent le cas dans les déclarations de guerre, la riposte n’a pas tardé. C’est l’acteur Oded Kotler qui est monté au créneau en lui répondant du tac au tac : « Derrière vos 30 mandats marche un vulgaire troupeau. » Ce discours prononcé à Jaffa lors d’une manifestation contre cette nouvelle politique culturelle a provoqué des condamnations de part et d’autre de l’échiquier politique, de Benjamin Netanyahou au chef de l’opposition Itzhak Herzog. Ce dernier a dit que Kotler déshumanisait ses adversaires, quand l’écrivain Amos Oz a, lui, déclaré : « Ceux qui appellent à un dialogue avec l’ennemi doivent aussi dialoguer avec des ennemis politiques difficiles et dangereux. »
Kotler, qui a joué dans le film basé sur le roman d’Amos Oz, Mon Michaël, n’a pas retiré ses propos. D’autres se sont joints à la bataille, comme le metteur en scène Joshua Sobol : il a suggéré que la ministre de la Culture devrait plutôt être appelée ministre de la Propagande, ajoutant que certains régimes avaient eu de merveilleux ministres de la propagande. Suite à cette allusion à Joseph Goebbels, ministre de la Propagande nazie, on lui a demandé de se rétracter, ce qu’il a refusé de faire. Cette guerre des mots a été suivie par une pétition où l’on a pu lire : « Nous n’allons ni censurer ni couper nos créations à cause de vos lois, menaces et intimidations. » Cette protestation a été signée par des centaines d’artistes, dont le photographe David Rubinger, le chorégraphe Ohad Naharin et l’actrice Guila Almagor, récipiendaires du prix d’Israël.
La ministre de la Culture et des Sports voyant qu’elle avait déclenché une telle chaîne de réactions a fait marche arrière, retirant sa menace contre le théâtre des enfants de Jaffa, puis déclarant à l’émission Rencontre avec la presse de la 2e chaîne de télévision, qu’elle était la ministre de tous et que, comme telle, elle ne pouvait satisfaire chacun. « Ce serait d’ailleurs bien ennuyeux » a-t-elle poursuivi, en affirmant que son seul souhait était de voir les institutions qu’elle subventionne respecter les limites qu’elle définit. De son côté, Ori Reshtik, directeur de l’Association des acteurs a appelé à l’établissement d’un forum de discussion qui fixerait « la frontière entre une création artistique et une production qui dénigrerait Israël ».
Cessez-le-feu. Samedi 20 juin, la ministre posait tout sourire aux côtés de Norman Issa. Dimanche, le président de l’Etat Reouven Rivlin invitait les deux camps dans sa résidence de Jérusalem afin de calmer les esprits.
… Ou simple bataille politique ?
On peut se demander si l’on n’a pas fait beaucoup de bruit pour rien. Finalement, le budget du ministère de la Culture et des Sport est de 961 millions de shekels, ce qui ne représente que 0,33 % du budget du gouvernement. Sans compter qu’il doit également couvrir des dépenses moins idéologiques, comme celles consacrées aux sports ou aux bibliothèques. D’ailleurs, il est fort probable que ce qui a été fait avant l’arrivée de la nouvelle ministre continuera à être fait, hormis quelques légers ajustements. La question n’est donc pas de savoir dans quelle mesure Miri Reguev influencera la scène culturelle israélienne, mais plutôt de comprendre la raison de son acharnement.
L’idée que les artistes israéliens s’opposent à sa politique, pour conventionnelle qu’elle soit, n’est plus tout à fait vraie. Le temps des grandes icônes culturelles qui croyaient au grand Israël est révolu. Dans le monde artistique d’aujourd’hui, on ne trouve pas de figures qui aient les vues politiques du poète Nathan Alterman, des romanciers S.Y. Agnon, Moshé Shamir et Haïm Hazaz, du réalisateur et satiriste Ephraïm Kishon, ou de la poétesse et chanteuse Naomi Shemer. Tous issus de la génération d’avant la guerre des Six Jours, ils étaient de purs « faucons ». Aujourd’hui, les écrivains les plus connus, Amos Oz, A.B. Yehoshua, David Grossman et Meir Shalev sont tous des avocats de la paix comme le sont les noms célèbres de la scène artistique, le sculpteur Yigal Tumarkin, le peintre Yaïr Garboz ou le poète Nathan Zach. Ce sont probablement eux qui ont inspiré la déclaration abrupte « nous et vous » de la ministre.
Agés de soixante-cinq à quatre-vingts ans, ils laissent ainsi peu à peu la place à une génération moins politisée, née après 1967. Les nouveaux écrivains comme Etgar Keret, Eshkol Nevo ou Asaf Givron gardent leurs distances avec les figures éminemment engagées de leurs aînés. En outre, la scène artistique est moins monolithique que la ministre ne le suggère. La droite est soutenue par des artistes reconnus comme le grand acteur Haïm Topol, le chanteur Yehoram Gaon et le comédien Moti Guiladi.
Enfin, cette déclaration « nous avons gagné, vous avez perdu », est bien exagérée, comme d’ailleurs le ratio que Miri Reguev a cité. Puisqu’il ne s’agit pas de 30 et 20 sièges, respectivement au Likoud et au Camp sioniste, mais de 30 et 24.
La va-t-en-guerre du Likoud
Miri Reguev, fille d’immigrants du Maroc, élevée dans le milieu prolétarien de Kiryat Gat, a réussi à gravir les échelons de la hiérarchie militaire. Titulaire d’un MBA, elle est parvenue à se hisser jusqu’au poste très respecté de porte-parole de Tsahal.
Plus tard, son entrée dans la vie politique ne s’est pas faite en douceur, mais dans le style militaire, avec des apparences publiques scandées de gestes patriotiques exacerbés. On se souvient particulièrement d’une allocution devant des étudiants. Miri Reguev, sur un ton enflammé, finissait chacune de ses phrases par l’ordre d’applaudir, puis, saisissant un large drapeau israélien, elle déclarait : « C’est notre Etat ! Notre travail est de le préserver avec des lois sionistes. » Une tactique qui semble avoir fonctionné.
Miri Reguev est rapidement devenue un des personnages principaux de l’émission satirique Eretz nehederet, où elle a été caricaturée en une parfaite inculte. Une image qui, loin de la desservir, l’a aidée, lors des primaires du Likoud, à se propulser au quatrième rang du parti.
Une stratégie va-t-en-guerre qui l’a menée jusqu’au cabinet ministériel. Reguev n’a donc aucune raison de changer de politique. Mais en chemin, la nouvelle ministre s’est fait plus d’ennemis que ceux qu’elle s’était initialement désignés. Se référant à la menace de Reguev de supprimer les fonds pour le théâtre Almina de Jaffa, une collègue de son parti, la ministre de l’Egalité des sexes Guila Gamliel, a parlé d’une idée anti-culturelle et du fait qu’elle attendait plutôt de la ministre une augmentation des subventions à ce théâtre pour donner l’opportunité à des enfants d’apprécier la culture.
Miri Reguev, toujours sur le qui-vive de ses années militaires, a rétorqué en ordonnant à sa collègue de « se mêler de son propre ministère ». Il n’est pas sûr que Guila Gamliel obéisse. Ce qui est probable en revanche, c’est que la stratégie de Miri Reguev, de grimper un à un les échelons politiques grâce à des offensives patriotiques, puisse ne plus fonctionner. 
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