Quelque chose a changé

Depuis le meurtre de la jeune Shira Banki lors de la Gay Pride 2015, les organisations LGBT profitent d’un plus large consensus au sein de la population et misent sur le dialogue tous azimuts

Gay Pride de Jérusalem (photo credit: FLASH90)
Gay Pride de Jérusalem
(photo credit: FLASH90)
Record historique. Jeudi soir 20 juillet, 25 000 personnes ont défilé sous haute sécurité lors de la Gay Pride de Jérusalem. Une marche solennelle pour la tolérance et l’intégration, tout juste un an après le drame. Le 30 juillet 2015, la parade s’était terminée dans un bain de sang. Yishai Shlissel, un déséquilibré orthodoxe tout juste sorti de prison pour un crime similaire, avait poignardé six personnes, tuant la jeune Shira Banki, 16 ans.
Ben Katz, l’un des dirigeants de Shoval, une organisation apolitique qui œuvre au dialogue entre la communauté LGBT et les institutions religieuses, se souvient : « Tout s’est passé très rapidement. La manifestation s’est muée en un véritable chaos. Après cela, je me suis senti attaqué sur le plan personnel et aussi terriblement déçu. Nous avons ressenti ce sentiment de solitude qui est celui de tout membre de la communauté LGBT à un moment de sa vie. C’est aussi ce qui motive mon travail au sein de Shoval : nous discutons avec les gens de ce décalage que nous ressentons souvent entre le soutien qui s’exprime par des mots, et celui que nous recevons de manière concrète quand vient le temps d’agir. »
« L’effet positif des événements de l’année dernière, est que les gens ont finalement pris conscience que nous étions confrontés à un véritable problème », poursuit Ben Katz. « Beaucoup de personnes me disent à quel point elles sont choquées de ce qui s’est passé. Je leur réponds que pour ma part, alors que j’étais en train de courir pour échapper à un fanatique armé d’un couteau, je n’étais pas surpris de ce qui arrivait. »
Etty Hadad, membre du comité directeur de Bat Kol, une association religieuse lesbienne, était sur place elle aussi : « C’était la première fois que je participais à la marche à Jérusalem. L’ambiance était très festive, j’étais émue d’être là. Tout d’un coup nous avons vu un attroupement de policiers et j’ai entendu quelque chose sur leur radio. J’ai dit à mon amie qu’un incident s’était produit, une bagarre probablement. Puis nous avons réalisé ce qui venait de se passer. Tout le monde était en état de choc, c’était terrible. » Pendant les semaines qui ont suivi le drame, la jeune femme a dit à tous ses amis gays de Tel-Aviv à quel point il était important qu’ils participent à la Gay Pride de Jérusalem l’année suivante.
2015, le tournant
Yoav, 19 ans, est orthodoxe et hétérosexuel. Jeudi soir, il a fait la route depuis Kfar Saba, avec sa kippa et son tee-shirt aux couleurs de l’arc-en-ciel. « En tant que harédi, je suis venu soutenir cette parade ainsi que les droits des homosexuels en Israël, en particulier après le meurtre de Shira Banki », confie-t-il. « En tant que personne religieuse, il est de mon devoir de soutenir le respect des minorités. »
Pour Sarah Weil, coordinatrice des programmes du mouvement Yeroushalmit, le traumatisme subi l’année dernière, a ouvert une nouvelle voie de dialogue. « Ma réponse au drame n’a pas été de me replier sur moi-même comme j’aurais pu le faire. Au contraire, j’ai décidé de sortir à Jérusalem et de m’afficher clairement en tant que membre de la communauté LGBT », explique-t-elle. « Je me suis mise au milieu de kikar Tsion avec un grand drapeau arc-en-ciel. C’était ma manière de faire face : aller à la rencontre de mes “ennemis” potentiels. J’ai alors été assaillie par des orthodoxes, beaucoup d’hommes, mais aussi des femmes, qui tenaient absolument à me faire savoir que l’homme qui avait commis cet acte horrible ne les représentait en rien. Dans le même temps, certains m’ont également dit que ce que je faisais était mal, et que j’étais une abomination qui profanait le caractère sacré de la Ville sainte. » Cette rencontre entre une personne visiblement LGBT et des harédim était une première, dit-elle. « Le leadership orthodoxe impose aux harédim de rester loin des homosexuels. Le fait qu’ils viennent me parler spontanément montrait qu’il se passait quelque chose, quelque chose de nouveau. J’ai senti qu’il y avait une opportunité de dialogue, ancrée dans une douleur partagée : celle, pour les ultraorthodoxes, d’être assimilés à un fanatique ; celle, pour moi, d’être attaquée en raison de mon orientation sexuelle. Ce moment a constitué un tournant. J’ai réalisé l’extraordinaire pouvoir de ce genre de rencontres. »
