Fraude à la Claims Conference

Des millions détournés pendant des années : la gestion de l’organisation est pointée en ligne de mire dans un rapport interne.

P18 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P18 JFR 370
(photo credit: Reuters)

Cinquante-sept millions de dollars de fraudes de lapart de « Conference on Jewish Material Claims Against Germany » pendant 16ans. En cause : la gestion défaillante de la structure. Voilà ce que rapporteune investigation interne de l’organisation, dont les conclusions ont étéportées à la connaissance des membres du conseil d’administration le 8 juilletdernier.

Le rapport, rédigé par Shmuel Hollander, dénonce les « défaillancessystématiques et une organisation interne problématique ». De quoi empêcher ladécouverte des erreurs, qui ont consisté en l’approbation de demandesfrauduleuses de restitution pendant des années.
Hollander critique violemment le fonctionnement interne de la Claims Conferenceet indique notamment que « l’absence d’un système de contrôle […] a constituéun facteur clé, permettant et facilitant la fraude ».
La controverse a commencé avec l’envoi d’une lettre (auteur inconnu), en 2001,adressée à la Claims Conference, et qui attirait son attention sur de possiblesfraudes. Mais selon les affirmations de Hollander, aucun des leaders de cetteorganisation responsable de l’indemnisation des survivants de la Shoah, « quiont eu connaissance de la lettre de 2001, ne l’ont traitée avec le sérieuxqu’elle demandait ». Cette première suspicion de fraude avait pourtant étéreçue par Karl Brozik, représentant de la Claims Conference en Allemagne ; ilavait mené une enquête sans trouver de preuves d’actes répréhensibles.
Puis l’agence de presse JTA (Jewish Telegraphic Agency) a ensuite rapportéqu’une seconde investigation avait été lancée par un conseiller juridique ducabinet d’avocat de Julius Berman, alors membre du conseil d’administration etconseiller juridique pro bono de la Claims Conference. Une enquête qui feraégalement chou blanc.
Il faudra attendre 2009 pour que les malversations soient enfin découvertes. Lefautif est enfin identifié : Semen Domnitser, employé à la Claims Conference,et directeur d’un fonds de remboursement.
L’homme par qui le scandale arrive 
Puis en mai dernier, Berman nomme ReuvenMerhav, membre du conseil d’administration, à la tête du comité de sélectiondes cadres qui ont pour mission d’enquêter sur les événements consécutifs à lalettre de 2001. C’est ce comité qui va nommer Hollander pour mener à bien cetteenquête après que plusieurs membres du conseil d’administration, représentantsd’organisations majeures comme l’Agence juive ou le Congrès juif mondial, aientfait des déclarations en faveur d’une enquête indépendante.
Dans son rapport, Hollander affirme qu’« aucun des directeurs seniors n’aexaminé ou supervisé le travail du département de manière sérieuse » et queDomnitser a pu continuer les fraudes pendant des années sans aucunesurveillance de leur part.
Si les allégations contenues dans la lettre de 2001 avaient été « correctementabordées et investiguées minutieusement par un fonctionnaire indépendant etprofessionnel de New York, il est grandement probable que les informationsqu’elles contenaient auraient pu mener à la découverte des chaînons manquantsau sein de la hiérarchie, et des manquements dans la procédure, que M.Domnitser et ses partenaires ont utilisé à leur avantage pour perpétrer leurscrimes », a-t-il ainsi écrit.
Et selon lui, malgré sa rapide croissance entre 2001 et 2009, l’organisation aéchoué dans « l’ajustement de sa structure face à l’augmentation du nombre deses activités et besoins ». Pire encore : la Claims Conference aurait étégouvernée « de manière inacceptable, que ce soit dans la sphère publique ouinterne ». Il ajoute que la Claims Conference était centralisée de manièredéraisonnable. Et appelle en conséquence à un examen plus en profondeur de « laconduite générale qui a permis pendant un grand nombre d’années qu’une frauded’une telle ampleur puisse continuer sans obstacle. » 
