Torah on-line

L’éducation juive des enfants des émissaires Habad, dispersés aux quatre coins du monde, a toujours représenté un défi majeur. Le problème est désormais résolu grâce à l’école en ligne

Des enfants des émissaires Habad (photo credit: SHMUEL AMIT)
Des enfants des émissaires Habad
(photo credit: SHMUEL AMIT)
Les jeunes garçons dansent, chantent, applaudissent, montent sur les tables, sautillent, s’exclament quand leur professeur appelle leur section. Dans un établissement traditionnel, il serait plutôt rare de voir des élèves aussi enthousiastes et heureux d’être à l’école. Mais nous sommes au siège mondial du mouvement Habad à Brooklyn, et c’est la première fois que ces enfants, qui étudient ensemble par écrans interposés, se rencontrent physiquement. Isolés depuis des mois derrière leur ordinateur, ils ont enfin l’occasion de voir leurs camarades et leurs professeurs en chair et en os. Un véritable moment de bonheur pour tous ces garçonnets âgés de 6 à 14 ans qui passent 6 heures et demie par jour au sein de la même classe virtuelle par le biais des cours en ligne dispensés par le mouvement hassidique.
Cette rencontre entre élèves a lieu dans le cadre du Kinous hachlouhim, le grand rassemblement annuel des émissaires Loubavitch. Ces jeunes garçons accompagnent leurs parents à la tête de centres Habad dispersés aux quatre coins du monde. Cet événement majeur du mouvement religieux est également l’occasion pour ces envoyés de se rencontrer et d’échanger leurs expériences et leurs idées. Ils viennent du Mexique, du Canada, du Venezuela, de Grande-Bretagne, de Suède, de Norvège et d’ailleurs.
La priorité des priorités
Grâce à l’enseignement en ligne, ces familles, souvent installées dans des no man’s land au niveau judaïsme, ne sont désormais plus inquiètes d’évoluer dans un environnement dépourvu d’infrastructure juive, et peuvent malgré tout assurer à leurs nombreux enfants une éducation conforme à leurs convictions. Il y a encore quelques années, l’instruction de ces enfants constituait un vrai défi, et les parents étaient souvent contraints de se muer en instituteurs, afin d’éviter que leur progéniture ne se mêle au monde non juif ou non religieux.
Au sein du mouvement Habad, l’éducation a toujours été une priorité. Tout au long de sa vie, le rav Menahem Mendel Schneerson, 7e héritier de la dynastie du hassidisme Habad, et l’une des autorités spirituelles les plus influentes du XXe siècle, a mis l’accent sur la transmission des connaissances, sur l’importance de l’enseignement, de l’aide mutuelle et sur la nécessité de créer des écoles Habad afin de diffuser l’enseignement de la Torah… Son message a été largement entendu et aujourd’hui le mouvement Loubavitch peut s’enorgueillir de disposer du plus grand réseau éducatif juif de par le monde.
Le système d’école virtuelle, l’une des dernières innovations des Habad, toujours à la pointe de la technologie, fonctionne, et ceux qui en profitent en sont satisfaits. « Mon fils a rencontré ses compagnons de classe pour la première fois et c’était un moment très émouvant », explique le rabbin Benny Hershkovich de Los Cabos au Mexique, venu à New York avec son fils de 8 ans, élève de CE2. Même satisfaction pour le rabbin Yossi Laufer de Rhode Island aux Etats-Unis. Son fils de 12 ans, Dov Ber, s’amuse avec ses camarades, s’adresse à ses professeurs sans aucune timidité, picore dans les plats du buffet… un vrai bonheur que de le voir aussi heureux.
Une révolution éducative
« Apparemment on ne leur apprend pas à être calmes et obéissants quand ils sont en classe », fait remarquer avec un sourire en coin le rabbin Hershkovich. « Ils sont tous très excités d’être ensemble ; j’ai deux enfants dans l’école et ils rêvent toute l’année de participer à ce moment », renchérit Malkie Gurkow, une des responsables des programmes scolaires et aussi l’une des rares femmes à être présente à cet événement.
