Tel-Aviv, future capitale de la mode
« Je dispose d’un bon réseau »,
explique-t-il, « qui a contribué à rendre possible cette Semaine de la mode à
Tel-Aviv. J’aime la mode parce que c’est un domaine très vivant, où l’on
rencontre beaucoup de gens intéressants.
Mais il faut malgré tout se montrer professionnel. Je ne me suis pas lancé dans
ce domaine pour prendre du bon temps, mais pour créer des opportunités
commerciales. Je crois, et j’espère, que des maisons comme Marc Jacobs, Donna
Karan ou Ralph Lauren finiront elles aussi par nous apporter leur soutien. Mon
objectif, c’est de faire de Tel-Aviv une escale incontournable de la mode, au
même titre que Milan, Paris, New York et Londres. » Tel-Aviv et Milan étant
jumelées, Lev a déjà signé un accord de coopération de cinq ans avec la Semaine
de la mode de cette ville.
« Je suis un grand rêveur », précise-t-il, « et j’ai une vision.
Je vois très bien ce qui se passe dans le monde. Je vois quel genre de voisins
nous avons et je suis sûr que nous parviendrons un jour à travailler avec eux
comme d’autres pays le font. Je pense qu’en fin de compte, quand la région sera
plus stable, l’Egypte et la Jordanie pourront devenir de grands centres de
fabrication pour la mode israélienne. »
L’Egypte, la Jordanie en partenariat
avec Israël ?
Lev estime que le potentiel du pays est gigantesque, mais qu’il
faut le développer pas à pas. « Le monde apprécie que Tel-Aviv devienne un
centre de mode », affirme-t-il. « Etant donné la masse d’informations qu’Israël
génère, il y a des coins du monde, comme le Japon, où l’on s’imagine qu’Israël
est un très grand pays. De nombreuses nations nous apprécient déjà sur le plan
de la mode. Malheureusement, Israël est fragmenté. Nous avons de gros problèmes
d’orgueil ici. Chacun est convaincu d’être le meilleur. Pour ma part, je pense
que nous devrions nous unir et déclarer collectivement : ‘Nous sommes les
meilleurs !’ Quoi qu’il en soit, nous n’en sommes qu’au tout début de
l’aventure ! » Lev sait de quoi il parle : alors que, l’an dernier, il avait
mis sur pied la Semaine de la mode de Tel-Aviv avec son associé Moti Reif,
chacun d’eux a fait cavalier seul cette année. Cela a donné deux Semaines de la
mode : l’une du 11 au 13 novembre et l’autre du 26 au 28. La presse locale et
internationale n’a guère apprécié cette bataille de chiffonniers entre
associés.
La priorité : l’import-export
« Cette année », explique Lev, « des conflits
d’intérêt m’ont empêché de continuer avec Moti. Pour ma part, je représente la
Chambre de commerce, l’institut d’exportation, le ministère du Tourisme, celui
des Affaires étrangères et l’Association des métiers du textile et de la
manufacture. Si nous avons deux Semaines de la mode, c’est que l’une est
purement privée, organisée par une chaîne d’agences immobilières, mais ce n’est
pas grave. En fait, je pense que tout événement lié à la mode renforce
l’industrie vestimentaire israélienne. Notre Semaine à nous a un objectif bien
précis : elle est orientée vers l’import-export, comme toutes les manifestations
similaires à travers le monde. Nous avons même un accord avec la Semaine de la
mode de Moscou. Comme il y a beaucoup de Russes en Israël, c’est une
association logique.
L’univers de la mode peut contribuer à faire changer la vision que les
étrangers ont d’Israël. Je me suis aperçu que les gens commençaient à parler
différemment de nous. Je trouve cela tellement important que cela ne me dérange
pas qu’il y ait d’autres événements centrés sur la mode ici. En fait, c’est bon
pour tout le monde. Cela contribuera à véhiculer l’idée qu’il existe une chose
qui s’appelle ‘la mode israélienne’.
Cela aidera à créer un ‘dress code’. » Pour Lev, il est clair qu’il importe de
hisser la mode israélienne à un niveau mondial, à égalité avec les grands pays
de la mode.
« Nous cherchons à fournir une vitrine à nos jeunes créateurs, comme à ceux qui
se sont déjà fait un nom, mais le but ultime de la Semaine de la mode est bien
sûr l’exportation. Il ne s’agit pas d’un simple spectacle, nous ne nous
contentons pas d’inviter les vedettes locales à venir boire du champagne.
Cela fait partie du jeu et c’est très agréable, certes, mais nous sommes là
pour obtenir des commandes et pour vendre à l’étranger », précise l’homme
d’affaires.
Alors quelle sera la prochaine étape ?
Lev est plein d’optimisme. « Aider les
jeunes créateurs pleins de talent. Certains sont très doués et ont pourtant
beaucoup de mal à gagner de quoi vivre. Leur inventivité risque d’être mise au
rebut à cause de la dure réalité du marché et de la nécessité pour chacun de
subvenir à ses besoins. Nous avons donc le projet de monter une pépinière de
talents, avec un centre de couture où ces jeunes créateurs pourront venir
transformer leurs visions en réalité. Le gouvernement est partie prenante dans
cette entreprise. Et la Semaine de la mode est là pour stimuler nos jeunes
créateurs.
