Faut-il libérer les terroristes ?

Les responsables de la sécurité sont unanimes : la libération de terroristes est une très mauvaise idée. Mais ils conviennent également que l’intérêt national d’Israël peut parfois justifier d’avoir à relâcher des assassins

Il a fallu quatre jours au Shin Bet, l’Agence israélienne de sécurité, pour faire toute la lumière sur l’attentat terroriste du 22 décembre, dans un bus de Bat Yam, au sud de Tel-Aviv.

Au total, ce sont 13 suspects, un Arabe israélien et 12 Palestiniens de Judée-Samarie qui ont été arrêtés et inculpés. Parmi eux, plusieurs membres du Djihad islamique, un groupe islamiste palestinien soutenu par l’Iran. Quelque 20 kilogrammes d’explosifs ont par ailleurs été découverts lors de l’opération, preuve que les terroristes préparaient d’autres attentats meurtriers de grande envergure.
Grâce au courage et au sang-froid d’un des passagers qui a repéré le sac à main suspect, et à la présence d’esprit du chauffeur qui a arrêté le bus et fait descendre tous les voyageurs, de nombreuses vies ont heureusement pu être épargnées. La bombe a explosé, blessant légèrement un policier qui se trouvait sur les lieux.
C’est le premier événement de ce type, au cours des six derniers mois, dans lequel une organisation palestinienne connue est impliquée dans la planification et l’exécution d’un attentat à l’intérieur d’Israël.
Durant cette période, six Israéliens – soldats et civils – ont été tués dans divers incidents terroristes sur le territoire israélien et en Judée-Samarie. Mais tous sont le fruit d’initiatives individuelles de Palestiniens motivés par des raisons diverses (vengeance personnelle ou familiale, appât du gain ou incitation) et n’ont pas été orchestrés par des groupes connus identifiés.

Un double consensus

Les données brutes indiquent une augmentation de la violence palestinienne en Judée-Samarie et en Israël (jets de pierres, manifestations…). Ces incidents coïncident avec les efforts infatigables du secrétaire d’Etat américain John Kerry pour dresser les grandes lignes d’un accord intérimaire entre Israël et l’Autorité palestinienne.

Mais les chercheurs du Shin Bet ne parviennent pas à déterminer si cette nouvelle montée de violence indique une certaine tendance ou est purement fortuite. L’incident de Bat Yam vient également illustrer l’efficacité des services de sécurité israéliens quand il s’agit de pénétrer les réseaux de terroristes palestiniens, de rassembler des renseignements et de les analyser. Mais il conforte aussi ceux qui s’opposent à la décision du gouvernement de libérer des assassins afin de faire avancer les pourparlers de paix entre les deux parties, surtout dans le camp de la droite.
Certains des suspects arrêtés lors du coup de filet de Bat Yam étaient connus des services de sécurité pour avoir été, par le passé, impliqués dans des attaques terroristes. Quelques-uns ont été arrêtés à plusieurs reprises avant d’être relâchés.
On a assisté dernièrement à des discussions passionnées et très animées entre l’armée et les anciens chefs du renseignement. Ils plaident en faveur d’une attaque israélienne contre l’Iran ou s’y opposent farouchement. Ils débattent sur les pourparlers de paix avec l’Autorité palestinienne et le démantèlement des implantations juives. Ils tombent rarement d’accord sur tel ou tel sujet de controverse majeur.
Sur la question des terroristes palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, il y a cependant consensus. En fait, un double consensus.
Le premier est que la libération de terroristes est une mauvaise idée et créerait un précédent dont on souhaiterait se passer. Surtout s’il s’agit d’un simple geste pour faire avancer les négociations. Mais, d’un autre côté, les mêmes responsables se montrent parfois favorables à une telle éventualité dans le cadre d’un règlement de paix global ou si Israël n’a pas d’autre choix que de s’y plier.
De leur point de vue, c’est à la fin du conflit que les camps ennemis libèrent leurs prisonniers de guerre de part et d’autre, pas au début. Mais cette fois-ci, tout semble aller de travers.

Des tueurs avec du sang sur les mains

Les Etats-Unis ont fait pression sur Israël et réclamé un geste de bonne volonté avant l’ouverture officielle des négociations avec l’Autorité palestinienne, il y a six mois. Pour faciliter le processus, Kerry a proposé à Jérusalem une liste d’options possibles : la libération de prisonniers, l’évacuation des forces de sécurité israéliennes de certaines zones de Judée-Samarie, ou le gel des implantations au cours des neuf mois de négociations. Au choix !

