L’aliya de France a son mentor

Edouard Cukierman n’est pas de ceux qui se contentent d’un parcours exemplaire. Il n’a de cesse que de s’investir pour passer le flambeau, aider et stimuler les Français qui veulent réussir en Israël

Edouard Cukierman entouré de jeunes diplômés (photo credit: DR)
Edouard Cukierman entouré de jeunes diplômés
(photo credit: DR)
Si Edouard Cukierman parle de lui et de son parcours sans faute, ce n’est pas pour impressionner son monde, bien au contraire. Ce faisant, il veut prouver que la réussite est possible. Son objectif est d’encourager les jeunes à avoir de l’audace et surtout leur donner confiance dans leur avenir en Israël. C’est un pays où il est facile d’entreprendre, veut-il faire savoir. « J’ai créé ma propre structure de Venture Capital quand j’avais 26 ans. Je n’avais pas un network important en Israël, mais j’ai initialement obtenu le support financier d’investisseurs israéliens qui ne me connaissaient pas et ont mis des capitaux en fonds d’amorçage alors que l’industrie du Venture n’était pas encore développée », se souvient-il. « On était 3 à l’époque en 1993 et j’avais réussi à lever 5 millions de dollars d’investisseurs israéliens. Par la suite, après avoir coté mon premier fonds en 1997 à Paris, j’avais 5 000 actionnaires à Paris et certains de ces suiveurs ont investi dans les fonds qu’on a établis par la suite. Créer un fonds de capital-risque à cet âge-là en France n’aurait pas été possible », dit-il en connaissance de cause.
Il croit en cette relève qu’il appelle de ses vœux à sauter le pas de l’aliya. Les Français sont sionistes dans leur cœur. Il serait dommage de les voir choisir d’autres latitudes pour épanouir leurs compétences. « Les Russes n’avaient pas le choix. Leur aliya était imposée par Shamir qui avait fait un lobbying sévère en bloquant la voie des USA ; seuls les visas d’immigration pour Israël leur étaient délivrés. Aujourd’hui l’antisémitisme en France est certes un catalyseur, mais le facteur déterminant est sous-tendu par un véritable engouement pour Israël », affirme Cukierman.
Partir de zéro, « from scratch »
Il faut oser partir de rien. Confiance et détermination sont les deux piliers de la réussite. On peut entreprendre en Israël sans nécessairement avoir un diplôme d’ingénieur et venir du monde du high-tech. Il suffit de se souvenir que sur quatre opérateurs de téléphonie israéliens, deux sont des entrepreneurs français, Mickaël Golan et Patrick Draï, qui ont démarré de zéro leur activité, aime à rappeler Cukierman.
Les exemples de Français qui sont partis de rien en Israël et ont réussi à s’imposer sur un marché relativement compétitif sont nombreux. Leader dans le secteur de désalinisation de l’eau, Veolia, fondé par Henri Starkman, un olé français, est le plus gros acteur de l’environnement en Israël avec 80 % du marché des déchets. Une activité démarrée de zéro qui l’a propulsé leader sur le marché et ce, sans capital initial. « Veolia a adopté une technologie de désalinisation de l’eau israélienne et ne l’a pas rapportée de France. Ce qui lui a permis par la suite de gagner de gros marchés dans les Emirats ou en Australie », explique l’homme d’affaires, « et en adoptant une technologie israélienne pour la plus grosse unité de désalinisation d’eau au monde, avec 150 millions de mètres cubes à Ashkelon, il a pu par la suite vendre d’autres projets dans d’autres pays », affirme-t-il.
Idem pour David Harari, le père du drone, qui a créé de toutes pièces, au sein de IAI (Israel Aerospace Industries) l’activité d’avion sans pilotes, pour devenir le plus gros groupe dans le domaine. « On peut encore citer Decaux (les affiches), Sodexo pour les tickets restaurants, qui ont acheté un acteur local israélien pour développer cette activité. Il y a de nombreux secteurs comme ça », insiste Cukierman fier de ces leaders qui sont des immigrants français.
Des exemples à suivre. Lui-même n’est-il pas devenu un des plus grands dans la banque d’affaires en levant 4 millions d’euros pour des entreprises israéliennes. « Et on a démarré “from scratch” aussi », note-t-il fièrement.
De plus en plus d’entrepreneurs français, cherchent à s’impliquer et à investir dans l’économie israélienne pour s’implanter sur le marché local dans différents domaines. Le gouvernement incite à l’entreprenariat avec une fiscalité avantageuse. Les entrepreneurs bénéficient d’un ESO (Stock Option pour les Employés) sans être taxés sur les plus-values qu’ils réalisent. « Pour encourager les investisseurs étrangers à investir dans les sociétés de high-tech et les start-up technologiques, dès la création de notre fonds, nous avons demandé un prêt auprès de l’autorité fiscale israélienne pour qu’ils soient exemptés de taxes sur les plus-values », confie Cukierman.
