Cannabis cacher

Alors que l’utilisation de la marijuana à des fins médicales se répand en Israël et aux Etats-Unis, les autorités rabbiniques mettent leur grain de sel

Culture de marijuana près de Safed (photo credit: REUTERS)
Culture de marijuana près de Safed
(photo credit: REUTERS)
Printemps 2015. L’Orthodox Union se trouve dans l’embarras : l’Etat de New York est sur le point de lancer son programme de marijuana thérapeutique et l’OU, l’une des principales agences de certification de cacherout, a été contactée par plusieurs entreprises soucieuses d’obtenir son label. Mais comment apposer son tampon sur une drogue illégale dans la plupart des pays du monde ?
« Le jour où cette interrogation a surgi, je recevais, pour discuter d’un autre sujet, une autorité rabbinique reconnue », se souvient le rav Moshé Elefant, directeur général du département cacherout de l’OU. « Après avoir entendu ma conversation téléphonique, mon invité m’a confié que son épouse souffrait de douleurs de dos chroniques, et que la seule chose qui la soulageait un peu était la marijuana. »
La question a soulevé des débats très vifs au sein de la direction de l’OU, mais les nombreux témoignages de personnes dans le cas de cette femme ont aidé à emporter la décision. Ainsi, lorsqu’en janvier 2016, le cannabis médical est apparu sur le marché pharmaceutique new-yorkais, Vireo Health of New York – l’une des cinq entreprises détenant une licence d’Etat pour l’exploiter – a lancé ses produits avec le symbole OU sur tous ses emballages. Cette société commercialise des huiles, des gélules et des inhalations exclusivement vendues sur ordonnance. L’Etat de New York interdit toujours l’usage du cannabis sous forme de cigarettes ou de produits alimentaires.
Alors que six Etats américains ont légalisé son usage à des fins récréatives, New York est l’un des 25 Etats à avoir rendu licite la marijuana à usage médical, tout comme l’ont fait le Canada, l’Autriche, la République tchèque, la Finlande, l’Allemagne, l’Italie et Israël. A mesure que la légalisation se répand, les autorités rabbiniques sont sollicitées pour donner leur aval à la consommation d’une drogue encore interdite il n’y a pas si longtemps. Jusqu’à présent, les agences de certification se sont généralement montrées ouvertes à cette idée. « Du moment qu’elle est prescrite par un médecin, il n’y a aucun problème », estime le rabbin Don Yoël Levy, directeur et administrateur de l’agence de certification de cacherout OK. « D’ailleurs, le cannabis est bien moins nocif que beaucoup d’autres médicaments qui bénéficient de labels de cacherout. »
Garantie de fiabilité
Maintenant que la marijuana devient aisément disponible, notamment à New York, où la population juive est importante, de plus en plus d’entreprises pharmaceutiques demandent la certification « cacher ». A ce jour, une seule a obtenu le tampon de l’OU. « Deux raisons principales nous ont incités à solliciter la certification de l’Orthodox Union », indique Ari Hoffnung, PDG de Vireo Health of New York, la société ayant obtenu le précieux label. « La première, c’est que nous opérons auprès de la plus vaste communauté juive des Etats-Unis, et que nous tenons à répondre aux besoins des patients qui se conforment à des règles alimentaires particulières. » Mais outre cette approche pragmatique, l’obtention d’un label de cacherout revêt, selon Ari Hoffnung, une autre implication, plus subtile. « Malheureusement, le cannabis continue à avoir mauvaise presse, même lorsqu’il est thérapeutique », explique-t-il. « Nous avons donc voulu indiquer aux New-Yorkais, de toutes confessions et origines, que les patients ne doivent pas se sentir honteux ou coupables d’y avoir recours, surtout lorsqu’il est recommandé par leur médecin. » Or, la grande majorité des habitants de la Grosse Pomme connaissent le principe de la cacherout. « Quand ils voient qu’une grande organisation juive orthodoxe certifie un produit, ils savent que la décision a été pensée et que c’est une garantie de fiabilité. Je suis donc persuadé que ce tampon va aider à combattre la mauvaise image qui subsiste autour du cannabis médical. »
Bien qu’elle apparaisse comme un gigantesque pas en avant, les parties concernées affirment que la certification a été accordée sans difficulté majeure. « Nous ne nous attendions pas à rencontrer de réels problèmes », raconte Moshé Elefant au sujet de l’inspection menée par l’OU chez Vireo. « Nous avons passé en revue tous les ingrédients utilisés dans la fabrication du produit que nous devions certifier, nous avons visité les lieux où se déroule celle-ci, selon notre méthode classique… bref, le processus n’a pas été différent de ce que nous faisons habituellement. »
De son côté, Ari Hoffnung assistait à ces vérifications pour la première fois. « Ils ont suivi leur procédure normale, semble-t-il », indique le PDG. « Ils ont posé une multitude de questions et cela a donné lieu à des conversations passionnantes. Nous avons trouvé ces gens extraordinairement talentueux, très judicieux dans leur approche. Je les ai trouvés sympathiques et ouverts, très concentrés sur les aspects scientifiques et sur le mode d’action de nos produits. Ils ont aussi passé beaucoup de temps avec notre personnel pour comprendre le fonctionnement de notre chaîne de production ainsi que le procédé de fabrication. »
Pourtant, si les autorités rabbiniques américaines sont disposées à agréer le concept de cannabis thérapeutique, elles freinent des quatre fers lorsqu’il s’agit de marijuana consommée par des gens qui ne sont pas malades. Ainsi Moshé Elefant insiste-t-il sur le fait que Vireo Health of New York est la seule entreprise produisant cette drogue à avoir reçu l’agrément de l’OU, malgré le nombre de requêtes reçues par son agence.
