L’idéal du kibboutz

Kibboutz, de Shakin Nir, l’idéal sioniste ou la fin d’un rêve. Une lecture essentielle pour un devoir de mémoire.

P24 JFR 150 (photo credit: DR)
P24 JFR 150
(photo credit: DR)

Saül est le héros de la désillusion, victime de son idéalsioniste moribond. Il choisit la mort, comme sa vie durant, il a choisi lekibboutz, avec la même tranquillité.

C’est un vrai héros… de la trempe de ceux qui s’engagent au péril de leur vie,bâtisseurs qui soulèvent des montagnes, courageux pourfendeurs des injustices,qui bravent tous les dangers. C’est un sioniste. Mais les héros meurent aussi.Et on leur en veut.
Un jour, « pressé comme un citron », Saül marche vers l’horizon. « La vitessede chute de son corps vidé l’étonna avant qu’il ne s’écrase sur les rochers aupied de la falaise. Et c’est dommage ». Un suicide, conclut le commissaireréticent à en informer le rabbinat. « Les orthodoxes exigeront un enterrement“hors du mur” et cela déclenchera un scandale, des questions, des discussions,des manifestations. Il en était fatigué d’avance. Sans le connaître, il sesentait proche du gars de la falaise. » Alors il ne lui reste plus qu’à trouverl’ombre d’un doute.
Avant la chute, Saül a d’abord quitté le kibboutz. Quitter.
Ce mot-clé. Qui revient au fil des pages. Quitter le kibboutz comme on quitteune femme, par lassitude ou parce qu’on a été trahi. Il y a ceux qui l’ontquitté en silence, ceux qui auraient voulu et n’ont pas pu, ceux qui l’ontquitté en restant. Et ceux qui l’ont quitté parce qu’ils sont morts.
La disparition de Saül révèle les non-dits, les conflits larvés impossibles àenterrer avec lui. Et l’inextinguible flamme qui survit aux amours mortes.Est-ce que c’est arrivé « parce qu’il a quitté », se demandent ceux qui restent? A moins que ce soit le kibboutz qui ait renoncé à Saül ? Ils traversent lelivre avec leurs remords, leurs regrets et une sourde culpabilité.
Alors ils se souviennent comment rescapés, tatoués, certains affamés quiavaient rencontré l’étoile rouge, exilés de tous bords, ils ont échoué sur lesrives austères de la terre promise. Parce qu’ils n’avaient plus d’autre choix,juste pour survivre, ou par idéal sioniste.
Parqués dans des campements de fortune, ils ont embrassé le communisme comme undevoir ou par inadvertance, et les divers courants se disputaient la guerreidéologique et divisaient, là où il fallait rassembler et fédérer. Il auraitfallu pouvoir « rester ensemble et mettre les partis à la porte ».
Abandonner « les attitudes d’orateur du réalisme socialiste » à temps. Seméfier des « politrouks et de ceux qui voyaient dans le kibboutz et le mochav,l’aboutissement des courants anarchistes ».
Un patchwork d’idéaux et de vies brisées

Il faut faire parfois un effort delecture pour ne pas perdre de vue les liens qui relient les personnages entreeux, dans cet écheveau de destins. Pour suivre le fil du récit, engoncé ici etlà, dans une pléthore d’adjectifs qui étouffe parfois sa trame.

Mais l’effort est récompensé. Car la force dramatique est bien là. Ce patchworkd’idéaux et de vies brisées, laisse son empreinte et on en garde la mémoirelongtemps encore après avoir refermé le livre.
Peut-être parce que ces êtres gardent une part de mystère qui se referme surles arcanes de leur idéal qui force l’admiration, même s’ils l’ont trahi malgréeux. Ils parviennent à se faire aimer avec leurs contradictions et si on lesperd parfois en route, c’est qu’ils se sont euxmêmes égarés quelque part, surcette terre qu’ils ont semée, plantée, aimée, qui leur a tout pris et presquerien rendu. Ils se sont croisés, pas toujours rencontrés, ou se sont aimés pourse perdre. Mais ils restent liés les uns aux autres comme un seul homme, unseul corps, qui a construit Eretz Israël à mains nues, sous les balles et dansle sang. « Ils l’avaient décidé en réunion plénière, on cultiverait jusqu’àl’extrême limite des terres, on sèmerait et l’on récolterait jusqu’à la “Ligneverte”. Pour eux, c’était clair : la terre appartenait à ceux qui la cultivaient.» Il y a là un devoir de mémoire que ce livre nous aide à accomplir. Pour quenul n’oublie ce qu’ils ont fait pour que ce pays existe, pour que chacun sesouvienne de ce qu’ils ont donné et qu’on leur rende hommage, à noskibboutzniks.
Shakin Nir, L’idéal du kibboutz, Les Provinciales