« Déjà dès les années quatre-vingt-dix, le fonds gouvernemental Yozma a obtenu de très bonnes performances en soutenant les investissements réalisés par les fonds privés » rappelle l’homme d’affaires. L’intelligence du gouvernement a été d’aider au développement de l’industrie du capital-risque et du high-tech tout en ne laissant pas les fonctionnaires de l’Etat gérer ou sélectionner les entreprises. Il en est allé de même des incubateurs, initialement sous la coupe de l’Etat, leur gestion a très vite été confiée à des organisations privées.
Recherche ingénieurs désespérément
Qu’on se le dise, les ingénieurs seront accueillis à bras ouverts en Israël. A peine foulé le tapis rouge, on leur offre sur un plateau, du travail, un salaire et une foule d’avantages. Fraîchement diplômés ou avec une expérience professionnelle derrière eux, peu importe ; « on prend » affirme Edouard Cukierman qui a ses entrées et son réseau d’informations. Et l’homme n’est pas coutumier des paroles en l’air.
« Yehouda Zisapel, une sommité dans le monde du high-tech, président de l’association des sociétés de high-tech et de software, me confirmait qu’il manquait en Israël 5 000 ingénieurs. Ça prend du temps de les former et les besoins sont immédiats », confie Edouard Cukierman. « Avec un salaire en moyenne de 5 000 euros multipliés par un besoin de 5 000 ingénieurs qui pourraient venir de France, si vous donnez ça à une société de recrutement, c’est déjà un marché potentiel de 25 millions d’euros. Donc je pense que tout entrepreneur qui sait qu’il y a un marché à prendre de 25 millions d’euros devrait s’attacher à cette opportunité », soutient Cukierman. Cette approche entrepreneuriale est actuellement initiée et gérée par l’association Gvahim, dirigée, elle aussi, par un olé qui a réussi, Mickael Bensadoun.
Il en veut pour exemple Tufin, une société de son portefeuille, qui tient le haut du pavé dans le domaine de la sécurité sur Internet. « Quand ils m’ont dit r 30 ingénieurs, je leur ai demandé de nous allouer 15 ingénieurs de France, ils ont dit d’accord », se félicite l’homme d’affaires. « Cette société n’est qu’un exemple de start-up parmi d’autres qui recrutent, talonnées par des sociétés plus mûres et pas seulement dans le domaine technologique, comme Motorola et Google, mais également internationales implantées en Israël qui font de même » affirme-t-il.
Que ces ingénieurs francophones vers lesquels lorgne l’Etat bleu blanc se rassurent ; s’ils ne parlent pas l’hébreu tant pis, ils l’apprendront sur le tas, avec le temps, et en attendant, le français et l’anglais feront l’affaire.
Un enthousiasme contagieux
Les hommes exceptionnels gardent ces capacités d’enthousiasme et de foi propices à la réussite. Cukierman est aux antipodes de l’homme blasé. Aujourd’hui Tufin et Mobileye font sa joie. « On vient de lever pendant le conflit un montant assez important pour Tufin, et Mobileye a atteint une valorisation boursière de plus de 10 milliards de dollars », dit-il ravi, « avec 500 millions de dollars levés à Wall Street, c’est un record historique pour une start-up israélienne ».
Mobileye est considéré comme la plus grande introduction en bourse dans l’histoire du pays bleu blanc. Avec une technologie qui va révolutionner la façon de conduire, elle va permettra un système de pilotage automatique pour éviter les accidents, un peu comme celui des avions. Pendant la guerre, la société a doublé sa valorisation boursière. « Quand on a investi il y a 5 ans dans cette entreprise, il n’y avait que 5 administrateurs ; notre représentant, Yaïr Shamir, les deux fondateurs et les représentants de Goldman Sacks et Motorola. Aujourd’hui toute la sphère high-tech parle de Mobileye comme d’une success story. On a battu tous les records ; la société a recruté 300 ingénieurs à Jérusalem et ils cherchent à embaucher encore », pointe-t-il satisfait.
Se donner les moyens de réussir
Le ministère de l’Intégration a alloué un budget pour faciliter la venue des Français en Israël. Les salons de l’emploi bénéficient aussi d’un soutien. Mais pour sa part, Edouard Cukierman croit beaucoup aux initiatives non gouvernementales. « Les associations AMI et Gvahim sont très actifs en la matière, et je pense que le secteur privé a aussi un rôle à jouer pour faire le lien entre les entreprises de high-tech qui recrutent et les ingénieurs français qui peuvent envisager une aliya dès la sortie de l’école d’ingénieurs ou après une expérience professionnelle en France », précise Cukierman.
