L'éducation sexuelle à l'heure 2.0

Dans un monde où les messages à contenu sexuel sont omniprésents, il est urgent de repenser les programmes pédagogiques

Alexandra Berger-Polsky, directrice de Ladaat (photo credit: DR)
Alexandra Berger-Polsky, directrice de Ladaat
(photo credit: DR)
Le monde a changé. De nos jours, les enfants sont exposés à la sexualité et à la pornographie dès leur plus jeune âge via les smartphones et les tablettes. Or, dans les écoles israéliennes, le temps et les efforts consacrés à l’éducation sexuelle sont à géométrie variable, livrés au bon vouloir de chacun. Par conséquent, de nombreux enfants ne bénéficient d’aucune instruction de ce type. Il est pourtant impératif de remettre ces préoccupations à l’ordre du jour.
Un enseignement à géométrie variable
Le dernier rapport de la Knesset en la matière remonte à 2010. Aucune étude complète n’a été menée depuis, d’où l’absence de nouvelles données, même au sein du ministère de l’Education nationale. Ce qui est sûr, c’est que la majorité des élèves israéliens ne bénéficient pas de cours d’éducation sexuelle. Quelques heures seulement y sont consacrées, qui permettent de l’aborder de façon très superficielle. En théorie, le ministère alloue 70 heures à ce sujet dans le cadre d’une matière qui figure aux programmes de l’école primaire et du collège appelée « kichourei hayim » (relations au monde). En revanche, ces cours ne sont pas obligatoires au lycée, où l’éducation sexuelle n’est que recommandée.
Or, même lorsque cet enseignement revêt un caractère obligatoire, la mise en pratique effective varie considérablement selon les écoles. Elle dépend des budgets dont disposent les établissements, de la formation du personnel et, plus généralement, de la volonté de l’équipe de mettre ce sujet complexe au programme. En réalité, le plus grand problème en matière d’éducation sexuelle en Israël vient du manque d’homogénéité culturelle et ethnique qui caractérise le pays.
Le ministère de l’Education met à disposition de nombreuses ressources dans ce domaine. Il peut fournir des cours déjà tout prêts, assortis d’un riche matériel iconographique. On ne peut pas dire qu’il soit à court d’idées. « Le problème, c’est que personne n’est tenu d’utiliser ce qui est mis à la disposition de l’enseignement de cette matière. De même qu’il n’est pas obligatoire d’avoir des discussions en classe sur ce sujet sensible », explique Stav Rave, psychologue de l’enfant et de l’adolescent, spécialisée en psychologie de l’éducation. Selon elle, c’est le manque de standardisation qui est à la racine du problème, et qui empêche les conseillers scolaires et les enseignants de faire leur travail dans ce domaine.
« Ce n’est pas qu’ils aient des difficultés à aborder le sujet parce qu’il les met dans l’embarras. Les conseillers savent comment gérer ce genre de situation », explique Stav Rave. « Le problème vient davantage des parents. Le ministère ne met pas suffisamment l’accent sur l’importance qu’il attribue à cette matière. Il n’y a pas de lignes directrices claires, ni de transparence sur le contenu de ce qui est censé être enseigné, comme c’est le cas pour n’importe quelle autre discipline.
Vu que le caractère obligatoire de l’éducation sexuelle est, soit inexistant, soit mal assumé, les parents – qui ne savent pas vraiment ce qu’un enfant est censé savoir à chaque étape de son développement – peuvent facilement trouver à se plaindre auprès des enseignants et des directeurs d’établissements scolaires, au motif que leur progéniture n’a pas à entendre parler de ce genre de choses, si jeune. « L’éducation sexuelle n’est pas le seul sujet épineux qui porte à controverse. D’autres thèmes sont aussi source de conflit en milieu scolaire », précise Stav Rave. « L’instruction religieuse par exemple, ou l’idée même qu’il faut apprendre à connaître Dieu, pose problème. Et pourtant, les cours bibliques sont abordés comme de la culture générale, et évidemment sans objectif prosélyte. Les parents savent que cela figure au programme et ils l’acceptent », dit-elle.
