Le Technion s’en va-t-en Chine

Un chef d’entreprise de Hong Kong s’associe à l’université israélienne pour stimuler l’innovation en Chine continentale.

P16 JFR 370 (photo credit: Assaf Shilo/Israel Sun)
P16 JFR 370
(photo credit: Assaf Shilo/Israel Sun)

Businessattraction. Il y a une attirance palpable, magnétique, entre le milliardaire deHong Kong à l’ascension sociale fulgurante, Li Ka Shing, et les entrepreneursisraéliens de high-tech. Le 29 septembre dernier, alors qu’un accordporteur d’avenir était signé entre l’institut technologique Technion-Israël deHaïfa et l’université chinoise de Shantou, dont le principal mécène est Li,cette attirance était ressentie par tous.

L’accord prévoitla création d’un institut de technologie Technion-Guangdong (le TGIT) àShantou, avec une enveloppe de 130 millions de dollars de la Fondation deLi au Technion de Haïfa, le don le plus important que l’institut n’ait jamaisreçu. Les coûts de construction du TGIT seront financés par la province deGuangdon et la municipalité de Shantou.

Shantou est uneville située sur la côte orientale de la Chine, à environ 500 km aunord-est de Hong Kong. La métropole de Shantou compte 14 millionsd’habitants, soit près du double d’Israël.

Le TGIT verra lejour en 2014, avec l’arrivée de 40 étudiants chinois au Technion de Haïfapendant

2 ans, pourétudier le génie civil et environnemental et l’informatique. Ils seront deretour en Chine pour l’inauguration du TGIT et du campus.

Peretz Lavie,président du Technion de Haïfa, souligne que la Fondation Li Ka Shing, la 2e aumonde de par sa taille et ses activités, a étudié exhaustivement 70 universitésavant de choisir le Technion israélien pour son institut de Shantou. Au TGIT,les cours seront donnés en anglais.

La crème duhigh-tech

Entre lesdiscours d’usage, le département des relations publiques du Technion a organiséune petite exposition de start-up high-tech liées à l’établissement. Li a faitle tour de chacun des stands, les yeux brillants, interrogeant lesentrepreneurs sur leurs inventions.

Le professeur degénie mécanique Alon Wolf a fait la démonstration de ses robots serpents, quipeuvent se frayer un passage dans les endroits exigus pour contribuer à desopérations de sauvetage, et recueillir des informations sur des sitesinaccessibles ou dangereux dans une zone sinistrée.

Li a observé avecintérêt le paraplégique Radi Kaiuf monter un escalier, à l’aide du dispositifre-Walk d’Argo Medical Technologies, conçu par le Dr Amit Goffer, lui-mêmediplômé du Technion.

Le visiteurchinois a également écouté avec intérêt le professeur de génie mécanique MoshéShoham lui expliquer comment, à l’aide du robot de Mazor Robotics, il estcapable d’effectuer une opération délicate du dos, comme une réparation descoliose sévère à 50 degrés (courbure rachidienne) d’une jeune Israélienne,afin qu’elle puisse reprendre les compétitions de saut en hauteur.

De Hong Kong àNew York

La question sepose toutefois de savoir si le Technion n’est pas en train de se disperser. En2011, le maire de New York, Michael Bloomberg, a annoncé que le Technion etl’université Cornell avaient conjointement remporté l’appel d’offres pour laconstruction d’une nouvelle université des sciences sur l’île de Roosevelt.Grâce au don de Li Ka Shing, le Technion, avec son corps enseignant d’à peine630 membres, dont beaucoup sont sur le point de prendre leur retraite,contribue aujourd’hui à la construction de deux immenses institutstechnologiques situés à 13 000 km de distance. A ces questions, ladirection du Technion répond que seules de nouvelles recrues seront affectées àNew York ou en Chine, et qu’aucun membre actuel du corps professoral ne seratransféré.

De plus, les deuxentreprises sont extrêmement bien financées – notamment grâce à une récentesubvention de la part d’Irwin Jacobs (fondateur de Qualcomm) et de son épouse,Joan, pour lancer l’institut d’Innovation Jacobs Technion Cornell à New York.