« Cette année, j’ai décidé de consacrer toute une journée à la prochaine
génération : quinze jeunes artistes ont ainsi pu présenter leurs créations. Je
pense que c’est ce que les gens recherchent. Les créateurs réputés, eux, ont
déjà leur ligne, dont ils ne peuvent pas beaucoup s’écarter. Ils ont une image
à respecter. Les jeunes, en revanche, peuvent montrer des choses nouvelles et
surfer sur leurs rêves. » Et les petits surdoués ne manquent pas en Israël.
Ainsi, Mia Pava figure dans le Top 10 des jeunes talents distingués par le
magazine Vogue, et Sarin Zaken a inventé des motifs imprimés, utilisant des
dessins formés par des bactéries.
Lev ne se formalise pas de voir un certain nombre de grands noms israéliens
comme Dorin Frankfurt, Sasson Kedem ou Dorit Bar Or bouder la Semaine de la
mode qu’il organise pour se rallier à celle de son ancien associé Reif. Il
préfère regarder le bon côté des choses : « Je ne crois pas aux coïncidences. Je
suis convaincu que les événements ont toujours une bonne raison d’arriver. Si
un certain nombre de créateurs ont choisi de ne pas participer à ma Semaine de
la mode cette année et de s’associer à d’autres manifestations, prenons cela
comme une opportunité.
Une opportunité offerte à la prochaine génération. C’est
la bonne chose à faire, non ? Mettre à la disposition de la prochaine
génération une vitrine, un espace où elle peut venir présenter ses collections.
»
L’Italie à la rescousse
La présence de Beppe Angiolini, président de
l’Association des acheteurs italiens, venu en personne à la Semaine de la mode
de Tel-Aviv, est à l’évidence un gage de réussite pour Lev. Les commentaires de
cet expert ont été écoutés religieusement par les professionnels israéliens,
qui entendent tout faire pour attirer l’attention des Italiens.
Il ne faut toutefois pas espérer voir la fabrication se réimplanter en Israël.
« Aujourd’hui, Israël est comme une boutique de création. C’est un bébé. Nous
n’en sommes qu’à nos débuts. Giorgio Armani ne va pas venir faire fabriquer ses
modèles ici. Il ne les produit même pas en Italie. Tout se fait en Chine. Pour
créer des collections de bonne qualité, il faut de bons professionnels que l’on
paie bien. Les collections doivent être parfaites. Il faut avoir un vrai style
et une politique de prix juste. Nous ne voulons pas changer le monde, nous
voulons juste changer Israël.
« J’ai fait le pari de donner un éclairage à nos créateurs, je suis parti du
principe que l’industrie de la mode pouvait très bien se développer ici. Je me
suis fait traiter de fou, on m’a affirmé que personne ne viendrait jamais de
l’étranger.
Quand je suis parti à Milan pour rencontrer Roberto Cavalli, ma femme m’a dit :
‘Surtout, ne reviens pas sans une photo de lui et toi, parce que sinon, les
gens ne te croiront jamais ! Rapporte une preuve que tu l’as rencontré !’ Je
suis donc revenu avec la photo. Je lui ai demandé d’être notre invité d’honneur
pour la première Semaine de la mode de Tel-Aviv et il a accepté. C’est comme ça
que tout a commencé.
La mode : loin des préoccupations israéliennes
« Mais un problème demeure : la
mode n’est pas encore entrée dans la culture de notre pays. En Israël, il doit
y avoir à peine 10 % de la population qui s’y intéresse ou s’en soucie.
Il n’y a donc pas encore de marché. Et puis, nous ne sommes que 8 millions
d’habitants dans le pays ! En Turquie, il y en a 60. Ça, c’est un marché ! «
Quand j’ai fait venir ici des enseignes comme GAP, j’ai agi en homme
d’affaires. Des chefs d’entreprise israéliens sont aussitôt venus se plaindre
en disant que ces enseignes allaient leur retirer des parts de marché. Je leur
ai répondu que cela les obligerait à rehausser leurs critères. Autrefois, dans
la plupart des pays, 80 % des vêtements vendus étaient fabriqués sur place et
20 % venaient de l’étranger.
Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les vêtements coûtent cher ici parce que la
clientèle est réduite. Quand la demande est faible, on est obligé de vendre
cher.
« Ici, les mentalités ne sont pas tournées vers la mode.
Certains y pensent, mais cela ne représente qu’un très faible pourcentage. En
général, les gens attendent les soldes pour acheter. En début de saison, les
vêtements coûtent cher et, pour obtenir les produits dernier cri, il faut payer
le prix fort.
En fin de saison, les magasins consentent des réductions, mais ils doivent tout
de même rentrer dans leurs frais et ils ne peuvent pas aller trop loin.
« Quand j’étais à Milan, je vivais chez l’habitant, dans une famille. Chaque
matin, le père partait travailler en costume… et il était conducteur d’une
benne à ordures. Il se changeait en arrivant au travail et remettait son
costume avant de rentrer chez lui. C’est là que je me suis rendu compte de ce
qu’était une mentalité ! »
Désormais, l’industrie de la mode israélienne répond
déjà aux critères internationaux et elle continuera à progresser jusqu’à
devenir un acteur majeur dans le monde. Lev, en tout cas, y croit dur comme
fer. Un jour viendra où l’on parlera de Tel-Aviv comme on parle de Paris, de
Milan, de New York ou de Londres. Un jour viendra où Tel-Aviv sera une escale
incontournable pour les ‘fashion-victims’ du monde entier. »