Quand Israël veut nourrir le monde

L’innovation blanc bleu a déjà fait ses preuves dans un grand nombre de domaines

Cultiver de la nourriture toute l'année avec le système hydroponique (photo credit: FLUX)
Cultiver de la nourriture toute l'année avec le système hydroponique
(photo credit: FLUX)
La meilleure façon de cuisiner les sauterelles est de les assaisonner d’un peu de sel et de les frire dans l’huile comme du poisson », explique Dror Tamir, le fondateur de la société Hargol FoodTech, une start-up israélienne qui a développé une manière innovante d’élever ces insectes à des fins commerciales. Hargol FoodTech est l’une des nombreuses start-up de l’Etat juif à s’être donné pour objectif de créer des technologies afin d’améliorer la qualité des aliments tout en facilitant l’accès à la nourriture. Parmi ces sociétés se trouvent également Flux, pionnière dans le domaine de l’agriculture hydroponique, Pimi Agro, à l’origine d’un produit augmentant la durée de conservation de certains aliments, ou encore Amaizz, qui offre aux petits exploitants du continent africain un moyen d’empêcher le manioc et d’autres plants de pourrir après la récolte.
De la sauterelle au dîner ?
L’intérêt de Dror Tamir pour les sauterelles est né il y a trois ans, alors qu’il effectuait des recherches sur les sources alternatives de protéines dans le cadre d’un projet pour Plate my Meal, une société qu’il a fondée dans le but de combattre l’obésité infantile. En apprenant que la sauterelle, qui contient 70 % de protéines, était une source d’alimentation saine et durable, et que plus de deux milliards et demi de personnes mangeaient déjà des insectes dans le monde, il a eu l’idée de créer une société qui produirait ces orthoptères de manière optimale.
« Dans les pays où elles sont consommées, les sauterelles sont généralement considérées comme un mets raffiné et plutôt rare. En effet, comme elles sont généralement capturées en pleine nature, la production n’est pas très importante », explique Dror Tamir. Il raconte notamment qu’en Ouganda, les chasseurs de sauterelles les attrapent en les attirant de nuit avec des lampes torches avant de les piéger dans des barils. « Ils vendent ça pour deux fois le prix du bœuf mais la saison ne dure que six semaines par an ». Quoi qu’il en soit, le marché que Tamir vise n’est pas l’Afrique, l’Amérique centrale ou encore l’Asie où la consommation d’orthoptères est déjà répandue. Il s’intéresse plutôt à l’Amérique du Nord et à l’Europe, où la poudre de protéine d’insectes est de plus en plus utilisée dans la confection de barres énergétiques, de boissons protéinées et d’autres produits particulièrement prisés par les inconditionnels du fitness et de la nutrition saine. « Etonnamment, certains adeptes du vegan s’autorisent aussi à consommer de la nourriture à base de sauterelles car ce sont des créatures à sang froid, dépourvues d’un système nerveux développé », indique l’entrepreneur. Ce dernier fait également remarquer que certains criquets et sauterelles sont considérés comme cachers par la loi juive et que ces insectes sont parvé (ni carnés ni lactés). « Les juifs du Yémen ou du Maroc ont l’habitude d’en consommer occasionnellement. »
Le principal avantage d’Hargol FoodTech sur ses concurrents dans la production de protéine d’insectes réside dans sa capacité à élever ses propres sauterelles. « C’est quelque chose que les autres ne font pas. Ils se concentrent sur les criquets qui contiennent pourtant moins de protéines que les sauterelles et qui sont plus chers à produire ». Grâce au travail de Chanan Aviv, un des cofondateurs de l’entreprise, expert en élevage d’insectes, la société Hargol a développé une technologie qui permet un meilleur rendement à moindre coût.
L’entreprise a créé un site d’élevage de sauterelles au sein du moshav Elifelet en Haute-Galilée : de petites pièces de cinq mètres carrés accueillent chacune 100 000 sauterelles. Ces réduits offrent des conditions climatiques idéales où les œufs de sauterelles restent en incubation pendant seulement treize jours, au lieu des neuf mois nécessaires dans la nature. Les insectes sont récoltés au bout de trente jours, puis on baisse la température de la pièce. De cette façon les sauterelles s’endorment et peuvent être tuées sans douleur. Elles sont ensuite transformées en poudre ou bien congelées et prêtes à la consommation.
Alors que sa société élève près de cinq millions de sauterelles par an, Dror Tamir explique que la demande dépasse déjà la capacité de production. « Nous pensons que ce marché a énormément d’avenir. Nous n’en sommes qu’au début », confie l’entrepreneur, selon lequel les grands groupes alimentaires cherchent de nouvelles sources de protéines moins chères et plus écologiques que le soja ou les produits dérivés d’animaux. « C’est un marché potentiel de 35 milliards de dollars ». L’autre débouché envisagé est celui des fabricants d’aliments pour animaux domestiques qui lorgnent sur les protéines d’insectes pour leurs nouveaux produits. Pour l’instant, Hargol ne distribue pas ses produits en Israël, mais la situation pourrait changer rapidement. « Nous avons récemment organisé une manifestation culinaire à laquelle ont assisté de grands restaurateurs israéliens qui se sont montrés plutôt excités à l’idée d’ajouter quelque chose de nouveau et de bon à leurs menus », relate Dror Tamir, ajoutant que les sauterelles revenues dans de la sauce teriyaki sont un plat que l’on trouve souvent au menu des bons restaurants au Japon.
Produire ses légumes chez soi
La start-up Flux, basée à Tel-Aviv et à Dallas (Etats-Unis), a développé Eddy, un petit engin qui flotte dans la réserve d’eau des potagers à culture hydroponique. Les capteurs de l’appareil donnent des informations au cultivateur afin de lui permettre de mieux contrôler ses plants.