« Dans certains endroits du pays, vous pouvez passer 12 ans à l’école sans que l’éducation sexuelle soit abordée du tout », indique Shlomit Havron, fondatrice de l’association Meyda amin al min (Information fiable sur le sexe) qui vise à pallier cet évitement. « A l’inverse, certaines écoles dispensent de formidables cours sur le sujet, car elles l’ont tout simplement mis au programme. Nous constatons sur le terrain que cela dépend généralement de la motivation de membres de l’équipe pédagogique. Certains veulent vraiment inscrire ces heures au programme dans leurs classes et s’investissent dans cet enseignement car ils en comprennent le bien-fondé. Malheureusement, ils ne disposent pas toujours des outils adéquats pour le faire. La plupart des conseillers d’orientation n’ont pas eu de formation dans ce domaine.
Sans compter que leur connaissance en matière de sexualité en général laisse aussi à désirer. » « Le ministère de l’Education propose aux futurs enseignants une formation avancée. Cependant, ces derniers ne peuvent choisir qu’une seule option en matière d’éducation sexuelle parmi une grande variété de sujets, et le choix des cours est laissé entièrement à l’appréciation de chacun », regrette Shlomit Havron. En conséquence, leurs compétences seront elles aussi très inégales. »
« La sexualité est un sujet très complexe, et, contrairement à d’autres matières que nous enseignons, comme la prévention de l’usage de l’alcool et des drogues, c’est encore un sujet tabou », pointe Iris Ben Yackov, responsable de l’unité pour la sexualité et la prévention de la violence sexuelle, au service psychologique du ministère. « Nous faisons de notre mieux pour former les conseillers pédagogiques qui forment à leur tour les enseignants. Mais chaque école peut choisir quels sujets aborder parmi tous les cours proposés, dans le cadre de kishourei hayim.
Et même le volet « Education sexuelle » proposé comporte un grand choix de thèmes qui ne pourront pas être tous abordés. Une grande autonomie est laissée aux enseignants, ce qui est aussi une bonne chose, parce que s’ils n’avaient pas cette latitude, les professeurs auraient peut-être carrément choisi d’éviter le sujet. Par ailleurs, étant donné que kichourei hayim n’est pas une matière qui est notée, et qu’il n’y a pas d’examen final pour valider les acquis, chaque enseignant est libre de s’adapter à la communauté dont ses élèves sont issus.
Problèmes de formation
« Malgré tout, le fait est que certaines écoles choisissent de ne pas aborder le sujet du tout », admet Iris Ben Yackov.
« Et de manière générale, quand les enseignants finissent par y consentir, ce n’est pas pour informer les enfants en amont, c’est-à-dire avant que les problèmes se posent, mais plutôt lorsqu’ils s’y trouvent déjà confrontés. »
« Dans mon établissement, tout ce qui n’est pas en rapport direct avec un cas concret qui s’est présenté est considéré comme “sans grande utilité” », reconnaît Galia, qui enseigne dans un lycée à Haïfa. « Je n’avais moi-même aucune formation dans le domaine en dehors de quelques notions très succinctes, que j’ai acquises lors de mes études. Pendant ma maîtrise, j’ai aussi suivi un cours très basique sur la violence sexuelle. Et c’est tout. Je n’ai jamais eu de formation digne de ce nom, et on ne m’a jamais appris à aborder ce sujet. Dans ces conditions, chaque enseignant fait comme il peut. »
Une professeure de Yavné a fait la même expérience. Elle fait cours à des élèves de 6e, et déplore n’avoir jamais reçu de formation particulière sur la façon d’enseigner l’éducation sexuelle, ni de faire de la prévention ou de gérer les crises. Elle essaie de se former comme elle le peut en ligne, à travers diverses sources d’information, y compris sur le site de Shlomit Havron, Meyda amin al min. Mais elle est totalement livrée à elle-même pour parer à ses lacunes.
De grandes différences existent également entre les différents secteurs de population. Les écoles arabes, par exemple, ont tendance à mettre l’accent sur ce qu’elles appellent « l’éducation à la vie familiale », c’est-à-dire comment avoir des relations saines, et comprendre les changements physiques liés au développement.
