Téhéran, mon beau souci

La communauté irano-israélienne est particulièrement bien intégrée dans la mosaïque de l’Etat hébreu. Tour d’horizon

Un juif iranien prie dans la synagogue Yousefabad à Téhéran (photo credit: REUTERS)
Un juif iranien prie dans la synagogue Yousefabad à Téhéran
(photo credit: REUTERS)

On ne sait que peu de choses sur cette communauté, plus discrète et intégrée que peuvent l’être  d’autres populations en Israël, comme les Russes, les Américains ou les Français. Actuellement, on  estime que près de 250 000 personnes ont des affiliations persanes dans l’Etat juif.

La première  grande vague d’aliya perse a eu lieu au début des années 1950, quelques années seulement après  la création de l’Etat d’Israël. En 1952, avec l’opération Cyrus, les autorités israéliennes aident près  de 30 000 Iraniens à rejoindre la Terre Sainte, en vertu d’une politique de « sauvetage » des juifs  moyen-orientaux. Ensuite, après la révolution islamique de 1979, des milliers d’entre eux – de l’ordre  de 40 000 – usent de la Loi du retour avant que celle-ci ne soit définitivement prohibée par le régime  des mollahs. Selon plusieurs sources militaires, Israël essayerait actuellement de convaincre les  20 000 juifs restants dans le pays de rejoindre l’Etat hébreu, notamment par l’intermédiaire  d’incitations financières. En 2012, 110 Juifs iraniens ont fait leur aliya en passant par un pays tiers, la  plupart ayant choisi la Turquie.
Peu revendicative, la communauté israélo-iranienne se distingue en grande partie par ses égéries,  dont la notoriété est l’étendard offert au public israélien. C’est notamment le cas de la chanteuse  Rita. Née à Téhéran dans les années 1950, elle est également populaire dans son pays natal via la  diffusion des chaînes satellites. Symbole fort, le gouvernement israélien lui propose même de  chanter sa chanson Tunes for Peace à l’ONU en 2013, conscient du pont que représente cette  communauté à l’égard de « l’ennemi iranien ». Mais cette population s’est également distinguée  dans le domaine politique, et notamment auprès de la droite israélienne. L’ancien président Moshé  Katsav (Likoud), l’ancien ministre de la Défense – actuellement député Kadima – Shaul Mofaz, sans  oublier le nationaliste Michael Ben Ari, étant des exemples probants.
A droite, toute
Mais s’il existe bien un ténor de la communauté israélo-iranienne, c’est bel et bien Menashé Amir.  Né à Téhéran en 1950 dans une famille juive laïque et arrivé en Israël en 1959, ce dernier a  construit sa renommée via son émission de radio quotidienne en farsi « Kol Israel », qui émet depuis  Jérusalem, et qui est très populaire en Iran.
A la question de savoir si les Irano-israéliens se sentent concernés par la situation dans leur pays  d’origine, Amir est sans équivoque : « Les Irano-israéliens sont très peu politisés. Ils sont devenus  plus israéliens qu’iraniens à présent, même si leurs coutumes spécifiques perdurent. Il faut malgré  tout noter que la plupart sont ancrés à la droite de l’échiquier politique. Ils sont particulièrement en  faveur de Binyamin Netanyahou et la plupart seraient en faveur d’une éventuelle intervention  militaire à Téhéran. Ils ne cachent pas leur colère face aux mollahs, car il ne faut pas oublier que  beaucoup d’entre eux ont été spoliés par le régime islamique. Néanmoins, ils n’ont pas tendance à  créer des associations politiques pour dénoncer le régime, leurs regroupements restent de l’ordre  culturel ».
Une tendance qui s’explique aussi, selon Amir, par le passé mouvementé qui caractérise les  Israéliens mizrahis : « La population juive a été oppressée en Iran. Il n’est pas étonnant qu’elle soit  en faveur d’un pouvoir protecteur fort à présent ».
L’amour du pays transparaît fortement dans les dires d’Amir, des propos similaires à ceux tenus par  les nombreux israélo-iraniens entendus dans le cadre de cette enquête. L’inquiétude quant à la  sécurité de la population civile en Iran apparaît également comme un motif récurrent. Amir n’hésite  d’ailleurs pas à relayer les témoignages faisant état des problèmes socio-économiques des Iraniens  par l’intermédiaire de sa radio ; une mission sociale dont il semble se charger en tant que natif de  Téhéran.
L’absence de relation avec la communauté juive restée au pays reste elle aussi une grande douleur  aux yeux de l’intéressé : « Les Iraniens n’ont pas le droit de venir en Israël et les Israéliens n’ont pas  le droit de poser un pied en Iran. Il est impossible d’établir des relations. Les Irano-israéliens  entretiennent plutôt des contacts avec la communauté juive iranienne expatriée au Royaume-Uni et  aux Etats-Unis (Beverly Hills compte une très importante communauté juive iranienne), il est très dur  d’obtenir des nouvelles d’Iran. » Mais là où Amir compte bien faire porter sa voix, c’est sur  l’importance de ne pas mélanger le régime et le peuple perse : « Il y a une séparation idéologique  totale entre le peuple et le régime iranien. Je l’ai d’ailleurs dit à M. Netanyahou. Je reviens d’Inde par  exemple.
