L'avion F-35, un fleuron technologique de 85 millions de dollars

Israël s’apprête à prendre livraison du F-35, mais est-ce réellement l’arme dont a le plus besoin Tsahal au vu des changements stratégiques dans la région ?

Le ministre de la Défense aux commandes du F-35 (photo credit: ARIEL HERMONI / DEFENSE MINISTRY)
Le ministre de la Défense aux commandes du F-35
(photo credit: ARIEL HERMONI / DEFENSE MINISTRY)
Fin juin, dans la base militaire de Fort Worth au Texas. Remplaçant depuis peu Moshé Yaalon au poste de ministre de la Défense, Avigdor Liberman, accompagné d’officiers supérieurs de l’armée de l’air israélienne et de représentants du Pentagone, visite la ligne de montage du premier avion de combat F-35 qui sera livré à Israël. Un mois plus tard, toujours à Fort Worth, le premier engin, destiné à Heil Haavir, totalement opérationnel et doté de ses nouveaux systèmes avioniques, est testé par un pilote de Lockheed Martin, constructeur de l’appareil.
On ne peut pas plaire à tout le monde
Lors de son voyage, Liberman était accompagné par un groupe conséquent de journalistes israéliens spécialistes en défense et sécurité, qui ont pu apprécier l’hospitalité de Lockheed Martin, le déplacement étant tous frais payés. Le département de relations publiques de la compagnie américaine a investi, notamment via ses représentants en Israël, beaucoup d’énergie et de ressources afin de plaire à son client israélien et de créer un environnement favorable à son produit phare au sein des médias, de l’establishment militaire et du public israélien en général. Une démarche naturelle pour cette entreprise qui a, pendant des années, été sous le feu des critiques émanant aussi bien du Congrès et de l’administration américaine, des experts et professionnels du secteur de la défense, que de certains pilotes d’essai qui ont semé le doute quant aux capacités et performances du F-35.
La critique du dernier né de Lockheed Martin est plurielle. Le F-35, qui sera connu en hébreu sous le nom d’« Adir », que l’on pourrait traduire par grand, puissant, majestueux ou encore impressionnant, est le programme d’armement le plus cher de l’histoire, affichant un coût total pour le contribuable américain avoisinant 1,5 billion de dollars. Car depuis son lancement en 2006, le programme a été perturbé par des dépassements de budget et des retards. Un montant (mille cinq cents milliards de dollars) considéré, même pour les standards du Pentagone, comme une somme énorme et disproportionnée.
L’engin a également dû atterrir d’urgence à deux reprises pour cause de problèmes techniques. La dernière fois, en juin 2014, un feu s’était déclaré à proximité des moteurs lors de la préparation d’un vol d’essai à la base aérienne américaine, Eglin. Le pilote s’en est sorti sans dommages, mais l’accident a interrompu les tests pour quelques jours. Un an plus tard, le département d’entraînement et d’instruction de l’US Air Force (AETC) a publié son rapport officiel sur l’incident, concluant à une défaillance technique.
A cause de son coût et des défauts apparents de l’appareil, certains groupes civils et militaires ont surnommé le F-35 « le plus grand gâchis sur terre », et ont appelé à la fin du programme. Mais Lockheed Martin, qui dispose d’un fort groupe de pression au Congrès et au Pentagone, a su faire face à ses détracteurs et survivre à la tempête.
Les différentes controverses autour du programme F-35 ont également atteint Israël, générant un débat public mais de bien moins grande envergure. En 2010, Youval Steinitz, alors ministre des Finances, avait publiquement regretté le choix israélien. Il expliquait alors qu’une décision de cette importance, avec d’aussi grandes implications en matière d’économie et de défense, ne devait pas être laissée à la seule discrétion du ministre de la Défense, du chef d’état-major et du commandant de l’armée de l’air. Il proposait une prise de décision plus collégiale impliquant des membres du gouvernement, notamment ceux en charge des questions économiques.
Un an plus tard, en 2011, l’ancien ministre de la défense Moshé Arens, ingénieur aéronautique de profession, se déclarait contre l’acquisition du F-35. Connu pour ses positions en faveur d’un certain protectionnisme économique, il considérait qu’Israël n’avait pas besoin de l’engin pour maintenir son avance technologique sur les pays arabes et que l’Etat juif ferait mieux de développer son propre appareil.
Certains anciens officiers des forces aériennes israéliennes ont également critiqué les capacités de l’avion de chasse et exprimé leurs réserves quant au fait que l’appareil de Lockheed Martin soit idéal pour répondre aux défis auxquels fait actuellement face Israël. Critiques énoncées sous couvert de l’anonymat, de crainte de s’attirer les foudres de leurs collègues actuellement sous les drapeaux.
Le bijou de l’aviation militaire, mais pour quoi faire ?
