L’encre secrète de Benny Landa ou comment révolutionner l'impression

L’un des piliers de l’entrepreneuriat israélien continue d’innover

Les innovations de Benny Landa ont remporté un succès considérable lors de la dernière Drupa (photo credit: DR)
Les innovations de Benny Landa ont remporté un succès considérable lors de la dernière Drupa
(photo credit: DR)
Benny Landa est l’un des plus anciens entrepreneurs israéliens. En 1977, il fonde Indigo, qui produit des presses numériques couleur. Ces machines utilisent de l’encre colorée électrostatique appliquée directement sur un tambour, rendant inutile l’utilisation de plaques lithographiques et permettant d’imprimer plus rapidement et en plus grande quantité. La révolution est alors en marche : l’impression est entrée dans l’ère numérique.
En septembre 2001, Landa vend son entreprise à Hewlett-Packard (HP) pour 830 millions de dollars. Mais contrairement à l’usage dans ce genre de cas, Indigo garde sa production en Israël, à Ness Tsiona, au sud de Tel-Aviv. HP Israël y emploie aujourd’hui quelque 5 500 personnes, presque toutes issues de la société fondée par Landa.
Selon le quotidien économique The Marker, la fortune personnelle de Benny Landa s’élève à environ 850 millions de dollars. Mais à 70 ans, cet ingénieur de génie continue à lancer et financer des start-up. A ce jour, il a déposé ou partagé plus de 800 brevets, un nombre proche du record de 1 000 brevets de Thomas Edison.
Infatigable visionnaire
L’histoire de Benny Landa captive toujours autant ceux qui l’écoutent. Tout commence à Edmonton au Canada, où les parents de Landa ont immigré depuis la Pologne lorsqu’il avait deux ans. Son père tient un magasin de tabac avec un studio de développement de photographies dans l’arrière-boutique. Il a inventé un nouvel appareil qui capture les images directement sur papier photographique plutôt que sur pellicule. Des décennies plus tard, après avoir fait l’aliya en 1974, Landa développe et perfectionne l’idée de son père.
Retour en 1439. Johannes Gutenberg invente les caractères métalliques mobiles afin de produire en masse des livres imprimés. Initialement, il imprime des Bibles comportant 42 lignes par pages. 49 de ces premiers ouvrages sont toujours parmi nous, en partie ou en entier. La mise au point du procédé est considéré comme un événement majeur de la Renaissance, déterminant pour la diffusion des textes et du savoir. Certains affirment qu’il s’agit de la plus grande innovation du millénaire.
Durant la période de près de six siècles qui a suivi la percée de Gutenberg, la technique d’impression est restée mécanique, jusqu’en 1993. Landa fait alors découvrir au monde sa première presse numérique couleur, l’Indigo E-Print 1000. Laissant de côté le système des plaques, le nouveau procédé permet d’imprimer depuis le fichier d’un ordinateur directement sur du papier. Cette avancée fait trembler l’industrie sur ses fondations, permettant l’édition à compte d’auteur, l’impression de brochures à la demande etc. Cela ne veut pas dire que l’impression numérique d’aujourd’hui n’a pas de désavantages. Beaucoup plus lente que l’impression conventionnelle, elle ne permet pas la production de gros volumes et nécessite un papier spécial particulièrement cher. C’est là que Landa entre encore une fois en scène.
En juillet, lors de la Drupa, le plus grand salon international de l’industrie graphique et papetière qui se tient tous les quatre ans à Düsseldorf en Allemagne, la start-up de l’entrepreneur israélien, Landa Digital Printing, a récolté un important nombre de commandes pour sa presse d’impression numérique innovante. Valeur estimée des ordres : près de 450 millions d’euros. J’ai vu sur YouTube la présentation de Landa lors du salon, et cela m’a rappelé l’annonce du lancement du premier ordinateur personnel Macintosh par Steve Jobs en 1984. La nouvelle technologie créée par Landa, le Nanographic Printing (impression nanographique), promet de radicalement changer la façon dont on imprime.
Aujourd’hui, 97 % de l’impression passe toujours par des méthodes traditionnelles mécaniques avec un transfert de l’encre directement de la plaque à la feuille de papier. Mais Benny Landa est déterminé à changer ça. Lui et son équipe de chercheurs ont développé un procédé numérique de seconde génération appelé « Landa NanoInk Nanography » qui utilise de l’encre à nano-pigments si petits qu’elle permettrait d’être plus résistante, plus économique, et adaptable à tous les types de supports. Ce nouveau mode d’impression est jusqu’à vingt fois plus rapide que les solutions numériques actuelles et permet d’imprimer sur n’importe quel papier ou plastique.
En pensant petit (à l’échelle du nanomètre), Landa a créé une possible révolution au sein d’une industrie pesant près de 900 milliards de dollars. Une nouvelle ère va de nouveau s’ouvrir. Et Benny Landa en sera une fois de plus le précurseur. 
La recette de la start-up nation
L’an dernier, le tourisme en Israël a baissé pour la seconde année d’affilée, chutant de 4 % par rapport à 2014 avec 2,8 millions de visiteurs. Mais un autre tourisme est lui en plein essor. Le tourisme technologique. Les curieux viennent de Chine, de Singapour, de France et même des Etats-Unis, pour découvrir les secrets de la recette israélienne, les ingrédients qui permettent à la start-up nation de bénéficier de cette incroyable énergie créative qui fait que tant d’entreprises de high-tech et autres centres de recherche et développement fleurissent dans tout le pays.