Binyamin Netanyahou ne pouvait cependant pas opter pour cette dernière solution. Les réactions, au sein du Likoud et du côté du parti de Naftali Bennett, HaBayit HaYehoudi, ne se sont d’ailleurs pas fait attendre : la droite de la coalition a menacé de faire tomber le gouvernement s’il accepte cette éventualité.
Le Premier ministre a donc décidé de libérer 104 terroristes palestiniens en quatre phases. Un bon nombre d’entre eux sont des assassins notoires, impliqués dans des actes de violence ayant entraîné la mort de civils et de militaires. Aux yeux du public comme du gouvernement israélien, ce sont tout simplement des tueurs avec « du sang sur les mains ».
L’Autorité palestinienne a dressé une liste de prisonniers dont ils réclament la libération : 10 de Jérusalem-Est, 14 Arabes israéliens, un Druze du plateau du Golan et le reste des territoires disputés et de Gaza.
Fin décembre 2013, la troisième phase a été mise en œuvre. L’étape finale est prévue pour avril. Le terme « du sang sur les mains » signifie que le détenu en question a été impliqué dans des actes terroristes meurtriers. Le Shin Bet a établi une liste interne de sept catégories pour décrire ces prisonniers. Certains ont joué un rôle secondaire dans des attentats sanglants : conducteurs, fabricants de bombes, fournisseurs d’explosifs et de détonateurs. Dans la catégorie la plus sévère se trouvent ceux qui ont réellement tué de leurs propres mains, en appuyant sur la gâchette d’une arme à feu ou poignardant quelqu’un avec un couteau. Il existe même une catégorie (ce dont le Shin Bet se défend) pour décrire un terroriste palestinien assassin d’un de ses compatriotes, qui fait une distinction entre le meurtre d’un Israélien et celui d’un Palestinien.
En octobre 2011, Israël a remis 1 027 prisonniers palestiniens en liberté pour obtenir la libération de Gilad Shalit, le soldat kidnappé par le Hamas. La plupart ont été autorisés à regagner leur foyer et leur famille, à Gaza ou dans les territoires disputés. Quelques-uns, considérés comme les plus dangereux, ont été envoyés en exil à l’étranger (dans certains pays arabes et en Turquie) ou à Gaza.
Depuis, selon les services de sécurité israéliens, sur ces 1 027 prisonniers libérés, 43 ont été arrêtés de nouveau. 33 sont soupçonnés d’avoir participé à des actions terroristes. 10 se seraient livrés à des activités criminelles.

Le paradoxe de l’Etat israélien

33 sur 1 027, cela représente 3 %. Est-ce un chiffre significatif ou pas ? Tout dépend du point de vue idéologique que l’on adopte. Pour les partisans de droite, c’est la preuve absolue du bien-fondé de leurs affirmations concernant le danger encouru par le pays.

Mais pour les professionnels dans ce domaine, l’élargissement de terroristes palestiniens n’est pas considéré comme posant un risque grave pour la sécurité d’Israël. Et c’est là le second consensus entre les chefs du renseignement et les responsables de la sécurité.
La question est en fait beaucoup plus compliquée et va au-delà de la rhétorique. Les prisonniers sont perçus comme des héros côté palestinien. Pour l’homme de la rue à Ramallah ou à Gaza, ils ont résisté à l’occupation israélienne et ont su se dresser devant sa puissante machine militaire dans leur lutte pour la libération.
Tous ceux qui ont déjà été relâchés, ou sont sur le point de l’être dans la quatrième phase, ont purgé des peines de plus de 20 ans de prison. Certains sont derrière les barreaux depuis plus de 30 ans. La plupart sont affiliés à l’OLP et ont commis leurs crimes avant les accords d’Oslo, signés en 1993-1994 entre Israël et l’organisation dirigée alors par Arafat.
Qui plus est, les gouvernements israéliens successifs depuis les accords d’Oslo ont accepté de les libérer, mais n’ont pas tenu à leurs promesses. Au prétexte vague que l’OLP et l’Autorité palestinienne n’ont pas non plus tenu les leurs.
La société israélienne vit à l’ombre d’une dissonance cognitive. Tous les gouvernements du pays et leurs Premiers ministres ont affirmé haut et fort qu’ils ne « céderaient jamais » au terrorisme. En réalité, ils ont tous malgré tout accepté, à maintes reprises, de libérer des terroristes pour une raison ou une autre.
Mais ce qui compte vraiment dans la polarisation du débat public israélien est la question de la feuille de route de prisonniers relâchés. L’un des principaux échanges de prisonniers qui alimente encore la controverse est le fameux accord Jibril (ainsi nommé d’après Ahmad Jibril, le chef d’un groupe terroriste palestinien pro-syrien). En 1984, l’Etat hébreu accepte de livrer au Commandement général du FPLP, dirigé par Jibril, près d’un millier de prisonniers palestiniens en échange de trois soldats israéliens. Trois ans plus tard, la plupart des terroristes libérés forment le gros des dirigeants de la première Intifada.
Mais depuis lors, dans tous les échanges, dont le dernier, celui de Shalit, très peu sont revenus au terrorisme. Dans certains cas, ils sont même devenus des partisans de la paix.
Dans l’ensemble, en dehors des aspects moraux et émotionnels pour les familles des victimes, Israël, sur le plan sécuritaire, peut se permettre leur remise en liberté. Le gouvernement a la responsabilité de peser le pour et le contre pour le bien de l’Etat, la sécurité, la paix et la prévention de nouvelles effusions de sang. Pour tenir ses promesses et ses engagements internationaux, il ne lui reste pas d’autre choix. Une conclusion s’impose alors : la libération de terroristes meurtriers est peut-être dans l’intérêt national du pays.
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