Devora Leah Notik, codirectrice du réseau scolaire virtuel Nigri International Shluchim Online School, nous raconte la genèse de celui-ci. « Un petit groupe de parents émissaires qui vivaient dans des endroits ne disposant pas d’infrastructures juives se sont adressés en 2006 au centre des chlouhim (émissaires) à Brooklyn pour leur faire part de leurs difficultés à éduquer leurs enfants dans le respect de la loi juive, et de leurs inquiétudes quant à la transmission du rôle d’émissaires au sein de la communauté Habad. Le bureau des chlouhim a pris l’affaire très au sérieux : à la suite de conférences téléphoniques entre différents émissaires, le système de cours en ligne a été créé. Cette école est partagée en quatre grandes zones géographiques : Amérique occidentale, Amérique orientale, Europe-Asie (enseignement en langue anglaise) et Europe-Asie (enseignement en hébreu). Bien que les élèves soient assis devant leurs écrans d’ordinateurs, la séparation des sexes, comme de coutume dans les écoles religieuses juives, persiste : les garçons étudient entre eux et les filles entre elles. L’année scolaire, calquée sur le calendrier académique classique, commence début septembre et se termine fin juin.
Les 380 élèves de la zone Amérique sont sous le contrôle de deux directeurs d’école, Malkie Gurkow, dans le Massachussets, aux Etats-Unis, et le rabbin Yaakov Ringo de Montréal. Le bureau central est situé à Brooklyn, et sert de plateforme pour l’ensemble de la zone américaine (359 enfants issus de 186 familles), et pour celle de la zone Europe-Asie où les élèves étudient en anglais (37 enfants venant de 32 familles).Un centre pédagogique et administratif est également installé en Israël pour gérer les élèves qui suivent l’enseignement en hébreu (279 enfants issus de 113 familles).
Le programme scolaire et les méthodes d’éducation ont été créés pour être spécialement adaptés à l’enseignement en ligne. Le cursus est mis à jour régulièrement, et les cours sont ponctués de présentations Power Point et de diaporamas. Même assis derrière leurs écrans, les enfants revêtent un uniforme (une veste avec le logo de Chabad Online School) ; chacun dispose de webcam et de micro et doit appuyer sur le bouton « lever la main » pour prendre la parole. Des tests et des quiz sont organisés régulièrement. L’écran de leur ordinateur est divisé en deux parties : dans l’une, ils voient les autres élèves et le professeur, et sur l’autre moitié s’affichent tableaux, diaporamas, et instructions. Parfois les classes peuvent être recomposées en fonction des besoins de chacun.
Un système bien rôdé
Les familles Habad ont souvent plusieurs enfants qui suivent l’enseignement en ligne. Tous les cas de figure se présentent. « Les enfants d’une même famille sont regroupés dans une pièce de la maison et étudient ensemble, ou bien c’est chacun dans sa chambre, installé derrière son bureau. C’est toujours amusant de voir comment chaque foyer s’organise », souligne Devora Leah Notik.
A quatre ans, les enfants chantent, apprennent des portions hebdomadaires de la Torah, ainsi que les grands principes du judaïsme et quelques commandements, ceci pendant 60 à 90 minutes. Les plus âgés, ceux qui intégreront très probablement des yeshivot en Israël ou aux Etats-Unis à l’âge de 14 ans, étudient six heures et demie par jour. Des pauses interviennent toutes les 45 minutes et les repas, quelles que soient les tranches d’âge, ont lieu au même moment pour faciliter la vie des familles.
A Copenhague, les deux fillettes de la famille Lowenstein sont installées devant leurs ordinateurs et suivent les cours en ligne, chacune dans sa chambre. « Cela fonctionne comme n’importe quelle autre école, sauf que c’est en ligne », souligne leur mère Rochel Lowenthal, qui a sept autres enfants.
Ces élèves passent le plus clair de leur temps à apprendre et à participer à des cours, mais il y a également « des activités extrascolaires, des projets éducatifs, des thèmes mensuels à préparer en dehors du cursus, exactement comme dans une école normale. Nous avons des enfants qui suivent le programme de la zone européenne, et deux qui suivent celui de la zone américaine, ce qui fait que nous sommes sur la brèche de 9 heures du matin à 6 heures du soir », explique Rochel.
Cette émissaire Habad est très satisfaite de ce système éducatif en ligne. « C’est un énorme soulagement, confie-t-elle. « Ce dispositif nous permet de transmettre nos valeurs à nos enfants, même en étant isolés géographiquement. Grâce à cela, nous avons aussi pu garder nos enfants les plus âgés à la maison jusqu’au lycée. Quatre d’entre eux ont été diplômés – la cérémonie de remise des diplômes s’est déroulée en ligne – et ils se sont ensuite parfaitement adaptés au lycée, Dieu merci », ajoute-t-elle.
Les autres enfants de Rochel sont en primaire et secondaire – Chana, 12 ans en 5e, Devorah-Leah, 9 ans en CE2, et Sheina 7 ans en CE1. Toutes ont rencontré leurs camarades en se rendant à la conférence internationale.