« Des entreprises de tout le pays nous ont sollicités, mais là encore, les choses se compliquent parce que, dans certaines parties des Etats-Unis, la marijuana comme drogue douce est légale », explique-t-il. « Et il n’est pas question pour nous de travailler avec des entreprises impliquées dans le commerce de stupéfiants. L’OU n’a pas pour politique d’accorder la certification de cacherout à des produits qui contiennent du cannabis consommé comme drogue douce, sauf changement… » Par ces derniers mots, Moshé Elefant entend une révision complète des études scientifiques réalisées jusqu’à ce jour sur cette drogue, et non simplement de son statut légal. « Pendant des années, nous avons été approchés ici et là par des fabricants de cigarettes qui voulaient notre tampon – et maintenant, c’est pour les cigarettes électroniques, devenues très populaires – mais nous avons toujours refusé », dit-il. « La raison étant que nous ne voulons pas donner notre aval à des produits manifestement nocifs. »
Des critères bien établis
Sachant que la loi n’interdit pas de fumer des cigarettes, mais que l’OU refuse d’accorder son label à celles-ci, il semble que la légalité d’un produit ne soit pas le seul critère d’acceptation pour ces labels. Les risques pour la santé entrent aussi en ligne de compte. Pourtant, cela n’empêche pas les agences de certification de cacherout d’apposer leur tampon sur les boissons alcoolisées, que ce soient le vin ou les liqueurs.
« C’est l’une des questions que tout le monde nous pose », soupire le rabbin Don Yoël Levy qui dirige l’OK. « Mais les règles ont été ainsi établies dans le monde entier monde entier. L’alcool a toujours été toléré. La Torah ne voit pas d’un bon œil Noé s’enivrer, pourtant, nous sommes supposés réciter la prière du kidouch sur du vin, et à Pessah, boire quatre coupes de vin… Bref, l’alcool a toujours été accepté, tant que sa consommation reste raisonnable. »
Et si le cannabis venait à être légalisé et accepté dans le monde entier, l’OK changerait-il d’avis ? « Pas tant que je serai à sa tête », répond Don Yoël Levy. L’année dernière, le rav Chaïm Kanievsky, autorité hautement respectée dans le monde orthodoxe, a donné sa bénédiction pour que la consommation de cannabis thérapeutique soit également possible pendant Pessah. Il a précisé que, sachant que cette plante entre dans la famille des kitniot – autorisées pour les Séfarades, mais interdites aux Ashkénazes pendant la fête –, toute personne qui en a besoin dans le cadre d’un traitement doit pouvoir y recourir.
En Israël, le cannabis médical est autorisé sous certaines formes depuis plus de 20 ans, même si cette légalisation comporte des limites très précises. Aujourd’hui, selon les derniers chiffres du ministère de la Santé, près de 25 000 personnes dans le pays bénéficient d’une autorisation de consommer de la marijuana thérapeutique.