Quant à savoir siIsraël doit vendre ou non ses compétences à l’étranger, le sujet estaujourd’hui âprement débattu. Il va de pair avec le débat sur la fuite descerveaux, récemment relancé par l’attribution d’un prix Nobel à deuxprofesseurs israéliens installés aux Etats-Unis.

De fait, l’Etathébreu doit-il vraiment aider le géant chinois à innover, quand l’innovationest un de ses avantages concurrentiels clé ? Difficile de se montrerobjectif dans un débat souvent passionné. Reste que l’on pourrait avancer 3arguments. Tout d’abord, quand deux des plus brillants investisseurs du monde,Warren Buffett et Li Ka Shing, accordent un tel vote de confiance à Israël, lescautionnements qui en découlent sont précieux pour d’autres investisseurspotentiels et plus éloquents que tout autre argumentaire.

Ensuite, Israëlpossède une splendide imagination novatrice, mais n’a pas les moyens de hissersa production au niveau des entreprises mondiales. La Chine possède cettecapacité de production, mais a besoin d’imagination. Il s’agit d’une coopérationidéale, pour un gain mutuel.

Enfin, Israëldoit trouver les moyens de stimuler ses exportations vers la Chine, car lecommerce entre les deux pays est plutôt à sens unique. Ainsi, en 2012, Israël aimporté 5,3 milliards de dollars en biens et services de Chinecontinentale et 900 millions de dollars de Hong Kong (diamants mis àpart), juste derrière les Etats-Unis, mais n’a exporté que 2,4 milliardsde dollars vers la Chine, soit un déficit commercial de 3,8 milliards dedollars.

En revanche, lesexportations israéliennes vers les Etats-Unis, le meilleur client d’Israël, ontatteint un montant de 10,8 milliards de dollars, contre seulement8,6 milliards de dollars d’importations en provenance des Etats-Unis. Soitune très bonne nouvelle qu’on aurait envie d’étendre aux autres marchés.

Impatience etarrogance

Comment lesexportateurs israéliens peuvent-ils donc développer le commerce avec laChine ? Le Jerusalem Post a interrogé Yael Einav, à la tête d’YChina,société qui favorise le développement d’entreprises israéliennes en Chine.Selon elle, les trois principaux obstacles au succès des affaires en Chine sontl’impatience (les entreprises israéliennes recherchent trop souvent les gainsrapides), un mauvais ciblage (des industries et marchés que le gouvernementchinois ne tient ni à promouvoir ni à renforcer), et l’arrogance israéliennealliée à l’ignorance de la culture chinoise. Et de conseiller à ses clientsisraéliens de bien se préparer pour comprendre en profondeur les besoins et lesintérêts chinois. Se contenter d’agiter le drapeau israélien ne suffit pas.L’accord du TGIT a nécessité une patience infinie et a pris des années avant deparvenir à maturité. Ses prémices remontent à 1999, avec les premiersinvestissements de Li Ka Shing dans l’Etat juif.

Par ailleurs, niIsraël ni la Chine n’ont une bonne réputation en matière de protection de lapropriété intellectuelle (PI). Tentant de passer du « Fabriqué enChine » au « Inventé en Chine » – la raison d’être du TGIT –Pékin a récemment déclaré qu’elle occuperait une très bonne place au rangmondial en matière de protection et de gestion de la propriété intellectuelled’ici 2020. La Chine, qui vient de créer sa propre PI, a donc tout intérêt àprotéger ses propres innovations tout comme celles de ses partenaires.

Une légende desaffaires

A 85 ans, Li paraîtbeaucoup plus jeune que son âge. Il est très calme, mais c’est un auditeurattentif, comme le souligne le professeur Dan Shechtman, prix Nobel de chimieen 2011, qui l’a rencontré au Technion. Ce n’est pas non plus un nouveau venuen Israël. En 1999, son entreprise, Hutchison Whampoa, prend le contrôle de lasociété israélienne de téléphonie portable Partner. Dix ans plus tard, il vendses parts à Ilan Ben-Dov pour un bénéfice substantiel, juste avant que lesprofits en téléphonie ne s’effondrent, suite à l’ouverture du secteur à lanouvelle concurrence par l’ancien ministre des Communications Moshé Kahlon.