Grand homme d’affaires, à ses heures qui ne sont jamais perdues, Cukierman revêt volontiers la casquette de chasseur de têtes. Et on ne frappera pas à sa porte en vain ; il aime œuvrer pour assurer la relève. C’est là pleinement s’investir pour les valeurs juives de transmission. En siégeant au conseil d’administration de Gvahim, Cukierman donne un cadre à son désir d’agir, et s’investit avec enthousiasme à cette nouvelle fonction. Gvahim, cible les talents quel que soit leur domaine d’expertise et a déjà formé plus de 1 000 personnes et affiche un indice de satisfaction de 88 % selon une étude menée par McKinsey, la plus grande société de conseil stratégique au monde.
A l’université de Tel-Aviv, Gvahim a développé, pour les immigrants, un incubateur appelé « la Ruche », pour les aider à créer leur propre start-up. Les acteurs du capital-risque les aident à trouver les financements pour l’amorçage et leur allouent des fonds de roulement. Ashdod et d’autres villes sont intéressées par cette approche qui permet d’identifier des projets à fort potentiel à l’international et dont l’innovation technologique est importante. Les organisations gouvernementales ne peuvent pas offrir le réseau important de Gvahim qui permet d’ouvrir des portes et faire reconnaître les diplômes auprès des chefs d’entreprise israéliens. Gvahim forme également au commerce israélien, une initiative qui contribue beaucoup à l’intégration professionnelle des immigrants.
L’université pour tous, mêmes les nouveaux immigrants
« J’ai rappelé au président du Technion qu’à l’époque où j’étais étudiant, nous avions passé l’examen d’entrée en français, l’examen de maths par exemple avait été traduit de l’hébreu en français ce qui a permis l’accès à 400 étudiants français au Technion », confie Cukierman.
Convaincu que le secteur privé a un rôle majeur à jouer, il recommande de s’adresser directement aux organisations sans nécessairement passer par le gouvernement, ce que nombre d’entrepreneurs ont compris. « J’ai parlé aux présidents des différentes universités israéliennes pour qu’ils facilitent l’entrée des étudiants étrangers dans leurs établissements. Jonathan Davis, vice-président de l’Institut d’Herzliya est le premier à s’être mobilisé dans ce sens. Il a mis en place des programmes de BA, en finances, télécommunications ou sciences politiques, en anglais pour ces populations. « Grâce à cela, beaucoup de Français viennent à l’IDC aujourd’hui et leur nombre a été incroyablement multiplié dans un laps de temps très court », se félicite Cukierman.
Les psychométriques représente aussi un frein certain qu’il convient de lever, si l’on veut encourager l’aliya de France. « Il faut permettre à ceux qui ont eu le bac avec mention de rentrer dans les universités israéliennes sans avoir à passer les examens de psychométriques qui comportent des questions de culture générale israélienne », recommande-t-il.
« J’ai fait mon aliya il y a plus de 30 ans. L’économie n’était pas aussi développée. On n’avait pas autant d’aide qu’aujourd’hui. Au Technion, il fallait étudier en hébreu. De nos jours, c’est possible en anglais. Même à l’armée, ils sont plus flexibles. Et pour la reconnaissance des diplômes, la commission gouvernementale mise en place par le ministère de l’Intégration fait tout pour faciliter la « chute des barrières », se réjouit Cukierman qui espère que ces initiatives permettront de régler ces problèmes d’équivalences.
Les Français, une chance pour l’Etat hébreu
Si en France l’heure est à collectionner les stages, chez Catalyst après trois mois rondement menés, c’est une proposition d’emploi à la clé. Dûment rémunéré. De quoi faire rêver l’Hexagone vieillissant. Aujourd’hui, la conjoncture est favorable à l’entreprenariat. Avec une croissance qui gravite autour des 4 % depuis 20 ans, conjuguée à un manque de compétences dans les sociétés de high-tech, des opportunités sont à saisir en Israël.
10 000 immigrants par an en moyenne, ce n’est rien par rapport au ratio des immigrants russes à l’époque. « L’aliya russe avec son million d’immigrants représentait, à l’époque, 20 % de la population israélienne. Donc on devrait pouvoir gérer cela correctement. L’intégration des Russes est au final une réussite, il n’y a aucune raison que celle des Français ne le soit pas aussi », affirme Cukierman confiant. « J’ai parlé la semaine dernière à Ilan Cohen, ancien chef de cabinet de Sharon, directeur du lycée franco-israélien Miqveh Israël à Holon ; il me dit que son établissement a la capacité de tripler le nombre d’élèves actuellement scolarisés. Il suffit de s’en donner les moyens ».
Réussir l’intégration des Français est une priorité du gouvernement qui mesure l’opportunité que cela représente pour l’économie du pays. Avec 37 % d’ingénieurs et 64 % détenteurs d’un diplôme académique, l’aliya de Russie a eu une contribution énorme au développement du pays. « Je pense que, si les ingénieurs français viennent en Israël, cela va également dynamiser le high-tech israélien. Il y a une vraie opportunité et il faut le faire savoir », martèle Cukierman. 
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