Qui a tué Alberto Nisman ?

Le Hezbollah et le gouvernement argentin pointés du doigt après la mort du procureur chargé de l’affaire AMIA

Des manifestants exigent que justice soit faite, devant le centre communautaire juif AMIA à Buenos Aires, mercredi 21 janvier (photo credit: REUTERS)
Des manifestants exigent que justice soit faite, devant le centre communautaire juif AMIA à Buenos Aires, mercredi 21 janvier
(photo credit: REUTERS)
La mort mystérieuse du procureur argentin Alberto Nisman semble tirée tout droit d’un roman policier. Nisman – l’infatigable procureur chargé d’accumuler des preuves sur l’attentat contre le centre communautaire juif AMIA de Buenos Aires – a été retrouvé mort dans son appartement. Quelques heures plus tard, il devait présenter au Congrès argentin des documents, preuves, selon lui, de l’implication de la présidente et du ministre des Affaires étrangères dans une tentative de dissimulation abominable. De quoi les accuse-t-il ? D’avoir accepté d’étouffer le rôle joué par Téhéran dans l’attaque de l’AMIA en échange de livraisons de pétrole pour l’Argentine.
Le corps de Nisman est découvert tard, le 18 janvier, dans son appartement du 13e étage, marqué par une unique blessure par balle à la tête. Des officiels proches de la présidente Cristina Fernandez de Kirchner ont rapidement annoncé que les indices pointaient vers un suicide, soulignant qu’un calibre 22 et des douilles se trouvaient à proximité du cadavre. Mais la théorie du suicide est rejetée dans les rues de Buenos Aires et, aux quatre coins du monde, par les gens proches de Nisman et de son enquête. Pour eux, la mort est criminelle. L’hypothèse suicidaire s’affaiblit mardi 20 quand Viviana Fein, procureure chargée de l’affaire, révèle l’absence de trace de poudre sur les mains du défunt, qui n’a, de plus, pas laissé de lettre de suicide. Abraham Foxman, directeur national de la Ligue antidiffamation, confie à JTA : « Cette idée de suicide n’a aucun sens. Tout au long de ces années, différentes forces ont tenté de le mettre à terre, de le détruire. A chaque fois qu’il révélait de nouvelles choses ou dévoilait de nouveaux suspects potentiels, ils envoyaient la justice ou la police après lui. A chaque fois qu’ils ont essayé de le réduire au silence, il s’est battu, il s’est relevé et les a vaincus. »
L’enquête sur l’attaque de 1994 – l’acte terroriste le plus meurtrier de l’histoire argentine et l’un des pires incidents de violence antisémite dans la Diaspora depuis la Seconde Guerre mondiale –
était considérée comme une cause perdue jusqu’à sa reprise en main par Nisman en 2005. Après l’attaque, qui suivait celle de 1992 à l’ambassade israélienne (29 morts), aucune arrestation significative pendant des années. Quand, enfin, 20 locaux (dont 19 officiers de police) sont mis en examen, on découvre une vidéo où le juge chargé de l’investigation Juan Jose Galeano achète des preuves. L’affaire tombe à l’eau, les accusés sont alors acquittés, et Galeano est démis de ses fonctions et jugé.
Le rôle du président Kirchner
Choisi pour reprendre l’enquête par le président de l’époque Nestor Kirchner (l’époux décédé de la présidente actuelle), qui parlait de la gestion de l’affaire comme d’« une honte nationale », Nisman gère l’enquête de façon plus professionnelle. Il fait le lien entre les dirigeants iraniens qui commandent l’attentat et les agents du Hezbollah chargés de son exécution, et les inculpe officiellement en 2006. Interpol établit des mandats d’arrêt contre six officiels iraniens en rapport avec l’attaque, dont l’ancien ministre de la Défense Ahmad Vahidi. La République islamique nie toute implication et refuse de livrer les suspects.
En 2013, quand l’Argentine et l’Iran signent un protocole d’entente pour enquêter sur l’attentat, Nisman et les dirigeants de la communauté juive argentine s’indignent devant ce qu’ils considèrent comme une farce. Beaucoup sont furieux que l’accord ait été négocié par le ministre des Affaires étrangères argentin Hector Timerman, membre éminent de la communauté juive du pays et fils de Jacobo Timerman, un activiste des droits de l’homme israélo-argentin très respecté. Nisman attaque l’arrangement au tribunal pour « interférence néfaste » de la présidence dans les affaires judiciaires, mais la plainte reste sans suites.
Pendant ce temps, Nisman et son équipe continuent leurs efforts pour amener les responsables du drame devant les tribunaux. La semaine dernière, le procureur remplit un rapport de 300 pages dans lequel il accuse Kirchner, Timerman et d’autres de chercher à « effacer » le rôle de l’Iran dans l’attaque en échange de relations commerciales renforcées entre les deux pays, plus particulièrement, en échange de pétrole. Il est convoqué pour présenter ses preuves devant le Congrès argentin le lundi suivant.
A qui profite sa disparition ? Beaucoup d’Argentins désignent la présidente Kirchner. Des milliers de personnes se rassemblent devant le palais présidentiel pour protester contre la mort du procureur. Certains manifestants brandissent des pancartes où l’on peut lire « Cristina meurtrière ». Le hashtag #CFKAsesina (les initiales de Kirchner accolées au mot « assassin » en espagnol) était l’un des plus utilisés du pays le lundi suivant la découverte du corps. Dans les cercles juifs et israéliens, quelques analystes murmurent que le Hezbollah pourrait être responsable.
Quelques heures avant le décès de Nisman, plusieurs combattants du groupe terroriste libanais ont été tués dans le Sud de la Syrie par une frappe aérienne, attribuée à Israël. Parmi eux, Mohammed Allahdadi, un général des Gardiens de la Révolution islamique, et Djihad Mughniyeh, fils d’Imad Mughniyeh, l’un des cerveaux du mouvement chiite tué dans une attaque à la voiture piégée à Damas en 2008. Il était accusé par Nisman d’avoir préparé l’attentat de l’AMIA.
Le Hezbollah pouvait-il organiser l’assassinat du procureur si peu de temps après le bombardement en Syrie ? Les terroristes libanais sont au contraire connus pour leur patience : leurs représailles, soigneusement planifiées, frappent des mois voire des années après les attaques israéliennes. Mais certains experts soulignent que l’Iran et le Hezbollah ont de nombreuses cellules dormantes prêtes à agir rapidement si l’ordre est donné.
Pour le rabbin Sergio Bergman, chef de communauté et membre du Congrès argentin interrogé par JTA, Nisman est « la 86e victime de l’attaque de l’AMIA ». Roxana Levinson, journaliste israélo-argentine et nièce d’une des victimes de l’attentat de 1994, déclare au même média : « cette mort bouleversante, c’est une fin de non-recevoir pour la vérité et la justice dans l’affaire AMIA ». Il est en effet difficile de prévoir ce qu’il adviendra de l’enquête ou des accusations contre Kirchner et Timerman…
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