Le cannabis comme médicament
En juin 2016, le gouvernement a approuvé une proposition de loi visant à faciliter l’accès au cannabis, en augmentant le nombre de médecins habilités à en prescrire. Une réforme menée par le ministre de la Santé Yaacov Litzman, membre du parti ultraorthodoxe Judaïsme unifié de la Torah. Toutefois, la cacherout d’Israël est placée sous le contrôle du Grand Rabbinat, qui ne voit aucune raison de statuer sur ce problème dans un avenir proche. « Le Grand Rabbinat n’a pas défini de politique dans ce domaine », déclare Daniel Bar, porte-parole du ministère des Affaires religieuses et du Grand Rabbinat. Ce dernier n’apporte sa supervision que si une entreprise ou un fabricant de nourriture le sollicite pour obtenir une certification, explique Daniel Bar, mais cela n’a pas été le cas ici. « Personne n’est encore venu nous demander de statuer, nous n’avons donc pas besoin de le faire. » Selon lui, une personne qui consomme ce produit le fait pour des raisons médicales, elle n’a donc nul besoin de téouda. Et d’indiquer qu’il existe des médicaments qui contiennent des ingrédients non cachers, comme du sang d’animal, et qui sont néanmoins permis si la santé du patient l’exige. »
Maayan Weisberg, qui représente Tikun Olam, le plus grand fournisseur de cannabis thérapeutique d’Israël, fait écho à ces commentaires : « Nous avions envisagé de demander un certificat de cacherout, mais nous n’avons jamais mis cette idée à exécution, car la marijuana est considérée comme un traitement médical. » L’entreprise produit des cigarettes, des huiles et des gélules de cannabis. Elle confectionnait également des biscuits avant que le gouvernement ne lui demande d’arrêter ce produit.
Moshé Ichiya, propriétaire de l’entreprise de marijuana thérapeutique Cannabliss, explique également qu’au moment où il a créé sa société, il s’est adressé à de hautes autorités rabbiniques. « Nous sommes basés à Jérusalem et nous avons beaucoup de clients pratiquants, de sorte que nous avons contacté de nombreux rabbins très influents », raconte-t-il. « Tous m’ont assuré que, sachant qu’il s’agissait de médicaments, je n’avais pas besoin de label de cacherout. » Cannabliss, qui possède un centre de distribution à l’hôpital universitaire Hadassah Ein Kerem, est la seule compagnie israélienne autorisée à vendre des biscuits au cannabis à condition qu’ils ne soient destinés qu’aux enfants. Il faut savoir, en effet, qu’Israël est l’un des rares pays du monde à mener des recherches sur la marijuana thérapeutique pour les plus jeunes. Le ministère ne dispose d’aucun chiffre, mais il semble que le nombre de petits patients autorisés à en consommer soit très faible.
Moshé Ichiya affirme que tous les produits de sa marque sont fabriqués dans un environnement strictement conforme à la halakha. « Les ingrédients et les ustensiles sont cachers, nous effectuons la hafrachat hala (prélèvement rituel) et nous tamisons la farine », précise-t-il. Lorsque son entreprise vendait ses biscuits à un public d’adultes, elle les produisait aussi pour Pessah.
Pourquoi les rabbins américains souhaitent-ils voir un tampon de cacherout sur des produits qui n’en ont en réalité aucun besoin ? « La médecine est effectivement un domaine dispensé de certification », répond le rav Moshé Elefant. « Mais, en même temps, si vous avez un produit disponible avec un tampon et un autre, identique, qui en est dépourvu, il est logique que vous choisissiez celui qui en a un. En revanche, si une personne a besoin de marijuana thérapeutique et qu’il n’en existe pas avec tampon, elle pourra consommer le cannabis sans certification. »
Don Yoël Levy confirme : « Il y a aux Etats-Unis un très gros marché de vitamines et de remèdes en tous genres qui bénéficient d’un hekhcher, même si, dans l’absolu, ils n’en ont aucun besoin. Nous ne cherchons pas à imposer absolument notre tampon, mais si quelqu’un nous dit souhaiter le voir figurer sur son produit, je n’ai aucun problème à le lui accorder, dans la mesure où la prescription vient d’un médecin. »
Lorsqu’en décembre dernier, Vireo a annoncé qu’il avait obtenu la certification de cacherout sur ses produits au cannabis, l’information a fait les gros titres dans toute la presse, tant dans les médias régionaux que dans les publications nationales, les journaux juifs et les sites Internet consacrés à la marijuana. Cette nouvelle a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des consommateurs de produits cachers. « Nous avons l’habitude d’être critiqués », dit le rav Elefant. « De toute façon, quelle qu’ait été notre décision, il y aurait eu des gens pour la contester. Nous nous efforçons de faire ce qui nous paraît le plus juste. Cela dit, nous sommes très réceptifs à ce que dit le public, nous tenons à écouter ses remarques et ses commentaires. Quand nous commettons une erreur, nous sommes prêts à la reconnaître. Mais dans le domaine du cannabis thérapeutique, ce n’est pas le cas. »
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