Indépendance ou dépendance ?

Nous sommes allés à la rencontre de ces courageux entrepreneurs qui nous confient les hauts et les bas de leur nouvelle vie

Le logo de Leadlike, une entreprise créée par un "olé" français (photo credit: DR)
Le logo de Leadlike, une entreprise créée par un "olé" français
(photo credit: DR)
Si la création d’entreprise est aujourd’hui une option privilégiée pour nombre d’olim français (cf. article p. 19 du Jerusalem Post n° 1330), il ne faut pas oublier qu’elle s’accompagne aussi de son lot de surprises, bonnes ou mauvaises. L’entrepreneuriat peut se révéler un pari gagnant pour certains. Pour d’autres, l’aventure tourne court. Une chose est sûre, ouvrir sa société ne s’adresse pas à tout le monde. Petit tour d’horizon des avantages et des inconvénients.
Un équilibre délicat
Etre à la tête de sa petite entreprise n’est pas de tout repos. Yaël Lasry le concède volontiers. Son agence web, Webaviv, créée il y a 5 ans, lui donne satisfaction. Mais elle lui consacre plus de 50 heures par semaine. « Quand on est indépendant, on passe son temps avec son téléphone, même le soir ou pendant les vacances. Les clients appellent à toute heure, c’est très difficile de fixer la limite entre vie privée et vie professionnelle. »
Pour autant, Yaël assume pleinement son choix. Diplômée en programmation informatique, marketing et management de sociétés, elle a travaillé comme responsable Internet à Yad Vashem, puis chez Ofir-Optronica. Mais les contraintes familiales lui imposent de repenser son quotidien quand sa fille aînée s’apprête à rentrer en kita Aleph : « La récupérer à 15 heures à la sortie de l’école impliquait de quitter mon bureau à 14 heures, ce qui signifiait réduire mon temps de travail et perdre mes responsabilités. » Consciente du problème, elle avait commencé un an avant à développer ses activités de free-lance, le soir et le vendredi, jusqu’à occuper deux pleins-temps les trois derniers mois. Objectif : étoffer son réseau et ses clients personnels pour s’assurer un salaire équivalent à un mi-temps au moment de sauter le pas. Son choix de vie repose donc sur des considérations personnelles et non sur des aspirations financières : « Aujourd’hui encore, je ne sais pas combien je vais gagner dans 3 mois. Mais je devais m’adapter à mes contraintes familiales tout en gardant un intérêt dans mon domaine d’activités », explique-t-elle.
Cette approche de l’entrepreneuriat est d’ailleurs commune aux immigrants francophones, pointe Maxime Seligman, conseiller MATI, qui dispense également des prestations de conseils et marketing aux entreprises ou aux indépendants, via sa société Leadlike. « En décidant de devenir indépendant, les Français ne cherchent pas tant à améliorer leur niveau de vie que la qualité de celle-ci. Ils aspirent avant tout à être en adéquation avec leurs convictions et leurs besoins personnels. »
Pour beaucoup, la souplesse dans les horaires et la possibilité de gérer son temps sont les éléments grandement positifs qui caractérisent le statut d’indépendant. « Il me suffit d’une liaison Internet et d’un ordinateur pour travailler, ce qui me permet de rester à la maison quand mes enfants sont malades », avance Yaël Lasry. Mais il y a aussi le revers de la médaille : le risque de se laisser déborder par une mauvaise gestion de son temps, ou des clients trop envahissants. Pour Yaël, fixer des limites est l’un des aspects les plus difficiles de son statut d’indépendant – savoir répondre aux attentes de ceux qui font appel à ses prestations, tout en sachant s’imposer.
Une pression constante
Un point clé qui a justement posé problème à Cindy Goeta, lorsqu’elle a lancé sa griffe, Pain d’épice. Diplômée en communication et journalisme à Bar Ilan, la jeune femme innove en proposant avec une amie des corbeilles de naissance originales, puis poursuit seule dans la création d’objets en tissus pour jeunes enfants, à Jérusalem. Cindy Goeta vise la qualité et travaille à partir d’imprimés Liberty, qu’elle fait venir de France. « J’achetais en euros le prix en shekels du tissu israélien », explique-t-elle. « Je ne margeais pas beaucoup, mais je m’en sortais. Le plus dur, pour moi, c’était le stress des commandes. »