Les rescapés, lésés ? 
Aurang des critiques faites par Hollander concernant l’organisation de lastructure, il pointe notamment du doigt la division « inadéquate » desactivités et des domaines de responsabilités « systématiquement flous ».
Et le rapport souligne que « le plus déplorable et contrairement à ce que denombreux membres du conseil d’administration avaient énoncé plus tôt, c’estl’absence d’une véritable gestion et de réelles compétences » dans letraitement de la lettre de 2001 et « des événements qui lui sont relatifs »,comme l’ont écrit des membres du comité de sélection des cadres. Mais pourautant, tous n’ont pas signé le rapport. Roman Kent et Abraham Biderman, parexemple, ont préféré démissionner du comité plutôt que d’adhérer auxconclusions d’Hollander.
Dans une lettre jointe au rapport, Biderman explique que, selon lui, le rapportformule des critiques sans fondement et « contient des erreurs de fait ». Ilaffirme notamment que le document ne tient pas compte des améliorationssubstantielles dans le management de l’organisation depuis 2001.
Car tout n’est pas noir, et Hollander le reconnaît. Il note par exemplecertains aspects positifs concernant les cadres supérieurs en place à la ClaimsConference et notamment leur aptitude à étendre le champ du financement del’organisation, et ce, même pendant la période de la fraude. En outre, pointimportant, il certifie également « qu’aucune victime de la Shoah n’a été privéed’aucun montant du fait de la fraude ».
Mais sur ce point, Alex Moskovic, membre de la Fondation des rescapés de laShoah aux Etats-Unis a fait savoir que son organisation réfutait totalement cette version des faits. Cette dernière considère le vol de 57 millions comme « typique del’indifférence générale de la Claims Conference envers les droits et intérêtsdes survivants de la Shoah pendant toutes ces années, et la profonde souffranceque sa politique a infligée, spécialement à ceux qui vivent dans la pauvreté »,a-t-il déclaré. « Quand la Claims Conference gère mal les droits ou lesintérêts des survivants, ou échoue à superviser les employés chargésd’administrer ses fonds, les dommages sont infligés aux rescapés partout dansle monde », a-t-il ajouté, via son avocat.
En toute impunité 
Enfin, le rapport d’Hollander vient contredire les propostenus par Berman en mai, lorsque celui-ci avait déclaré que, selon lui, aucunefaute n’était à déplorer, que les mécanismes de contrôles en place au sein dela Claims Conference étaient « raisonnablement adéquats » et que la tromperie,découverte en 2009 et qui avait commencé dès 1993, était aussi impossible àanticiper que les attaques sur les tours du World trade center du 11 septembre2001.
Lorsqu’il a été demandé à Berman si la Claims Conference devait des excuses àquelqu’un – les survivants, le conseil d’administration ou la communauté juive– il a simplement répondu que cela ne lui était jamais venu à l’esprit.
Son intervention contraste fortement avec les déclarations de Greg Schneider,directeur de la Conference : répondant à l’enquête d’Hollander, il a faitsavoir que, bien que, selon lui, le seul responsable était Domnitser, il nepouvait pas s’empêcher de penser « que pendant qu’avec ses complices il a volédes dizaines de millions de dollars, je travaillais tout près de lui – dans lemême bureau. […] On m’a menti, j’ai été trompé, dupé, embobiné. Je n’ai rienvu. Je suis désolé. » Semen Domnitser, a été déclaré coupable des faits qui luisont reprochés en mai dernier par un tribunal américain.
Julius Berman et Greg Schneider, accusés de mauvaise gestion et devant faireface à des appels à démission dans les médias juifs, ont pourtant été réélus auconseil d’administration de l’organisation le 10 juillet dernier, le système devote ne permettant pas d’élire les individus, mais laissant pour seul choixl’approbation ou le rejet de la liste des candidats.