Les bébés d’Efrat

L’organisation Efrat-CRIB (Comité pour la sauvegarde des bébés d’Israël) œuvre depuis 1977 contre l’avortement en cas de grossesse non désirée. Rencontre avec ceux qui soutiennent sans réserve les mamans

Les bebes d'Efrat (photo credit: EFRAT)
Les bebes d'Efrat
(photo credit: EFRAT)

 

«C’est un projet made in Jerusalem, avec appellation d’origine », affirme en plaisantant le Dr Eli Schussheim, directeur de l’organisation. Pourtant, le sujet est des plus sérieux. Efrat dispense une aide à ces femmes qui se trouvent au pied du mur et envisagent l’avortement pour être dans une situation financière précaire, coupées de leur famille, ou confrontées à des difficultés conjugales. « Nous n’avons pas d’argent à distribuer, ne donnons pas un centime ; nous offrons ce dont la maman a besoin pour son bébé, jusqu’à son deuxième anniversaire », explique Schussheim. Le mouvement conseille et soutient ces femmes face à la décision qui va bouleverser leur vie, depuis le dilemme entre interruption et poursuite de grossesse, jusqu’à l’éducation du

nouveau-né.
« Chaque année, Efrat distribue à 4 000 nouvelles accouchées, des kits bébé qui contiennent du linge pour nourrissons, couverture, vêtements, couches, jouets, tétines », note Ruth Tidhar, directrice du service social. Depuis sa création en 1977, Efrat est ainsi venue en aide à 57 000 bébés israéliens. Un chiffre significatif. « Les difficultés financières ne devraient jamais être la raison pour laquelle une femme pense n’avoir d’autre choix que celui d’avorter », martèle Tidhar, qui porte haut l’étendard de l’organisation et ses valeurs : donner la possibilité de choisir, et non de subir une situation sans issue ou d’envisager l’avortement par dépit.

Une somme ridicule

Le modeste bureau du Dr Eli Schussheim est un vaste patchwork de photos de bébé, envoyées par les mamans au Comité pour la sauvegarde des bébés d’Israël. « Celui-là a aujourd’hui 24 ans, il est père d’un petit garçon », sourit-il en désignant l’une d’entre elles.

« L’avortement est une expérience traumatisante psychologiquement », qui ébranle la vie d’une femme, rappelle la directrice du service social. Ruth Tidhar reste marquée par les histoires de ces femmes en détresse. « Pnina était une veuve de 23 ans quand nous l’avons rencontrée il y a 12 ans », se souvient-elle. La jeune femme originaire de l’ancienne Union soviétique était venue s’installer en Israël avec son mari, Avner Valery. « Valery a été appelé par l’armée pour effectuer ses réserves pendant l’intervention militaire Chomat Magen. Alors qu’ils avaient déjà une petite fille de six mois, Pnina a découvert qu’elle était à nouveau enceinte et a appelé son mari pour le lui annoncer : il était fou de joie. Le soir même, le monde s’est effondré pour elle lorsque des représentants de l’armée ont frappé à sa porte le visage sombre. Valery était tombé dans la bataille de Jénine ».
Pour Pnina, la question de garder l’enfant a accompagné la douleur de perdre son mari et les difficultés financières. Après avoir contacté Efrat et reçu le soutien de l’organisation, la jeune femme a décidé de poursuivre sa grossesse. « J’ai récemment parlé avec Pnina, qui m’a confiée remercier chaque jour Efrat pour la vie de sa seconde fille, qu’elle a nommée Karen Valeria en souvenir de son mari ». Chacune de ces histoires nécessite une somme ridicule. « Il faut 4 500 shekels pour sauver un bébé et aider sa maman », explique Tidhar, alors qu’Efrat ne reçoit aucune aide gouvernementale et dépend de dons privés.

Des enjeux éthiques respectés

Dès lors qu’un organisme s’occupe de problématiques liées à l’avortement, se posent des questions éthiques. Droits de la femme, liberté de choix, questionnements religieux, droit à la vie, mais aussi définition du statut de l’embryon, autant d’enjeux éthiques de premier plan qui déchaînent les passions. En Israël particulièrement, le domaine religieux touche de manière non négligeable le sujet. La loi juive autorise l’avortement si le fœtus constitue une menace directe pour la santé physique ou mentale de la femme enceinte.

Schussheim, qui était chirurgien dans les hôpitaux Hadassah et Shaarei Tsédek à Jérusalem, et dispensait des soins durant les guerres des Six Jours et de Kippour, voit sa vie « changer de cap » en 1977. La Knesset ouvre cette année-là les conditions du droit à l’avortement en Israël, jusque-là soumis au critère de mise en danger de la mère. Le médecin se souvient s’être tourné vers les exemples d’organisations américaines Pro-choice qui se battent pour faire respecter le choix et le droit légal des femmes à l’avortement, et Pro-life souvent proche des mouvements religieux et qui prône son interdiction légale. Des tendances diamétralement opposées, qui n’hésitent pas à matraquer des messages basés sur des idées morales, politiques et éthiques.
Ces mouvements paraissent trop vindicatifs pour l’homme engagé, né à Buenos Aires en Argentine, qui a choisi la médecine il y a 51 ans dans le but de « sauver des vies ». Il préfère délimiter son rôle à celui de soutien : « Si une femme a des difficultés financières et qu’elle porte un germe de vie, nous l’aiderons. Je n’ai pas besoin de faire passer une loi qui lui interdit ou lui facilite d’avorter ». Une aide offerte bien sûr, dans le respect juif de la santé de la femme, dès que la « grossesse ne la met pas en danger », affirme le président d’Efrat.

Confidentialité et garantie

Kippa sur la tête, il plaisante : « Il n’y a qu’en Israël que l’on me demande si je suis religieux, orthodoxe et toutes ces bêtises ; en Argentine on ne m’a jamais posé de questions sur ma religiosité, ça n’arrive qu’ici », rit-il, avant de confier : « Au fait je suis massorati », soit traditionaliste et/ou conservateur.

Mais le sourire disparaît pour laisser place à une réponse emplie de gravité sur l’aspect non religieux de l’organisation. « Ici, il est interdit d’influencer les femmes, d’un point de vue religieux, moral, familial ou philosophique ; on ne parle que d’une situation médicale qui s’appelle “grossesse”, avec deux options existantes : la continuer ou l’arrêter, rien d’autre », avant de poursuivre : « Il s’agit du droit de la femme sur son corps ».
L’approche de Schussheim est simple. Le choix d’avorter incombe à la femme seule, mais celle-ci doit bénéficier de tous les renseignements nécessaires pour une décision pleine et libre. « Nous sommes l’organisation la plus féministe : le plus grand droit de la femme est de faire ses choix en connaissance de cause ». Et ces femmes semblent satisfaites de l’aide qu’elles bénéficient d’Efrat. Aucune d’entre elles ne semble regretter d’avoir poursuivi sa grossesse. « Si un seul cas, un seul, de femme qui regrettait d’avoir gardé son bébé se présentait, je ne pourrais pas me vanter de ce qu’aucun médecin ne peut affirmer : “confidentialité et garantie”. Aucun médecin ne garantit le succès d’un traitement ou d’une opération », affirme-t-il.
Alors que la rencontre s’achève, le standard d’Efrat sonne. Le répondeur se déclenche sur un message de remerciement. Une femme émue aux larmes vient de recevoir le premier colis envoyé par l’organisme. 

http://www.efrat.org.il/