Après la tragédie, Sarah s’est assise à kikar Tsion avec beaucoup d’autres afin de marquer les sept jours de deuil consécutifs au décès de Shira Banki. Durant cette période, la jeune femme a encore pu constater toute la force qui se dégageait des face-à-face avec les passants. Ces rencontres ont fait leur chemin et sont devenues régulières : elles ont lieu au même endroit tous les jeudis soir sous le label Nekoudat mifgach (point de rencontre). « Certains secteurs de la société affichent une homophobie de plus en plus forte, mais échappent aux sanctions prévues pour de tels délits », regrette Sarah. « Leurs écoles sont par ailleurs imperméables aux initiatives de sensibilisation mises en place par le ministère de l’Education. Mais le problème est aussi plus général : étant donné le peu d’éducation sexuelle au sein des écoles, le volet LGBT n’y a pas de place. Il nous est donc très difficile de nous faire entendre en utilisant les canaux officiels. » D’où l’intérêt, selon elle, d’utiliser l’espace public comme kikar Tsion, un lieu de passage où des gens de tous horizons se croisent sans jamais vraiment se parler. Bref, l’espace de rencontres idéal.
Le temps du dialogue
« Nous avons réalisé que nous ne pouvions pas laisser passer ce moment. Nous devions faire quelque chose de ce dialogue que nous avons expérimenté durant la semaine de deuil, de ce moment d’humanité partagée. Il fallait le faire fructifier. » Pour Sarah, l’un des plus grands changements opérés réside dans la prise de conscience de la nécessité d’un nouveau genre d’activisme. Alors que par le passé, la communauté LGBT mettait toute son énergie à protester contre ses ennemis, le temps de la compassion et du dialogue a sonné. « Il faut désormais prôner l’écoute mutuelle et aller vers les gens qui ne nous aiment pas. Protester était nécessaire à une époque donnée, mais aujourd’hui, nous devons penser différemment, et envisager de nouvelles manières de promouvoir l’égalité des droits et l’intégration sociale des homosexuels. »
L’une des autres évolutions positives constatées depuis l’année dernière est l’intérêt de philanthropes non liés à des organisations LGBT pour la cause homosexuelle. L’Organisation pour une Jérusalem pluraliste notamment, a réalisé depuis le drame de 2015 à quel point il était important de soutenir la communauté LGBT, qu’elle intègre désormais pleinement à sa vision de la Ville sainte. Les membres de cette association, Israéliens et olim, religieux et laïcs, travaillent ensemble afin de préserver le caractère de sainteté et l’histoire de Jérusalem, tout en parvenant à respecter les différences et la singularité de chacun de ses résidents. « Le soutien de cette organisation constitue pour nous un pas considérable », affirme Sarah Weil.
Miryam Kabakov, directrice exécutive de l’association Eshel, qui s’emploie à créer des ponts au sein des communautés orthodoxes, fait également un bilan positif de l’année écoulée. « De plus en plus de personnes, particulièrement à Jérusalem, s’engagent auprès de nos associations et s’impliquent afin de faire évoluer la communauté LGBT. C’est la première fois qu’autant de nouvelles initiatives voient le jour. » Daniel Jonas, président de Havrouta, une organisation d’hommes homosexuels religieux, affirme lui aussi avoir constaté des changements majeurs. Cette année, plus de 100 organisations issues d’horizons divers étaient impliquées dans la Gay Pride de Jérusalem. Un chiffre bien plus important que les années précédentes. « Je sens plus de tolérance à notre égard, même si c’est encore loin d’être parfait. Il y a encore de nombreuses personnes qui s’opposent à notre marche et qui nous demandent pour quelle raison nous faisons cela. Je leur réponds que si une personne a trouvé légitime de poignarder des gens juste parce qu’ils sont différents, alors cette marche est plus nécessaire que jamais. »
Shira Banki, qui n’était pas elle-même homosexuelle, avait participé à la Gay Pride afin de soutenir certains de ses amis et leur droit de vivre leur vie librement. Elle représentait la quintessence de ce que devrait être la Marche des fiertés et Jérusalem : un modèle de reconnaissance et de compréhension de l’autre.
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