Certaines discutent aussi de l’égalité des sexes. « Pour autant, ces établissements n’aborderont probablement pas les rapports sexuels en tant que tels, parce que cela va à l’encontre de leurs traditions », explique Iris Ben Yackov. Il en va de même dans les milieux juifs religieux et harédim. Toutefois, le système éducatif sioniste religieux a récemment organisé une conférence sur la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), en transmettant un message de tolérance à tous les éducateurs. Il leur a explicitement été demandé de ne pas stigmatiser les enfants qui auraient des tendances homosexuelles. » En d’autres termes, il revient à chaque établissement de donner le ton.
L’alternative pour aborder le sujet est de faire appel à une association en externe, dont la spécialité est justement l’éducation sexuelle. Meyda amin al min est l’une des rares du genre en Israël. Son personnel se déplace dans tout le pays afin d’organiser des ateliers avec les enfants, les parents et les enseignants. Une autre organisation de ce type, dont l’activité se concentre principalement sur Jérusalem, est Ladaat (Bien choisir), qui dispense des formations aux conseillers scolaires. « Ces conseillers vont ensuite transmettre leurs compétences à des acteurs locaux, censés monter des ateliers.
Mais malheureusement, ces séances de formation sont rares. Nombreux sont encore ceux qui ne sont pas à l’aise avec ce sujet. Parfois, ils évitent tout simplement d’en parler. Et quand ils y consentent enfin, c’est souvent parce qu’il s’est passé quelque chose de grave. Donc, ils ne sont pas dans la prévention. Ils interviennent plutôt en réaction à un événement », confirme Alexandra Berger-Polsky, directrice de Ladaat, qui précise en outre qu’aucun budget n’est réservé à cet enseignement.
L’association est exclusivement subventionnée par des dons privés. « Les écoles participent aux frais en couvrant une petite partie du coût réel. Mais pour ce qui du ministère de l’Education, il estime déjà financer des conseillers pour faire ce travail. Donc, il ne voit pas l’intérêt de nous allouer des fonds supplémentaires. »
Faire appel à une organisation en externe pour enseigner l’éducation sexuelle peut se révéler positif dans certains établissements. Pour autant, le problème de la supervision des intervenants et de la qualité des cours dispensés reste entier. « Il y a beaucoup d’organisations et d’individus qui travaillent dans ce domaine », explique Alexandra Berger-Polsky. « Certains ont reçu une formation professionnelle. Mais ce n’est pas le cas de tous. Et comme ils ne sont pas inspectés par le ministère de l’Education, il n’existe aucun moyen d’évaluer leurs compétences. Sans compter que leur candidature n’a pas à être approuvée avant de leur donner accès aux écoles. «
« Ce manque de supervision peut nuire aux jeunes élèves », s’inquiète la directrice de Ladaat. « Ainsi, dans certains cas, l’éducation sexuelle peut faire plus de mal que de bien. C’est le cas par exemple si elle transmet le message erroné que la sexualité est dangereuse en soi, et doit être évitée. Ou bien si l’on aborde le sujet en mettant uniquement l’accent sur la prévention de la violence, ou de l’agression sexuelle. Dans ce cas, on ne fait qu’en dresser un tableau dangereux, en assimilant systématiquement la sexualité à la violence. Cette association d’idées est déjà suffisamment ancrée dans notre culture, pas besoin d’en rajouter. Ce qui est également regrettable, c’est d’envoyer des messages différents aux filles et aux garçons. Ainsi, on apprend plus volontiers aux filles à “se préserver” ou à “se protéger”, tout en laissant entendre que la sexualité des garçons relève quant à elle, d’une pulsion incontrôlable. »
Proximité nécessaire
Le manque de supervision et les faibles budgets ne sont pas les seuls problèmes auxquels sont confrontées les organisations privées proposant des ateliers d’éducation sexuelle. Il se trouve que cet enseignement se révèle beaucoup plus efficace lorsque ces sujets sensibles sont abordés par quelqu’un qui fait partie de l’entourage scolaire de l’enfant, plutôt que par un intervenant étranger à l’établissement. Les élèves se montrent plus ouverts aux informations qui leur seront transmises par quelqu’un qui leur est familier, s’accordent à dire Stav Rave et Shlomit Havron.