Le projet a été développé par la fondatrice de la société, Karin Kloosterman, une journaliste israélienne qui a également créé le populaire site Internet écologiste Green Prophet. « J’ai grandi au Canada. Mes parents avaient pour habitude de congeler des légumes de saison de façon à les préserver, y compris des produits organiques que mon grand-père cultivait », raconte l’entrepreneuse. « En tant que chercheuse et journaliste, je me suis rendu compte à quel point l’agriculture conventionnelle fait du mal à la planète. Les fermes hydroponiques, quant à elles, peuvent aussi bien nourrir les populations des pays en voie de développement, que permettre aux habitants des grandes villes du monde de faire pousser des légumes chez eux de manière écologique. ».
De la même façon que Waze partage l’information entre les utilisateurs sur le trafic routier, Eddy utilise son intelligence artificielle et les données récoltées pour fournir l’information au cultivateur qui peut la partager avec un réseau d’utilisateurs. « Eddy étudie le taux de produits chimiques présents dans l’eau et transmet directement l’information sur le téléphone de l’utilisateur, ce qui permet à ce dernier d’agir en temps réel. En plus, le système utilise les informations d’autres cultivateurs et permet ainsi à l’agriculteur de savoir quelle plante faire pousser en fonction de son environnement ». Flux espère livrer pour la première fois son produit au mois d’avril. Karine Kloosterman s’attend à ce que des jardiniers amateurs du monde entier utilisent Eddy pour se connecter à ceux qui ont déjà de l’expérience en matière de production alimentaire.
Le modèle économique de la société repose sur un certain nombre de marchés émergents comme celui du cannabis dont la légalisation par quelques Etats américains offre de nouvelles possibilités. Le cannabis se développe très bien en culture hydroponique, et le marché potentiel aux Etats-Unis est important. Kloosterman relève que de nombreux jeunes ont adopté cette méthode agricole, et pas seulement pour cultiver du chanvre. « Les moins de 30 ans sont une cible importante parce qu’ils sont à l’avant-garde de la révolution de l’alimentation. Plus de la moitié deceux qui sont déjà propriétaires disposent d’un jardin et d’un potager ». Flux envisage de vendre son produit outre-Atlantique à 200 dollars l’unité, d’abord dans les magasins spécialisés, puis au sein des grandes chaînes de distribution.
Lutter contre le gaspillage
Une autre invention israélienne a déjà un impact sur le marché de l’alimentation aux Etats-Unis. Il s’agit de Fresh Protect, un produit nettoyant pour les légumes qui augmente considérablement la durée de vie de ces derniers. « Jusqu’à présent, de nombreux agriculteurs essayaient de protéger leurs produits avec des fongicides et des conservateurs », explique Nimrod Ben-Yehuda, fondateur et président de Pimi Agro. « Ces produits peuvent tenir les insectes à distance et empêcher la pousse de champignons, mais ils contiennent souvent des produits chimiques potentiellement cancérigènes et dangereux pour l’environnement ». Son produit, en revanche, n’est pas toxique. Composé d’oxygène et d’hydrogène, deux éléments parfaitement biodégradables, il est en outre totalement écologique. Pimi Agro a obtenu son premier succès auprès des cultivateurs de papaye du nord d’Israël. « Les fruits qu’ils produisaient devaient arriver auprès du consommateur en une semaine ou bien ils commençaient à pourrir. Mais depuis qu’ils utilisent Fresh Protect, leurs papayes restent fraîches pendant trois semaines. »
La société essaie actuellement d’obtenir toutes les autorisations nécessaires auprès des autorités américaines pour commercialiser leur produit aux Etats-Unis. Ce dernier est déjà à l’essai sur place. Pimi Agro a déjà vendu son Fresh Protect pour plus d’un million de dollars en Israël et aux Etats-Unis, et est en train de lever dix millions de dollars de fonds pour obtenir l’aval des autorités américaines. L’entreprise envisage également de s’étendre ailleurs, notamment en Amérique du Sud et en Afrique.
Nimrod Ben-Yehuda espère pouvoir proposer sa technologie à ceux qui en ont le plus besoin. « Près de 70 % de la nourriture produite dans les pays en voie de développement se détériore avant d’avoir pu être consommée. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, un quart seulement de la nourriture jetée annuellement à travers la planète permettrait de mettre un terme à la faim dans le monde. »
Amaizz est une autre société israélienne qui a déjà pris ce problème à bras-le-corps. Elle a développé plusieurs produits afin d’aider les fermiers à préserver leurs champs de maïs ou de manioc une fois la moisson effectuée. « Le manioc ne supporte pas toujours bien la récolte et les plants ont tendance à se détériorer plus rapidement », explique Ido Batchko, co-fondateur de la start-up. « Nous avons conçu des outils qui allongent la durée de vie de la racine du manioc et permettent de la réutiliser. »
Un autre produit d’Amaizz, principalement destiné aux cultivateurs de maïs, est un nouveau modèle de silo à grain. Celui-ci permet une meilleure ventilation afin d’éviter l’apparition de moisissures et de champignons, tout en protégeant les graines contre les rongeurs et les insectes. Amaizz travaille déjà avec de nombreuses organisations d’aide internationale et espère exporter ses produits au Malawi, au Nigeria et en Inde dans les années à venir.
Ces dernières années, Israël a surtout fait parler de lui dans le domaine de l’information et de la technologie médicale. Nul doute que si l’Etat juif développe son esprit d’innovation et son expertise dans le domaine de la production agricole, la sous-nutrition reculera. 
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