Wallenberg, héros tragique

En 2012, la Suède, la Hongrie et Israël célèbrent l’Année Raoul Wallenberg. Ce diplomate suédois, héros de la Seconde Guerre mondiale, mystérieusement disparu en 1947 après avoir sauvé près de 100 000 Juifs hongrois.

wallenberg (photo credit: DR)
wallenberg
(photo credit: DR)
Raoul Wallenberg a inspiré de nombreux écrivains,cinéastes et militants. Des statues à son effigie, des rues nommées Wallenberg,des oeuvres d’art, etc. s’élèvent contre l’oubli de cet individu déterminé.Arrêté par l’Armée rouge soviétique le 17 janvier 1945, personne ne sait cequ’il est devenu. C’est donc à cette date, 57 ans plus tard, que la Suède, laHongrie et Israël ont décidé de faire débuter les commémorations du centenairede sa naissance.L’année 2012 rend ainsi hommage au courage d’un homme ordinaire.1944. Il ne fait plus aucun doute sur la déportation des Juifs de Hongrie,suite au rapport Vrba-Wetzler. Du nom de deux rescapés d’Auschwitz à l’originedu document.Au printemps, le président américain Franklin Delano Roosevelt envoie IverOlsen en Suède en tant que représentant officiel du War Refugee Boardaméricain, organisme chargé de sauver les Juifs et autres minorités menacés enEurope.C’est cet émissaire qui choisira Raoul Wallenberg comme exécuteur du programmeà Budapest.Avant l’arrivée du diplomate, Valdemar Langlet, délégué de la Croix-Rougesuédoise louait des immeubles pour le compte de l’organisation humanitaire. Yapposait des plaques : “Bibliothèque suédoise” ou “Institut de recherchesuédois”. Et y logeait des Juifs.Mais Wallenberg va passer à l’étape supérieure. En délivrant des “passeports deprotection” (Schutz-Pass en allemand).Identifiés comme des citoyens suédois en attente de rapatriement, lesdétenteurs de ces documents étaient protégés contre la déportation.Et contre le port de l’étoile jaune. Malgré l’absence de valeur juridique deces papiers. Le ministère hongrois des Affaires étrangères avait approuvé 4 500passeports de protection.Mais dans les faits, trois fois plus de laissez-passer ont été distribués.Sauver les Juifs, c’est tout ce qui importe à Wallenberg. Pots-de-vin,chantage, menaces, ce qui compte c’est le résultat.Protégé par son statut diplomatique, il se permet de repousser les limites dela politesse et du savoir-vivre. Si les autres diplomates de la légation deSuède rechignent à le voir faire si peu cas des règles, au regard de sessuccès, ils le soutiennent. Et petit à petit le département s’agrandit.350 personnes sont impliquées au plus fort du programme. Dont Carl Lutz qui aégalement octroyé des passeports de protection de l’ambassade suisse et GiorgioPerlasca, l’homme d’affaires italien qui s’est fait passer pour le Consuld’Espagne pour fabriquer de faux visas.Mais où est Wallenberg ? Personne ne sait ce qu’il est advenu de RaoulWallenberg. La légende n’en est que plus forte. Le 17 janvier 1945, il estarrêté par les forces soviétiques. Dès lors, son destin ne repose plus que surdes supputations.Est-il mort dans la prison de la Loubianka le 17 juillet 1947 comme l’affirmentles autorités soviétiques depuis 1957 ? “Je vous informe que le prisonnierWallenberg que vous connaissez bien est mort subitement dans sa cellule cettenuit, probablement à la suite d’une crise cardiaque. Conformément auxinstructions que vous m’avez données de m’occuper personnellement deWallenberg, je demande l’autorisation de procéder à une autopsie en vued’établir la cause du décès... J’ai personnellement informé le ministre mais ila été ordonné que le corps fût incinéré sans autopsie.”Pourtant, au début des années 1950, d’anciens prisonniers de guerre affirmentavoir aperçu Wallenberg en prison à Moscou. Quant à Alexandre NikolaïevitchIakovlev, l’un des principaux architectes de la perestroïka, il a déclaré queWallenberg a été exécuté en 1947. Une confession qu’il tiendrait de VladimirKrioutchkov, ancien chef de la police secrète soviétique, at- il