« Dans un monde idéal, l’éducation sexuelle serait une matière comme une autre, enseignée dans chaque établissement scolaire par un enseignant attitré », dit Shlomit Havron. « Les élèves auraient une heure par semaine de cours, ce qui leur donnerait une formation en spirale, c’est-à-dire allant du général au particulier, ce qui permettrait d’aborder plusieurs fois les mêmes sujets au cours du processus de développement des élèves. Pour ma part, je préfère ne pas avoir affaire directement aux adolescents. Je préfère former les conseillers et les parents, en leur donnant des clés pour pouvoir avoir eux-mêmes, des discussions fructueuses les enfants.
C’est un grand avantage que de connaître l’enfant personnellement, même sans avoir toutes les connaissances requises, ni une formation en tant que spécialiste. Nous essayons de faire comprendre aux familles qu’elles ne peuvent pas se contenter de s’en remettre au corps enseignant, de même qu’elles n’exigent pas du professeur qu’il apprenne à leurs enfants à traverser la rue ou à manger sainement.
Iris Ben Yackov s’oppose également à ce que des organisations extérieures prennent cet enseignement en main. « Notre politique, c’est qu’il revient aux éducateurs de notre établissement d’enseigner ces sujets, parce que ce sont eux qui ont un contact direct avec les enfants au quotidien. » « Seulement si les professeurs font ces cours en s’excusant d’avoir à discuter de ces choses avec leurs élèves, ceux-ci n’iront pas se confier à eux, ni leur demander conseil en cas de besoin. Les enseignants sont des piliers de leur environnement. Ils ne sont pas seulement là pour enseigner des matières académiques. Il faut aussi qu’ils puissent parler à leurs élèves de la vie.
Le fait que certains professeurs choisissent de faire appel à des organisations extérieures pour donner des cours d’éducation sexuelle est déplorable. »
Avec la propagation de la pornographie, les enfants ont plus que jamais besoin d’une source d’information fiable pour se familiariser avec leur propre sexualité, les relations intimes, et les limites à observer pour se faire respecter. « Cela commence dès l’âge de la maternelle, malheureusement », explique Stav Rave. « Les enfants ont accès à tellement de sources d’information : Google, les images pornographiques ou tendancieuses qui se partagent entre amis. Dans ce contexte, il leur est de plus en plus difficile de se faire une idée juste de la réalité et des individus. De savoir ce que sont les relations hommes-femmes, à quoi ressemble une relation saine, etc. Nous devons leur transmettre certaines valeurs et une vision du monde qui les aidera à se construire, à éveiller leur sens critique, pour qu’ils soient à même de ne pas tout prendre pour argent comptant. »
Question de vigilance
Le problème c’est que les jeunes ont tendance à prendre l’information au premier degré. « Prenez le cas de la publicité à la télé, par exemple », explique Stav Rave. « Un enfant de trois, quatre, voire cinq ans ne comprend pas quel est le contenu marketing. Si l’annonce préconise d’acheter un produit plutôt qu’un autre, ou une certaine marque de lessive, il comprend cela comme une recommandation réelle. Il en va de même pour les messages pornographiques. Cela peut vraiment fausser leur vision de la sexualité. Ce flux médiatique permanent auquel ils sont exposés rend les enfants particulièrement vulnérables. « Via les tablettes et les téléphones de leurs parents, ils découvrent dès le plus jeune âge toutes sortes de choses pour lesquelles ils ne sont pas encore prêts et qu’ils ne comprennent pas ».
Stav Rave fait la distinction entre un enfant en cours élémentaire et un enfant en maternelle, exposé à ces signaux. Un enfant plus jeune, explique-t-elle, peut en effet être excité par ce qu’il vient de voir. Il est animé par une curiosité naïve et authentique. En outre, à cet âge, les enfants ont tendance à répéter les choses, car c’est un moyen pour eux de les comprendre et de métaboliser l’information. Par conséquent, ces images peuvent être traumatisantes dans la mesure où l’enfant cherchera encore et encore à voir ces mêmes images. Il sera tenté de reproduire ce qu’il voit avec ses camarades, ce qui pourrait même l’amener à agresser sexuellement d’autres enfants.