L’appareil, dont le nom complet est F-35 Lightning II, appartient à la famille des avions de combat multirôles, furtifs, à siège unique et dotés d’un seul moteur. En tant qu’avion de combat le plus avancé actuellement, il est destiné à transporter 16 tonnes de missiles, bombes et carburant afin de réaliser des attaques au sol et des missions de défense aérienne. Tout en échappant aux systèmes de défense anti-aérienne et en évitant de se faire repérer par les radars.
Israël s’est jusqu’à présent engagé à acheter 33 avions, livrables d’ici 2021 au rythme de 7 ou 8 appareils par an. L’Etat juif a également pris une option sur 42 autres jets. Le total du contrat avoisine les 2,7 milliards de dollars, ce qui signifie que chaque avion coûte la bagatelle de 85 millions de dollars. Mais c’est sans compter les demandes spéciales d’Israël en matière d’avionique et d’électronique embarquée. Avec ces suppléments, le coût par unité monte à 100 millions de dollars. La somme sera déduite de l’aide militaire annuelle de 3,1 milliards de dollars attribuée par les Etats-Unis à Israël et qui devrait être réévaluée à hauteur de 3,7 milliards début 2018.
Il semble évident que la décision d’acquérir le F-35 se fait aux dépens d’autres systèmes d’armement dont Tsahal pourrait avoir besoin. Pour le prix d’un de ces nouveaux avions, l’armée de l’air israélienne pourrait par exemple se renforcer de trois ou quatre des F-16 les plus avancés.
Sept autres pays – Australie, Royaume-Uni, Italie, Japon, Pays-Bas, Corée du Sud et Turquie – se sont engagés à acquérir l’appareil. Certains sont déjà en train de le tester, notamment le Royaume-Uni. Mais Israël reste un client essentiel de Lockheed Martin, peut-être le plus important. L’Etat juif sera le premier pays du Proche et Moyen-Orient à recevoir le F-35 avant même la Turquie, pourtant membre de l’OTAN. A n’en pas douter, le constructeur américain espère que l’utilisation de son avion par Tsahal lui fera une efficace promotion. Les pilotes israéliens sont déjà basés à Fort Worth afin d’apprendre à maîtriser leur nouvel outil. Les deux premiers avions parés de l’étoile de David seront eux acheminés par des pilotes américains à la base de Nevatim dans le désert du Néguev, en décembre prochain.
Israël a été parmi les premières nations à demander au gouvernement américain une dotation en F-35, et ce dès 2003.
Le gouvernement israélien de l’époque signant une requête formelle pour intégrer le SDD (System Development and Demonstration), le programme de recherche entourant le projet F-35, en tant que participant à la coopération sécuritaire avec les Etats-Unis. Le projet F-35 en était alors à ses balbutiements.
Cinq raisons au moins ont motivé l’Etat juif à intégrer ce programme. En premier lieu, Tsahal et son aviation ont toujours cherché à être à l’avant-garde scientifique et technologique afin de préserver leur avantage militaire et leur supériorité aérienne sur les ennemis arabes et l’Iran. Deuxième point, en participant au programme, Israël a encore amélioré ses relations déjà étroites en matière de sécurité avec les Etats-Unis. Troisièmement, l’accord prévoit que des sociétés israéliennes produisent certaines pièces de l’appareil pour Lockheed Martin. Par exemple, Israel Aerospace Industries (IAI) manufacture les ailes du F-35. Quatrième raison, Tsahal a considéré que posséder le nouvel avion américain améliorerait la dissuasion israélienne et lui permettrait notamment de mener des attaques préventives contre des nations hostiles. Enfin, la cinquième et dernière considération était et reste l’Iran. Les Israéliens ont à l’époque estimé que d’ici la mise en service du F-35, la République islamique aurait été capable de produire ses premières bombes nucléaires. Dans ce cas de figure, le F-35 aurait donné à l’aviation israélienne de meilleures capacités d’action au cas où un raid contre les installations iraniennes eût été décidé.
Mais depuis, l’Iran a signé avec les pays du P5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) un accord visant à ralentir son programme nucléaire pour au moins dix ans. De plus, le Printemps arabe de 2010, qui a tourné au carnage régional entraînant dans son sillage révolutions et guerres civiles, a quasiment réduit à néant trois armées arabes (syrienne, irakienne et libyenne), perçues auparavant par Israël comme des menaces sérieuses.
Ces changements à l’échelle régionale, ayant mené au déclin des Etats-nations et de leurs armées régulières et à l’émergence de groupes terroristes, principalement l’Etat islamique, peuvent conduire à nous interroger sur l’utilité d’une arme comme le F-35 aujourd’hui. Est-ce réellement le type d’équipement dont Israël a besoin pour faire face aux défis qui l’attendent dans un futur proche ? Ce point est discutable. Quoi qu’il en soit, l’armée de l’air israélienne sera d’ici la fin de l’année 2016 en possession de l’une des armes les plus avancées et les plus chères au monde.
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