La vérité est-elle morte ?

Hommes politiques et médias jouent sur le même tableau quand il s’agit d’adapter les faits selon leurs besoins

Des journaux anglophones (photo credit: PIXABAY)
Des journaux anglophones
(photo credit: PIXABAY)
Voici le titre accrocheur qui s’étalait le 23 mars en couverture du Time. C’est sur Donald Trump, accusé de ne pas toujours faire la différence entre le vrai et le faux, que l’hebdomadaire américain décoche ses flèches, cependant, la question appelle une plus profonde réflexion. Est-il possible de tuer la vérité ? On peut certes s’efforcer, souvent avec succès, de la cacher ou de la travestir. C’est d’ailleurs bien ce que l’article dit, après lecture attentive.
Mais pourquoi cibler exclusivement la nouvelle administration à Washington ? Il suffit d’ouvrir n’importe quel journal pour voir comment la présentation d’un événement arrive à en masquer la réalité. Une vieille histoire du temps de l’Union soviétique fait état d’une course où il n’y a que deux participants, l’un Russe, l’autre Américain. C’est ce dernier qui devance son concurrent sur la ligne d’arrivée. Titre en une, au lendemain de l’événement : le Russe est arrivé second, et l’Américain avant-dernier. Le récit est apocryphe, bien évidemment, mais il met en évidence le fait qu’on peut tromper le lecteur tout en rapportant strictement la vérité.
Imaginons un instant le titre suivant : « La police britannique abat un individu d’une cinquantaine d’années devant les grilles du parlement. » On imagine l’indignation des lecteurs. C’est pourtant bien ce qui s’est passé après l’attentat de Londres, non ? Cependant, même si c’est la vérité, ce n’est pas toute la vérité. S’agissant d’Israël, c’est ainsi que sont généralement présentés les faits. Prenons deux articles de la presse française. L’un, daté du 13 mars, annonce : « Un assaillant tué par la police israélienne. » Il faut continuer la lecture pour apprendre qu’il s’agit d’un Palestinien qui venait de blesser à coups de couteau deux garde-frontières. L’autre article, paru dans Le Parisien du 27 mars, relate un événement semblable qui se déroule à Paris, sans lien avec Israël : « Un policier blessé à l’arme blanche, son collègue tue l’agresseur. » L’arme blanche en question était une paire de ciseaux ; le policier, légèrement blessé au thorax, « a effectué un bref passage à l’hôpital pour se faire poser un point de suture. » Dans l’un et l’autre cas, le lecteur pressé n’aura vu que le titre. Blaise Pascal l’avait déjà dit : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Quant à cet illustre tableau, vieux de plus d’un siècle, il montre la Vérité, sortant nue d’un puits, tandis qu’autour d’elle des mains se tendent pour la vêtir – ou la rejeter à l’intérieur du puits.
On pourrait en déduire que la vérité a besoin d’être habillée pour être présentable – ou que toutes les vérités ne sont pas bonnes à être sorties du puits. Question d’interprétation.
Mais revenons au Time magazine, qui se demande si les propos du président Trump mettent à mal la vérité. Il est étonnant qu’il ait fallu tant de temps au vénérable hebdomadaire, fondé en 1923, pour découvrir ce que ses lecteurs savaient déjà : en Amérique comme en France, en Israël, en Turquie, en Russie, au Japon et partout ailleurs, les hommes politiques ne disent pas toujours la vérité. Pourtant, ils n’ont toujours pas réussi à la tuer…
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