Il est important de comprendre que la curiosité à propos du sexe est naturelle à cet âge, explique-t-elle, et que tout ce que l’enfant dit ou fait n’est pas nécessairement signe qu’il y a un problème. « Les adultes ont tendance à considérer leur comportement avec leur propre maturité, et sous le prisme de leur vision de la sexualité. Mais les enfants n’expérimentent pas les choses de cette façon », explique encore Stav Rave. « Leur curiosité est beaucoup plus innocente. Ils ont notamment envie de savoir à quoi ressemblent les organes sexuels des autres enfants, veulent toucher le sein de maman, c’est tout à fait naturel pour eux. » De son point de vue, tant que ces attitudes demeurent ludiques et motivées par la simple curiosité, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
« Cependant, il est très important que les parents restent vigilants. Si l’enfant semble anxieux ou confus, ou s’il répète encore et encore les mêmes gestes en boucle, qui ne sont pas naturels à son âge et qu’il ne devrait pas connaître, les parents doivent sans tarder se demander quelle en est la cause. L’enfant a-t-il vu cela quelque part ? A-t-il été exposé à quelque chose d’inapproprié ? »
Le ministère de l’Education recommande tout particulièrement de faire attention à Internet. « Les parents doivent être au courant des habitudes de navigation de leurs enfants sur le Web, et discuter avec eux non seulement des avantages, mais aussi des dangers qu’il y a à surfer », conseille Iris Ben Yackov. « Si l’enfant manifeste un comportement sexuel ou un intérêt inadéquat pour son âge, il faut que les parents consultent des professionnels sans tarder. »
Les enfants légèrement plus grands constituent un défi différent. « Vers l’âge de six ans, l’enfant développe sa théorie de l’esprit », indique Stav Rave, c’est-à-dire qu’il comprend que d’autres personnes autour de lui ont aussi leurs pensées et leurs sentiments propres. A ce stade, sa sexualité va devenir plus cachée. Encore une fois, c’est tout à fait naturel. Le problème, c’est que ces enfants ne s’ouvriront pas aussi spontanément. Ce qui rendra la tâche plus difficile pour les parents qui cherchent à savoir si quelque chose ne tourne pas rond. « De nos jours, les enfants disposent de leurs propres smartphones dès l’âge de huit ou neuf ans. Et tout à coup, c’est un monde qui s’ouvre à eux. Ils peuvent passer du temps sur Internet à surfer tous seuls, ce qu’ils ne pouvaient pas faire avant lorsqu’ils n’avaient à leur disposition que les tablettes de leurs parents », explique-t-elle. « A ce moment, ils sont exposés à des choses tout à fait inappropriées pour leur âge. Et cela fausse leur sens de l’amour, du sexe et des relations intimes.
Ouvrir le dialogue
L’orientation parentale dans ce domaine varie considérablement d’un foyer et d’un milieu à l’autre. Certains parents prônent un dialogue ouvert dès le plus jeune âge. « Chez nous, nous parlons de tout avec les enfants, depuis qu’ils sont tout petits. Ils ont donc progressivement appris à s’exprimer en toute confiance et à partager leurs pensées et leurs craintes », confie Dana de Jérusalem, mère d’un adolescent et d’une plus jeune fille. Dana et son mari discutent ouvertement de sexualité avec leurs enfants, qui à leur tour s’expriment facilement sur le sujet. Ils confient souvent que leurs camarades sont curieux et regardent des films pornos. « Les amis de ma fille », dit Dana, « sont des enfants bien élevés, mais lorsqu’ils surfent sans surveillance, il leur arrive de tomber sur des choses qui peuvent être vraiment extrêmes. Et ils finissent par penser que ce qu’ils voient est la réalité. »
Dana a de longues conversations avec sa fille, et fait de son mieux pour parler naturellement de n’importe quel sujet, « comme si nous parlions du dîner », afin de ne pas l’embarrasser. Son fils a des conversations similaires avec son père. « Nous savons que lui et ses amis sont exposés à la pornographie, et qu’ils recherchent ces choses-là. Notre fils dit toujours à son père : “On sait que ce n’est pas la réalité.” Je lui fais confiance, mais qu’on le veuille ou non, je sais que ces matériaux finissent tout de même par déformer leur façon de voir les choses. Ils n’ont pas de contre-exemple sain pour apprendre ce qu’est la normalité. »