Par le biais desa société d’investissement, Horizons Ventures, Li a investi dans plusieursstart-up israéliennes : Cortica (analyse du contenu de l’image), Wibbitz(résumés vidéo de texte), Hola (accélération de l’Internet), Magisto (montagevidéo) et Waze (navigation mobile).

Ce sontd’ailleurs les bénéfices que Li a réalisés lors de l’acquisition de Waze parGoogle pour 1,3 milliard de dollars qui auraient permis de financer sadonation majeure au Technion.

Li a cité la plusrécente des sucess story israélienne lors de la cérémonie de signature àTel-Aviv. La méthode de Waze – déjouer ensemble les problèmes de circulation –« peut nous montrer comment unir nos efforts et combiner les technologiesafin de faire des progrès pour améliorer radicalement la vie des gens partoutdans le monde. Je suis fier de jouer un rôle pour faire de cette vision uneréalité. »

La vie de Li KaShing a de quoi inspirer tout entrepreneur. Il est né à Chiuchow, juste au nordde Shantou, en 1928. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il fuit à HongKong avec sa famille. Son père va y mourir de la tuberculose, faute d’argentpour payer les soins médicaux. A 15 ans, Li soutient toute sa famille. Aprèsavoir travaillé pour une entreprise de matières plastiques, il monte sa propresociété, Cheung Kong Industries – une autre prononciation du fleuve Yangtze,choisi parce qu’il « regroupe d’innombrables ruisseaux et affluents »– et la transforme en une véritable entreprise de développement immobilier. Ilinvestit plusieurs milliards de dollars dans l’immobilier à Hong Kong, à unmoment où les propriétaires quittent le navire, dans la crainte d’une reprisechinoise imminente de la colonie britannique. Li sait alors instinctivement queles sagaces Chinois n’oseront pas tuer la poule aux œufs d’or de Hong Kong.L’histoire lui donnera raison.

Ses deux fils,Richard et Victor, le secondent dans ses entreprises et ses investissements. « Entraitant ma fondation privée comme mon troisième fils, je peux lui allouerdavantage d’actifs et lui permettre ainsi de bénéficier à plus de monde »dévoile-t-il.

Tsedaka et tikounolam

Li a uneexplication simple pour ses accomplissements. « Le désir deréussite », explique-t-il, « doit être plus fort que la peur del’échec ». Une qualité qu’il partage clairement avec les entrepreneursisraéliens. Sa fortune personnelle est  aujourd’hui estimée à plus de31 milliards de dollars. Selon l’indice 2013 de Global Innovation, HongKong occupe la 7e place dans le monde et Israël se classe 14e. La Chinecontinentale est classée 35e. Il semble donc logique qu’un entrepreneur de HongKong unisse ses forces avec une université israélienne pour stimuler l’innovationde la Chine continentale.

Le dernier motlui revient. « Un de mes mentors et ami juif très cher m’a un jour faitpartager le sens des mots hébreux tsedaka et tikoun olam », explique-t-il.« Ces mots magnifiques englobent à la fois l’idée d’un engagement pour lajustice, la charité et la volonté de faire de ce monde un monde meilleur.Aussi, si je pouvais influer sur le destin d’un coup de baguette magique, aprèsmûre réflexion, mon souhait serait de donner les moyens aux décideurs demaximiser leur efficacité. Je voudrais les réunir dans de grands institutscomme le Technion et le nouveau campus du Technion qui sera bientôt construit àShantou, avec le soutien du gouvernement du Guangdong et, en particulier, dugouverneur Zhu. J’observerais avec satisfaction comment la grâce del’enseignement libère leur génie et leur potentiel… afin que les jeunes espritsles plus perspicaces d’Israël et de Chine puissent créer une série continue desolutions-révolutions. Et de relever les grands défis de l’humanité au XXIe siècle. »

L’auteurest chargé de recherche principal à l’Institut S. Neaman du Technion