Tourisme en Israël : une manne sous-exploitée

Ce secteur d’activité doit revoir sa copie afin d’accueillir plus de visiteurs étrangers

La vue d'une des plages de Tel-Aviv (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
La vue d'une des plages de Tel-Aviv
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Le tourisme est loin d’avoir été une priorité pour Israël. Durant les premières décennies de son existence, alors que le pays luttait pour sa survie, il n’avait ni temps ni argent à consacrer au développement d’une industrie touristique digne de ce nom. Le seul afflux de visiteurs provenait des Etats-Unis, des juifs américains qui auraient de loin préféré faire du farniente sur une plage des Bahamas… Mais que ce soit par admiration, fierté, sentiment de culpabilité ou d’obligation de soutenir le foyer juif en gestation sans faire le sacrifice de l’aliya, ces derniers consentaient à se laisser maltraiter par les stewards revêches d’El Al, escaladaient Massada par des températures extrêmes, et arpentaient en pure perte les rues de Jérusalem, à la recherche d’un restaurant ouvert après 20 heures… Le même lien émotionnel commençait à également à attirer une autre population vers la Terre sainte, celle des pèlerins chrétiens et du mouvement des chrétiens sionistes. Trop heureuse de voir arriver ces touristes prêts à braver les vols transatlantiques inconfortables et onéreux, les chambres d’hôtel basiques et les circuits touristiques sous-exploités, ce secteur d’activité est resté trop longtemps au stade infantile.
Sauf que peu à peu, l’idée de prendre ses vacances en Israël est rentrée dans les mœurs : ce qui était autrefois une action militante, est devenu un vrai plaisir pour les amoureux des voyages. C’est ainsi qu’en quelques années, l’Etat juif s’est mué en une destination prisée. La nourriture tout juste comestible des réfectoires de kibboutz a alors été reléguée aux oubliettes, remplacée par des tables de chefs de niveau international et un service à la hauteur.
Des obstacles majeurs
Reste toutefois le problème des prix. Israël est connu pour son coût de la vie élevé et le tourisme ne fait pas exception. Conscient de cet écueil, le secteur a décidé de se pencher sur le problème.
Selon les chiffres publiés en janvier, 2016 a vu une augmentation de la fréquentation touristique de 3,6 % par rapport à l’année précédente, avec 2,9 millions d’entrées sur le territoire. Si l’accroissement paraît modeste à première vue, il faut savoir que chaque arrivée de touriste est le résultat d’un marketing très sophistiqué visant à convaincre de choisir Israël comme destination de vacances. Selon Mark Feldman, qui tient une agence de voyages à Jérusalem, un double obstacle empêche l’industrie locale du tourisme d’atteindre des sommets : la question de la sécurité et le coût des vacances.
« On ne peut pas se voiler la face, les gens ont peur de venir ici », dit-il, ajoutant que le pays est également victime d’associations négatives sur le plan géographique. « Pour la grande majorité des voyageurs d’Europe et d’Amérique du Nord, Israël est un pays du Proche-Orient comme les autres. Et quand il y a des problèmes dans la région, comme la guerre en Syrie, le tourisme local s’en trouve affecté. Ajoutez à cela les facteurs sécuritaires propres au pays lui-même, comme les missiles et les attentats, et vous comprendrez pourquoi Israël est jugé comme une destination dangereuse.
Pour cette raison, nous ne serons jamais à même d’attirer les touristes de la même façon que la Grèce ou d’autres pays du pourtour méditerranéen. »
Néanmoins, même s’il y avait soudain la paix et que les problèmes de sécurité n’excluaient plus Israël de la liste des destinations privilégiées, une autre question se poserait : celle du coût. « Certes, on a fait des progrès sur ce plan. Le gouvernement peut s’enorgueillir notamment d’une réalisation importante avec sa politique d’ouverture du ciel, qui permet désormais aux compagnies aériennes low cost de relier Israël au reste du monde. Le billet d’avion est devenu très bon marché, surtout au départ de l’Europe, mais aussi de l’Amérique du Nord, de l’Afrique du Sud et de l’Extrême-Orient », indique Mark Feldman.