Selon les recherches du Pr Ella Miron-Spektor du Technion, la créativité est universelle, mais elle a différentes sources de motivation. En Chine, les entrepreneurs sont ainsi attirés par des inventions utiles et pragmatiques. En Israël, ils veulent des innovations spectaculaires et cherchent à changer le monde. Parfois, ils visent trop haut et se retrouvent à terre. Souvent, ils améliorent nos existences. Nous avons demandé à Benny Landa ce qui se cache selon lui derrière la success story israélienne. Entretien.
Vous avez des antécédents peu communs, fils d’immigrants, un père inventeur, vous avez étudié l’ingénierie et la physique, mais aussi la psychologie, la littérature et le cinéma. J’imagine que cela a été utile pour construire votre succès comme entrepreneur.
Honnêtement, je ne crois pas que la carrière ou le cursus universitaire ont quelque chose à voir avec le fait d’être un bon entrepreneur. J’ai abandonné mes études en physique et en ingénierie au Technion ainsi que celles de psychologie et de littérature à l’Université hébraïque de Jérusalem. Je n’ai été diplômé qu’en cinéma. D’ailleurs, abandonner ses études et être attiré par l’entrepreneuriat sont les symptômes d’une même maladie : l’impatience chronique et la curiosité pathologique. C’est une combinaison mortelle. En tant qu’entrepreneur, le tempérament impatient vous fait atteindre la ligne d’arrivée en prenant tous les raccourcis possibles. Il vous permet d’être le premier, ce qui est le plus important. Où ça ? C’est là qu’entre en jeu la curiosité. A un endroit que personne n’a jamais atteint auparavant. Etre le premier à réussir quelque chose, avant les autres, c’est le but de ma vie. Et je crois que c’est la motivation de notre peuple et la clé de notre succès.
Pensez-vous que l’entrepreneuriat peut être enseigné, et si oui comment ?
Je pense qu’il faut inculquer la prise de risque et l’acceptation de l’échec. La réussite d’une start-up dépend de cette capacité à accepter la défaite. Evidemment, nous cherchons le succès et nous félicitons ceux qui l’obtiennent. Mais, la véritable innovation nécessite d’avoir les idées larges, de faire les choses différemment. En d’autres mots, il faut naviguer sur des eaux agitées et ne pas craindre le danger. Ceux qui ne prennent pas de risques ne peuvent innover. Et plus le risque est gros, plus la probabilité de se tromper est importante. Mais ne pas atteindre un objectif n’est pas un échec, l’échec est de ne pas tenter de l’atteindre. Pour moi, rien n’était plus impossible que de violer la seconde loi de la thermodynamique, et c’est pourtant ce que j’ai demandé à mes équipes, qui ont cherché un moyen de convertir de l’énergie thermique à faible température. Bien sûr, il ne s’agissait pas là de défier les lois de la nature, seulement de confronter leur point de vue et le savoir conventionnel. La capacité de nos chercheurs à prendre de tels risques était essentielle à leur succès, et cela a généré notre nouveau procédé d’impression.
Rien n’est plus éphémère que la technologie : novatrice aujourd’hui, obsolète demain. Il est donc essentiel de constamment chercher à changer l’ancienne façon de faire, même si vous avez vous-même été à l’origine de cette méthode. Ainsi plus de vingt ans après avoir créé la première presse numérique couleur, nous allons dévoiler une nouvelle technologie révolutionnaire appelée Nanographie, également connue sous le nom du procédé Landa Nanographic Printing. Cette technologie permettra d’améliorer considérablement la qualité de l’impression commerciale ou encore de l’édition et de faire baisser les coûts de production.
Pourquoi vous battez-vous pour maintenir la production de vos produits en Israël ?
Je pense que la mentalité israélienne qui consiste à toujours regarder vers l’extérieur est dommageable pour le pays. Nous devenons le plus grand laboratoire de recherche et développement au monde plutôt que de devenir sa plus grande usine de haute technologie. Si les revenus générés par les centres de recherche et développement sont bénéfiques pour l’économie israélienne, cela ne compensera jamais la perte des emplois provoquée par les fermetures d’usines. Nous produisons donc nos presses en Israël. Nous avons déjà plusieurs usines dans le pays et sommes en train de construire un grand campus qui va accueillir notre centre de recherche et développement, des unités de production et des bureaux. L’encre spéciale utilisée par nos presses, la Landa NanoInk, est fabriquée en Israël. Indigo a réussi à maintenir la production à Ness Tsiona après la vente à HP, car cela faisait partie des conditions négociées. Pendant les pourparlers, j’ai insisté et convaincu HP de continuer à investir dans le pays aussi bien en recherche et développement qu’en matière de production. Aujourd’hui, HP Indigo représente près de 0,5 % du PIB d’Israël. Le problème est dans l’appréciation des choses. Qui est le plus respecté de nos jours ? Un industriel qui emploie des milliers de personnes ou l’entrepreneur en série qui fait des millions ? J’ai peur de poser la question…
Une grande partie des start-up perdent leur créativité en grandissant. Comment, à Landa Digital Printing, allez-vous retenir cette énergie créatrice alors que votre entreprise se développe ?
C’est un véritable défi. Nous essayons de maintenir cet esprit créatif en conservant autant que possible une structure de petite start-up. Nous avons développé une ouverture d’esprit. Chacun peut dire franchement ce qu’il pense. Et même défier de manière saine l’autorité, y compris la mienne. Mais la vraie innovation vient d’un ensemble de facteurs. Le premier et le plus important, ce sont les gens que vous engagez. Nous cherchons des employés énergiques, dévoués et créatifs qui aiment leur travail. Puis nous leur donnons les meilleurs outils que l’argent peut offrir et nous leur demandons de remettre en question ce qu’ils pensent savoir, de changer la façon traditionnelle de faire les choses. Ensuite nous récompensons leurs échecs afin de les pousser à atteindre l’impossible. Et vous savez quoi ? Ça rend parfois l’impossible possible. 
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