affirmé.Autre mystère : le silence de ses proches.Contacté en 1947 par le nouveau président américain Harry Truman, MarkusWallenberg, un des oncles de Wallenberg, refuse toute coopération.Même attitude lorsque Simon Wiesenthal décide de fonder un comité Wallenberg.Dans les années 1990, suite à des investigations menées conjointement avec laRussie, temporairement ouverte après la chute de l’URSS, un rapport suédoisconclut qu’il “n’existe aucune preuve fiable de ce qui est arrivé à RaoulWallenberg”. Quant aux autorités russes, elles affirment que “Wallenberg estmort, ou plus probablement a été tué le 17 juillet 1947”. D’autres documentsplus récents révèlent que le KGB soviétique a interrompu les investigations surWallenberg.En cette année du centième anniversaire de la naissance du diplomate suédois,le ministre des Affaires étrangères suédois, Carl Bildt, a annoncé l’ouverturemercredi 18 janvier d’une nouvelle enquête sur la disparition de RaoulWallenberg.“Un seul homme peut faire la différence” Malgré sa volatilisation, RaoulWallenberg n’en reste pas moins un héros de la Seconde Guerre mondiale. Israëllui a accordé le titre de Juste parmi les nations et un arbre a été nommé deson patronyme dans le jardin du Mémorial de Yad Vashem. En 1981, il devientcitoyen d’honneur des Etats-Unis, distinction accordée au seul WinstonChurchill avant lui. Plus tard, c’est au Canada et à la Hongrie de faire deWallenberg leur citoyen d’honneur.Le nom de Wallenberg est désormais associé à des prix, des fondations, unemédaille, ... et même à la journée du 17 janvier au Canada. Pour ne jamais oublier qu’un“seul homme peut faire la différence” (formule gravée au dos de la médailleWallenberg).“Raoul Wallenberg est sans nul doute la figure emblématique de la lutte contretoutes les formes de système totalitaire” écrivent Claudine et DanielPierrejean dans Les secrets de l’affaire Raoul Wallenberg. Ils sont d’ailleursà l’origine du prix international Raoul Wallenberg en partenariat avec lecomité Wallenberg.“Un nouveau prix international qui, comme le Prix Nobel, n’a qu’un seul but :faire triompher la défense des droits de l’Homme dans le monde en mémoire de cejeune diplomate suédois disparu à l’âge de 32 ans.”Cette célébration du centenaire résonne tout particulièrement en Suède oùl’extrémisme a le vent en poupe. Le parti d’extrême- droite Démocrates suédoisa fait son entrée au parlement lors des dernières élections générales de 2010.Et l’antisémitisme refait surface. La congrégation juive de Malmö, au sud dupays, a reçu de nouveaux fonds pour parer aux conditions de sécuritédétériorées.L’Année Raoul Wallenberg tombe à pic.Pour tenter de débattre de la société suédoise, de sa capacité à intégrer sesnouveaux immigrés et de sa volonté de combattre l’extrémisme, quel qu’il soit.Cela nécessitera un véritable engagement des acteurs politiques, bien au-delàde l’impression de timbres à l’effigie de leur héros national.En Israël, célébrer la mémoire de Raoul Wallenberg permet de le faire connaîtreauprès du jeune public. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’initiative d’EliYossef, auteur d’une pièce intitulée Coeur de pierre, coeur de chair, inspiréedu parcours de Wallenberg. Le 23 avril prochain, il présentera son spectacleaux lycéens israéliens dans le théâtre de Kyriat Gat. Selon le dramaturge, ilne faut pas, lorsque l’on parle de la Shoah aux jeunes générations simplement“enseigner le malheur. Il ne faut pas enseigner la Shoah sans la lumière.” Etd’ajouter que Wallenberg est dual. A la fois héroïque et tragique.Héroïque par son action et tragique parce qu’il a été abandonné. Un vrai paradoxepuisqu’on l’admire pour avoir sauvé un peuple lui-même délaissé. “Wallenbergest un modèle de miséricorde. Il est important que la jeunesse reçoive cettenouvelle de passion,” s’enthousiasme Yossef. Et qu’ils prennent égalementconscience de “ce que son histoire peut apporter au peuple d’Israël.”