« Ce qui n’a pas bougé, en revanche, c’est le prix des chambres d’hôtels : il est le même qu’à New York ou Londres, tandis que les pays de la Méditerranée, qui sont nos concurrents directs, sont moins chers. Dans l’idéal, les touristes qui viennent en Israël devraient avoir du mal à trouver des chambres à 100 euros
parce qu’elles sont prises d’assaut, à l’image de ce qui se passe ailleurs. Mais dans la réalité s’ils n’en trouvent pas c’est tout simplement parce qu’ici, elles sont inexistantes ! »
Si le taux d’occupation des hôtels – 67 % en 2016 – est comparable à celui de la plupart des pays occidentaux, Israël affiche cependant de très grosses variations entre la haute saison (été et fêtes religieuses) et la saison creuse. Mark Feldman ne doute pas qu’une baisse des prix ferait monter ce taux en flèche. « Il n’est jamais agréable d’avoir à dire à un client que la chambre de l’hôtel qu’il a choisi coûte 350 dollars la nuit. « C’est très dissuasif, croyez-moi ! », assure le gérant, soulignant que les tarifs d’un séjour en Israël sont bien plus élevés qu’en Espagne ou au Portugal, sans parler de la Grèce. »
Les réformes du salut ?
Le ministre du Tourisme, Yariv Levin, s’attaque au problème avec un mélange de verve enthousiaste et d’analyses chiffrées. Avocat de profession, député Likoud depuis 2009, il s’est fait remarquer pour son éthique de travail dont il continue à faire preuve depuis sa nomination au portefeuille du Tourisme en 2015.
« Ce n’est pas un poste traditionnellement convoité, mais moi, je suis vraiment heureux d’y être ! », se réjouit-il. « Le tourisme en Israël jouit d’un magnifique potentiel. Nous bénéficions de tout ce qu’il faut : un climat excellent, l’histoire, la religion, des sites naturels fabuleux et des habitants qui parlent une multitude de langues. » Le ministre admet toutefois que ce domaine a été trop longtemps négligé et met en avant deux raisons principales : la valse incessante des ministres du Tourisme, ainsi qu’un budget très réduit. »
Pour ce qui est des tarifs en vigueur, le ministre est également conscient du problème. « Le coût d’une chambre d’hôtel comprend des facteurs modifiables et d’autres qui ne le sont pas. Nous devons jouer sur les premiers afin de faire baisser les prix. » Les frais de maintenance, qui représentent une charge significative, ne sont par exemple pas négociables. « Le ratio entre le nombre de chambres et le nombre d’employés d’un hôtel est presque de 1 pour 1, ce qui signifie qu’un établissement de 200 chambres nécessite 200 employés. Sachant que le salaire minimum local est plus élevé que dans la plupart des autres pays – 10 % de plus par rapport à l’Espagne, presque deux fois celui de la Grèce et 5 fois celui de la Jordanie –, cela représente un coût significatif », indique le ministre.
Parmi les réalisations qui ont entraîné une hausse du tourisme, figure la simplification radicale du processus d’obtention de visas et la baisse de leur prix pour les touristes venus de pays comme la Chine ou l’Inde, sans compter les avantages offerts à de petites compagnies aériennes comme Ryanair ou Wizz Air afin de les inciter à desservir Israël.
Yariv Levin a également fait passer la loi sur les hôtels, qui définit ces derniers comme faisant partie de l’infrastructure nationale : une nuance de taille qui devrait mener à la simplification des procédures dans la planification et la construction des établissements. A la clé : leur multiplication, qui mènera inévitablement à une baisse du tarif des chambres. Cette législation constitue ainsi la première tentative sérieuse de s’attaquer à ce problème des coûts. « En Israël, construire un hôtel nécessite jusqu’à aujourd’hui des démarches administratives sans fin », déplore Yariv Levin.
