Divorce sous pression

Jusqu’où peut-on aller pour convaincre un mari récalcitrant de donner le guett ?

Le tribunal rabbinique de Tel-Aviv (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Le tribunal rabbinique de Tel-Aviv
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Ces dernières années, plusieurs cas de divorce hautement médiatisés ont donné lieu à une stratégie d’humiliations publiques pour convaincre les maris récalcitrants de donner le guett (acte juif de divorce). Cette tactique inclut aussi bien des manifestations publiques devant le domicile ou le lieu de travail du conjoint, que des posts dénonciateurs sur les réseaux sociaux.
Lorsqu’elles reçoivent l’aval des autorités religieuses, de telles actions sont permises, bien que l’intervention publique dans les affaires privées viole normalement les lois relatives aux ragots et à la diffamation. Concernant le divorce, la Torah établit que si l’épouse ne trouve pas faveur aux yeux de son époux parce qu’il lui a trouvé un défaut, celui-ci doit alors rédiger un acte de divorce, le poser dans les mains de sa femme et la renvoyer de sa maison. Nos sages ont conclu de ceci qu’un mari doit absolument remettre l’acte de divorce de son plein gré ; autrement, le document est considéré comme un guett mehouse (obtenu sous la pression) rendant le divorce non valide.
A l’époque talmudique, le mari pouvait ainsi imposer le divorce contre la volonté de sa femme. Au Xe siècle, cependant, Rabbenou Guershom a posé l’interdiction (herem) de forcer l’épouse à accepter le guett. Il a également banni la polygamie. Au cours des siècles, cette interdiction est devenue la norme et a finalement été fixée dans la loi juive.
Les cas d’obligation
L’exigence de pleine volonté de la part du mari lorsqu’il rédige le guett ne signifie pas cependant que les Sages ne sont pas d’avis parfois qu’un homme doit effectivement divorcer de sa femme. Ils ont listé un certain nombre de cas dans lesquels l’époux a l’obligation de divorcer et de s’acquitter du paiement de la ketouba, par exemple s’il porte constamment de mauvaises odeurs sur lui en raison de son activité professionnelle, s’il développe des protubérances ou déclare qu’il ne souhaite plus cohabiter avec sa femme. Certains commentateurs ont étendu la liste aux cas où le mari est emprisonné, a commis un adultère ou met en danger sa femme et ses enfants notamment s’il se montre violent ou abuse d’eux. L’ancien Grand Rabbin d’Israël Yitzhak Herzog a cherché à étendre cette liste à tous les cas qualifiés de « profonde injustice » causée à l’épouse. D’autres décisionnaires, cependant, ont affirmé que la série de cas établie par le Talmud était close, ou à tout le moins, que les cas d’abus traités devaient faire l’objet d’un consensus parmi les autorités rabbiniques. A propos de ces cas, la littérature talmudique parle soit de coercition (kefiya) en vue de solder le divorce, ou bien plus généralement d’obligation de divorcer (yotzi veyiten ketouba).
La plupart des autorités médiévales ont fait la distinction entre deux types de scénarios. Dans certaines circonstances, le tribunal seul peut choisir d’exercer une pression sur le mari pour qu’il donne le guett, au moyen de sanctions comme des châtiments corporels ou l’excommunion. Dans un tel scénario, les sanctions se poursuivent « jusqu’à ce que l’époux dise qu’il veut divorcer ». Dans les autres cas, le mari se voit imposer l’obligation de divorcer, mais la cour ne se prononce pas en faveur de la coercition physique. A la place de cela, elle qualifie l’époux de « pécheur » et autorise une forme de dénonciation morale.
Différentes catégories
Les exégètes du Moyen Age ont discuté afin de savoir dans quelle catégorie placer le cas d’une femme affirmant que son mari la dégoûte (mais alai) et qu’elle ne veut plus vivre à ses côtés. Ce cas dit de la femme rebelle (moredet) était déjà reconnu par les sages du Talmud, qui ont statué que dans cette situation le mari avait l’obligation de divorcer au terme d’un certain laps de temps et sans s’acquitter d’une pension alimentaire. Dans la période suivant l’ère talmudique, cependant, les Guéonim ont posé que dans un tel cas, l’époux devait immédiatement rédiger un guett. Ils craignaient en effet que la femme ne se tourne vers un tribunal non juif pour obtenir le divorce. Ce facteur subjectif de perception du mari par l’épouse, pris en compte dans la législation du divorce, a encore été renforcé par Maïmonide : selon lui, dans de telles circonstances, le mari doit être forcé à divorcer de sa femme « puisqu’elle n’est pas une captive contrainte d’avoir des rapports sexuels avec quelqu’un qu’elle hait »
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Rabbenou Tam, suivi par la plupart des exégètes médiévaux, a pour sa part rejeté cette position, et statué qu’il se pouvait que le guett délivré par un mari contraint de la sorte, soit non valide. Il a toutefois affirmé – excluant tout opprobre moral – que certaines formes indirectes de pressions sociales pouvaient être exercées sur le mari récalcitrant. Sans l’excommunier formellement, le tribunal peut par exemple recommander à l’entourage de l’époux de prendre ses distances en refusant de lui parler ou de manger avec lui, en ne faisant pas affaire avec lui ou en l’empêchant de circoncire son fils ou de monter à la Torah.
Au cours des siècles, nos sages ont continué à débattre des circonstances dans lesquelles ce type de sanctions devait s’appliquer. Le Rav Ovadia Yossef et le Rav Moshé Feinstein ont avancé qu’il y avait des situations à notre époque qui imposaient de telles sanctions, notamment lorsque le mari est d’accord pour divorcer, mais qu’il suspend la rédaction du guett dans le but d’obtenir un plus grand nombre d’avantages matériels. Sous l’impulsion des tribunaux rabbiniques israéliens, en 1995 la Knesset a promulgué une loi autorisant ces derniers à appliquer les sanctions sociales instaurées par Rabbenou Tam dans les cas appropriés. Ces dernières années, les tribunaux d’Israël et de Diaspora ont également posé que ces mesures pouvaient inclure des formes d’humiliation publique. Enfin, certaines personnes peuvent être mandatées par ces tribunaux afin d’amener le mari à se plier à la décision rendue par ceux-ci, sans pour autant utiliser la coercition physique.
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