Des parents impliqués
L’institution a également prévu une formation en ligne destinée aux parents qui participent à des discussions, apprennent à soutenir leurs enfants et à les aider dans leurs tâches scolaires quotidiennes. Certaines familles reçoivent des aides financières pour payer la scolarité. Ils doivent également acheter les uniformes et les livres. Le matériel scolaire est envoyé par la poste ou transmis en ligne sous forme de fichiers PDF. Le programme scolaire se concentre sur les sujets relatifs à la religion : prières, philosophie du mouvement hassidique, Torah, Talmud…
« En termes logistiques, l’enseignement en ligne réclame une parfaite organisation, des règles très strictes et une adaptation aux différents fuseaux horaires ce qui n’est pas évident car certains enfants habitent très loin les uns des autres. C’est notamment le cas pour l’Australie et la Chine où le décalage horaire avec les Etats-Unis est de 13 heures », explique Devora Leah Notik, qui espère un jour ouvrir une zone pour l’Asie seulement. « Par ailleurs, nous devons aussi modifier les horaires en fonction des changements de saison, accorder plus de temps de traduction à ceux dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, et nous ne donnons pas de devoirs à la maison pendant les fêtes qui sont des périodes très intenses dans les centres Chabad », ajoute-t-elle.
Si l’organisation des cours est compliquée à mettre en place du fait des distances, le fait que les enfants étudient à la maison n’est pas sans poser des problèmes domestiques au sein des familles. Le rabbin Zalman Lewis de Brighton en Angleterre souligne que l’enseignement en ligne implique des contraintes supplémentaires. « Ma femme n’a pas une minute à elle, elle ne s’arrête pas un moment. Dans une école normale, les enfants quittent la maison le matin et reviennent toujours plus ou moins à la même heure. L’appartement est vide pendant un long moment, et on peut faire du ménage ou préparer les repas. Avec l’enseignement en ligne, les enfants sont tout le temps sur place », fait-il remarquer.
Les parents doivent aussi endosser un rôle de surveillant pour vérifier que leurs enfants sont assidus, qu’ils participent aux cours et font leurs devoirs. « Nous jouons un rôle très important et nous contrôlons leur apprentissage. Un de nos fils est un véritable geek : nous devons sans cesse vérifier qu’il suit bien ses cours et ne fait pas autre chose. Pour cela, nous faisons en sorte de voir tout le temps l’écran de son ordinateur afin de surveiller ce qui se passe », poursuit Devora Leah Notik. Une assistance technique est également fournie 24 heures sur 24, et les questions de sécurité et de confidentialité sont prises très au sérieux par des équipes spécialisées installées en Israël et aux Etats-Unis.
Les élèves ayant des besoins particuliers sont aussi éligibles à ce système de cours en ligne. « Le Rabbi de Loubavitch a toujours été très soucieux de l’éducation des enfants, de tous les enfants. Chacun doit pouvoir en profiter et l’enseignement doit s’adapter aux besoins spécifiques et fournir des solutions appropriées », explique Devora Leah Notik. « C’est pourquoi nous proposons des aides individuelles ainsi qu’un programme éducatif personnalisé. Nous disposons de matériel pédagogique diversifié pour nous adapter à tous les cas de figure. »
La vision Habad
Alors que la plupart des ultraorthodoxes sont plutôt réticents à l’utilisation de l’Internet et des nouvelles technologies de communication, les membres de la communauté Habad sont nettement plus ouverts à la modernité. « Le Rabbi désignait ces outils de communication comme étant des créations de Dieu qui permettent de partager le savoir, les connaissances, les traditions », poursuit Devora Leah Notik. « Lui-même s’exprimait à la radio, et les rassemblements hassidiques étaient diffusés à la télévision. L’idée était de permettre à tous ceux qui ne pouvaient être présents physiquement, de prendre quand même part à ces événements. Et aujourd’hui, grâce à Internet, tout est encore plus accessible. C’est un outil incomparable… », se réjouit-elle.
Simon Jacobson, contributeur au Algemeiner Journal, une publication new-yorkaise spécialisée dans l’actualité juive et israélienne, confirme. Ce membre de la communauté Loubavitch qualifie la révolution technologique « d’œuvre de Dieu, qui nous permet de rendre celui-ci plus présent dans notre vie quotidienne ».
A Brooklyn, la journée de célébration se termine par un appel de toutes les classes présentes. Le rav Yaakov Ringo appelle chaque classe, de B2 à B7, dans un climat euphorique : les enfants applaudissent, agitent des bâtons lumineux et dansent.
D’ici quelques mois, les rôles seront inversés et ce seront les filles Habad accompagnées de leurs mamans, qui participeront à une grande rencontre internationale dans une ambiance similaire de cour de récré. 
 
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