« Avec les enfants, nous essayons de désamorcer les problèmes », explique Alexandra Berger-Polsky. « De leur apprendre à accepter leur corps, par exemple. A travers les médias, les filles en particulier, sont exposées à des messages qui leur font croire que leurs organes génitaux sont intrinsèquement sales et ont besoin d’être nettoyés avec des produits spéciaux, qui ne sont d’ailleurs pas très sains pour elles. Si on leur montre l’image d’une vulve, par exemple, elles vont crier : “Beurk ! Je ne veux pas regarder !” »
Il est intéressant de noter que les ateliers d’éducation sexuelle ne sont en général pas mixtes. « Pour enseigner certains sujets, comme par exemple les relations saines entre hommes et femmes, les classes mixtes peuvent se révéler être un atout », explique Alexandra Berger-Polsky. « Mais pour les sujets plus intimes ou qui nécessitent des illustrations, comme l’anatomie et la physiologie, nous constatons que la séparation entre les sexes permet aux adolescents d’être vraiment en confiance, et de ne pas être gênés pour poser des questions. En outre, les garçons et les filles ont tendance à avoir des besoins très différents, et nous travaillons à développer des matériaux qui leur sont spécialement adaptés. Nous faisons aussi un effort pour que les groupes soient dirigés par un animateur d’ateliers du même sexe. »
« Nous revenons encore et encore sur les rôles de chacun dans une relation », précise Alexandra Berger-Polsky. « Parfois, si on leur demande pourquoi elles veulent à tout prix commencer à avoir des relations sexuelles, les filles vont avoir tendance à répondre que c’est pour plaire aux garçons. Voilà comment elles perçoivent leur rôle ! Avec les adolescents, on essaie de valoriser le fait qu’ils peuvent vouloir attendre avant d’avoir des relations sexuelles, de normaliser le fait de ne pas se sentir mûr. Ou bien de positiver le fait que même s’ils se sentent prêts, ils peuvent ne pas vouloir avoir de relation sexuelle tout de suite. On les aide à comprendre l’importance fondamentale du consentement mutuel et du choix à chaque étape de la relation. Nous leur répétons qu’ils ont toujours la possibilité de dire non, quoi qu’il arrive. »
« Quand nous évoquons l’idée que certains d’entre eux ne sont peut-être pas encore mûrs pour avoir des relations sexuelles, ils supposent généralement que nous parlons forcément des filles. Quand on précise “et si c’est un garçon qui ne se sent pas prêt”, il y a toujours quelqu’un pour lancer “alors c’est qu’il est homosexuel”. L’homophobie est bien ancrée à cet âge et c’est également un thème qu’il faut aborder. »
Stav Rave est d’accord. « Traiter un camarade d’homosexuel est courant dans les cours de récréation, et le sujet est souvent tabou. C’est quelque chose dont presque personne ne parle. Les enseignants ont peur de la réaction des parents s’ils venaient à en faire un sujet de discussion. Mais même s’ils ne veulent pas aborder le thème de l’identité sexuelle, il est impératif d’enseigner au moins la tolérance envers la communauté LGBT. »
« Globalement, les choses ne sont pas si catastrophiques que ça », précise Stav Rave. « Malgré les failles et les faiblesses du système, nous vivons dans un pays qui est relativement instruit et ouvert sur la sexualité. » Elle est d’avis que toute solution doit passer par le ministère de l’Education, qui est appelé prendre davantage de responsabilités sur cette question.
« Le ministère doit être porteur d’un projet clair et limpide, comme il s’emploie à le faire pour toutes les autres matières enseignées. Et il doit soutenir les enseignants et les directeurs d’école. Aujourd’hui, les directeurs font face à des pressions de toute part, qu’elles viennent de l’établissement scolaire, de leur municipalité, ou des parents qui ont leur mot à dire. « Mais il n’y a pas de pénurie de professionnels de qualité », ajoute-t-elle. « S’ils avaient la formation adéquate et s’ils étaient correctement encadrés par l’Etat, les choses se présenteraient très différemment. »
Iris Ben Yackov précise que tous les ministères travaillent actuellement main dans la main à l’élaboration d’un nouveau programme, qui sera mis en place dans le pays. Une initiative qui devrait contribuer à créer un langage commun pour évoquer la violence sexuelle, entre autres, et donner le ton, de façon à renforcer la coordination des efforts en matière d’éducation sexuelle, à la fois dans le milieu éducatif, mais aussi au sein des services sanitaires et sociaux. L’un des nouveaux programmes issus de cette collaboration, devrait entrer en phase de test l’année prochaine. 

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