Elle se heurte aux exigences des clientes françaises qui n’hésitent pas à lui retourner la marchandise ou honorent leurs factures de façon aléatoire. Elle raconte les changements d’avis à la dernière minute et les heures passées au téléphone. « Je n’ai pas su être suffisamment ferme, c’est mon caractère », reconnaît la journaliste reconvertie en créatrice, « donc je me suis fait un peu avoir. » A tel point qu’elle décide, il y a quelques mois, de renoncer à ses aspirations pour venir prêter main-forte à son mari, à l’origine de l’aventure Beteavone.
Cela fait une dizaine d’années que Robin Goeta s’est lancé dans la conception de guides papier, suivis d’un site Internet, qui mettent en valeur, en français et en anglais, des restaurants cachers situés dans tout Israël. Dès le début, plusieurs établissements ont décidé de lui faire confiance et de figurer sur ses supports, moyennant finances. Grâce à plusieurs partenaires de distribution – El Al, les voitures de location Sixt, David Inter Continental – Beteavone fonctionne bien, et propose aux consommateurs, qui peuvent devenir membres du club, des coupons de réduction ou des cadeaux négociés auprès des restaurants clients, comme une bouteille de vin offerte. Cindy Goeta assure les tâches administratives et la mise à jour du site Beteavone. La fonction lui convient ; elle laisse ainsi les rapports frontaux et commerciaux à son mari.
Si le couple a trouvé son équilibre, il ne peut se permettre de rester sur ses acquis. « Pour être au niveau, nous devons perpétuellement trouver de nouvelles idées, nous démarquer, être originaux », explique Cindy.
Elle aussi apprécie la possibilité d’aménager son temps de travail en fonction de ses impératifs familiaux, et de développer des projets qui lui tiennent à cœur. Mais elle met également l’accent sur le mélange des genres entre les sphères privée et professionnelle. « Il n’y a pas de séparation entre la maison et le travail », déplore-t-elle. Si elle trouve nombre d’avantages au travail indépendant, comme le fait « de ne pas avoir de patron sur la tête », elle considère néanmoins que ce statut correspond mieux à un homme qu’à une femme, car il ne suffit pas seulement d’avoir un projet, une passion, il faut aussi savoir les convertir en réalités commerciales.
Sur ce dernier point, Yaël Lasry lui fait écho. Travailleuse acharnée, elle savoure chaque jour le renouveau que lui offre son activité, avec des demandes de clients sans cesse variées. Mais elle confirme : « Etre très bon dans son domaine n’est pas suffisant. Il faut aussi savoir se mettre en avant, gérer des négociations de prix, s’imposer pour recevoir son argent. » Elle passe également deux heures par jour à se tenir au courant des nouveautés pour préserver la compétitivité de son agence Webaviv. Pour elle, être une femme n’a jamais été un frein, même si elle ne laisse jamais transparaître son rôle de maman. « Les clients veulent être rassurés, ce qui compte, c’est la réactivité, et le fait d’avoir un portfolio fourni. » Dans l’ensemble, son bilan est donc positif : « Créer une entreprise demande du temps, mais au final, c’est une immense satisfaction. » En dépit des difficultés, elle n’a aujourd’hui aucun regret : « Si c’était à refaire, je le referai. »
Et Maxime Seligman, le patron de Leadlike, de conclure : « Certes, l’entrepreneuriat est un secteur à risque. Les réussites dépendent avant tout de la volonté profonde et des compétences du créateur de la société. Quant aux échecs, ils sont aussi parfois liés à une pression macro-économique ou à des conditions sécuritaires volatiles qui influent sur le développement des commerces. Mais si on compare, les garanties du salarié sont assez fragiles. Au contraire de la France, le monde du travail israélien n’offre que peu de conditions sociales. En tant qu’indépendant, avec de la chance et des efforts, au final, on peut mieux s’en sortir. »

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