« Ceci alors que nous souffrons d’une pénurie : le centre du pays notamment ne possède ni hôtel trois étoiles, ni auberge de jeunesse. Rien n’est proposé pour les voyageurs à petit budget. »
L’introduction d’une certaine variété permettra aux agences de proposer des forfaits tout compris à tous les types de touristes, explique-t-il, et aidera à renforcer le taux d’occupation annuel des établissements en faisant venir des touristes en basse saison. « Il est absurde de devoir dire à un touriste : “Venez en Israël, le vol ne coûte que 100 euros ! En revanche, la nuit d’hôtel est à 350 dollars…” »
Quid de la question sécuritaire ? Yariv Levin indique qu’il a modifié sa position sur le sujet depuis sa prise de fonction. « Auparavant », explique-t-il, « mon premier réflexe après un gros attentat ou en cas d’affrontement entre Israël et le Hamas ou le Hezbollah, aurait été de dire : “Arrêtez toutes les campagnes publicitaires ! Qui peut vouloir venir en Israël dans une telle période ?” Cependant, j’ai rapidement changé de point de vue. Aujourd’hui, je recommande, au contraire, d’intensifier la promotion, même face au terrorisme, car si l’on est fluctuant et qu’on a l’impression de n’avoir un bon produit qu’une partie du temps, on n’arrivera à rien. Le message à faire passer est plutôt d’insister sur le niveau de sécurité dans le pays qui est bien plus élevé qu’à Rio ou à Paris. »
L’art de faire sa promotion
Israël ne se contente plus de miser sur ses attraits historiques et religieux pour séduire les touristes juifs et chrétiens : il se positionne comme un concurrent sérieux pour d’autres pays méditerranéens et européens en tant que destination de choix pour son climat, ses plages et ses restaurants. Les Etats-Unis constituent le principal pourvoyeur de touristes pour Israël. L’an dernier, 648 310 touristes américains ont séjourné en Israël, soit 5 % de plus qu’en 2015 et 8 % de plus qu’en 2014. En même temps, on a assisté à un bond spectaculaire du tourisme en provenance de pays moins attendus, comme la Chine (+69 %), la Croatie (+62 %), la Biélorussie, la Lituanie, la Géorgie (+41 %) ou les Philippines (+27 %).
La première campagne de publicité pour Israël jamais diffusée en Inde a généré plus de 11,7 millions de vues du YouTube. Contrairement à ceux de l’Occident, ces touristes-là n’ont pas le facteur « sécurité » à l’esprit ; ils cherchent avant tout à vivre une expérience de voyage exceptionnelle. « Mes clients chinois et les agents qui les envoient ici ne m’ont jamais demandé si le pays était dangereux », confirme Mark Feldman. « Ils ne suivent pas l’actualité et ne savent pas grand-chose de la situation sécuritaire dans la région. »
« Israël est de plus en plus présent sur la scène touristique », affirme Yariv Levin. « Prenez les petites agences de voyages qui ne poussaient pas particulièrement leurs clients vers notre pays auparavant. Il suffit que deux ou trois personnes leur disent : “J’ai vu Israël sur Expedia, qu’en pensez-vous ?”, pour qu’elles commencent à envisager celui-ci comme destination à la mode et qu’elles se mettent à la commercialiser. »
Pour Shahar Shilo, spécialiste du tourisme, Israël a encore beaucoup de travail pour rattraper le temps perdu après des années de négligence. « Pendant longtemps, nous avons dû nous concentrer sur la défense et sur le développement du high-tech, ce qui nous a permis de devenir une grande puissance économique. Le tourisme, en revanche, n’est pas un secteur que l’on a cherché à développer ou dans lequel on a jugé bon d’investir », indique-t-il alors qu’il conduit un groupe de touristes en trekking dans le désert du Néguev. Ex-directeur du programme de formation des guides du ministère du Tourisme, Shahar Shilo donne des conférences à l’université Ben-Gourion sur le tourisme international. Il est en outre spécialiste des sites du patrimoine et rédige actuellement sa thèse de doctorat sur la Cité de David. Il rejette la théorie généralement admise selon laquelle les problèmes de sécurité et le coût de la vie ont freiné jusqu’ici le potentiel touristique d’Israël.
« Pour la plupart des touristes, la partie la plus risquée du voyage en Israël est le trajet pour aller de chez eux à l’aéroport », estime-t-il. « L’Egypte est un pays beaucoup moins sûr qu’Israël et son image est bien pire. Cela ne l’a pas pourtant pas empêchée d’accueillir 9,5 millions de touristes l’an dernier, soit trois fois plus qu’Israël. Alors je suis désolé, la sécurité n’est pas le principal problème ! Israël est plus sûr que la plupart des autres pays : ici, le temps de réaction lorsqu’il se passe quelque chose va de 15 secondes à 2 minutes, et en général, tout est terminé en quelques minutes.
Savez-vous combien de temps a duré l’attaque sur l’aéroport Atatürk à Istanbul, le 28 juin dernier ? Le temps de faire l’aller-retour jusqu’à Tel-Aviv… Ce qu’il faut combattre, c’est l’image d’Israël comme un pays dangereux. »
Le prix élevé de l’hébergement en Israël ne représente pas non plus un obstacle majeur. Il faut, selon Shahar Shilo, travailler sur la segmentation. « Allez dans le golfe Persique et essayez de trouver une chambre à moins de 900 dollars ! Pourtant, le taux d’occupation des chambres est impressionnant [il avoisine les 80 % depuis quelques années]. Pourquoi ? Parce qu’il existe une clientèle pour chaque catégorie de prix. Si Israël pratique des tarifs élevés, il faut trouver le segment qui peut payer ces prix. Les coûts ne sont pas un problème israélien, c’est la population à laquelle s’adresse la publicité qui importe », assure-t-il. « On ne pourra jamais renoncer au secteur touristique que constituent les pèlerins, mais cela ne signifie pas qu’il ne faut pas rechercher d’autres segments, ceux qui peuvent se permettre de dépenser beaucoup plus d’argent ici. Environ 400 000 personnes viennent en voyage d’affaires chaque année : cette clientèle est une manne qu’il faut encore développer. »
Le spécialiste pointe également les sommes dérisoires consacrées à la promotion du tourisme dans le pays. « Il y a 25 ans, la Turquie et Israël avaient à peu près le même nombre de touristes (environ 1,2 million). Comment se fait-il que l’an dernier, la Turquie en a attiré 40 millions, et nous à peine 3 ? Même chose pour l’Allemagne : il y a 25 ans, aucun Européen n’avait envie d’aller là-bas, c’était le pays le plus détesté d’Europe. Il accueillait à peine un million de touristes. Comment ont-ils fait pour passer à 30 millions l’an dernier ? »
Parvenir au chiffre de 4 millions de touristes par an n’est pas irréaliste. « Avec notre infrastructure locale, nous avons les moyens de les accueillir », estime Shahar Shilo, précisant toutefois que pour en recevoir davantage, l’industrie du tourisme n’aura d’autres choix que d’entreprendre la mise en place d’infrastructures adéquates de grande envergure. »
Malgré ce que peut en dire Shahar Shilo, Mark Feldman reste persuadé que la seule chose qui fera vraiment décoller le tourisme dans le pays est une situation sécuritaire stable. « Nous avons un produit excellent », dit-il. « L’époque où le service et les installations laissaient à désirer est révolue. Notre offre tient le haut du panier. Mais quand quatre soldats se font tuer à Jérusalem et que les médias du monde entier ne parlent que de cela, le touriste occidental se dit : “L’an prochain à Jérusalem. Cette année, ce sera l’Italie…” »

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