Et là-bas, beaucoup d’Iraniens en déplacement m’ont reconnu et ont été très sympathiques  à mon égard. Il y a un important lavage de cerveau en Iran sur le dossier israélien, mais le peuple  n’est vraiment pas mauvais. Par contre, il est important de préciser que la situation des Juifs dans le  pays reste difficile. Les reportages montrant leurs libertés religieuses et leur place réservée au  Parlement ne sont que des écrans de fumée. » Enfin, le sujet de l’intégration de cette communauté  reste un sujet de fierté, les Iraniens ayant en général mieux réussi que leurs frères mizrahis : « Les  Iraniens font partie de la classe supérieure en Israël ou au moins de la classe moyenne. Ce sont des  gens plutôt aisés. Il faut dire qu’on a été bien accueillis, je n’ai jamais ressenti de discrimination  lorsque je suis arrivé ici ».
La crainte pour la communauté restée en Iran
Cependant, l’éventualité d’une intervention militaire en Iran ne fait pas l’unanimité auprès de cette  communauté. C’est notamment le cas de Kamal Penhasi, à la tête du seul journal israélien en langue  perse, « Shahyad », également à la tête de l’organisation « Iran-Israël », qui plaide pour un  rapprochement entre les deux pays. Ce dernier estime que le « gouvernement iranien est instable et  imprévisible », laissant planer le doute sur sa réaction à l’encontre de la communauté juive en cas  de conflit. Une attaque israélienne contre l’Iran serait sans précédent et pourrait s’avérer de très  mauvais augure pour les instances juives du pays selon lui. Même si Penhasi ne pense pas que les  autorités seraient capables de directement participer à des actes antijuifs, ce dernier craint que la  police laisse faire la frange haineuse de la population, désireuse de se venger de l’intervention  israélienne sur la communauté juive locale. Des propos relativisés par Meir Litwak, expert de la  question iranienne à l’université de Tel-Aviv : « Le régime doit traiter les Juifs normalement pour  montrer qu’ils peuvent vivre sous un régime musulman comme une minorité protégée ».
Mais s’il y a bien un domaine où la communauté israélo-iranienne se distingue, c’est bel et bien  l’armée. Quelque cinquante immigrés iraniens seraient enrôlés chaque année dans l’armée  israélienne. Cette dernière étant intéressée par leur capacité à maîtriser la langue farsi et à  comprendre la « mentalité » et la culture de leur pays d’origine, actuellement dans l’axe du mal du  gouvernement Netanyahou. Une recrue concernée sur cinq travaillerait dans les forces de  renseignement, un taux bien plus élevé que la moyenne des conscrits, afin de surveiller au maximum  l’avancée du programme nucléaire iranien. C’est notamment le cas de l’unité 8200, spécialisée dans  l’interception des communications des pays de la région, très prisée par les jeunes d’origine  iranienne. Tsahal valorise d’ailleurs sur son site et sur les réseaux sociaux des témoignages  d’Iraniens ayant rejoint l’armée. La volonté de réaffirmer son identité juive tout en défendant l’Etat  d’Israël, idée majoritairement défendue par ces recrues, est mise en valeur par l’état-major. Plus  frappant encore, les Iraniens se distinguent aussi dans l’humanitaire, comme le rappelle le  géopoliticien israélien d’origine perse Meir Javedanfar, du Centre interdisciplinaire d’Herzliya. Une  situation parfaitement illustrée par le colonel Sebti, à la tête de l’unité nationale de recherche et de  sauvetage, chargée de sauver les victimes d’attaques de missiles ainsi que des catastrophes  naturelles.
« Little Persia »
La survie de la culture iranienne est elle aussi un enjeu de taille pour cette communauté. C’est  notamment le combat de Reuven Ashkendazi, fils d’immigrés iraniens, ancien candidat aux élections  municipales de 2013 dans la ville d’Holon au sud de Tel-Aviv, municipalité israélienne ayant la plus  grande communauté iranienne du pays. « Cette ville possède une communauté perse de 20 000  personnes et aucune institution n’existe ici pour conserver notre identité et notre culture » avait-il  notamment déclaré à nos confrères du journal The Telegraph. La volonté de créer un grand centre  de promotion de la culture iranienne est régulièrement prônée par les habitants de la ville. Il faut  dire que la jeunesse israélienne d’origine iranienne se désintéresse de plus en plus de la culture de  ses aïeux, l’intégration de cette communauté à la société israélienne ayant considérablement  diminué l’attrait du folklore iranien à ses yeux. C’est par exemple le cas du centre Beit Koresh à  Holon.
Financé il y a près de 30 ans avec l’aide du Shah d’Iran, cette institution se présentait comme  le centre névralgique de la culture perse en Israël. Aujourd’hui, elle est fermée, à l’instar de la  bibliothèque persane de la ville. Pour Kamal Penhasi, cette situation s’explique également par  d’autres facteurs : « Il faut différencier la communauté juive iranienne en deux différentes parties :  celle venue avant la révolution islamique de 1979 et celle venue plus tard. Les immigrés d’avant les  années 1980 sont arrivés jeunes, et ce sont maintenant des personnes âgées, qui ont totalement  oublié leur culture d’origine. C’est le fruit de l’intégration. Par contre, la vague d’aliya venue plus tard  est beaucoup plus attachée à ses racines persanes. » L’homme reste malgré tout optimiste quant au  renouveau de la culture iranienne en Israël : « Le farsi est pénalisé car les ordinateurs ne prennent  pas en compte l’alphabet perse, mais de plus en plus d’Israéliens s’intéressent à la culture iranienne  depuis le conflit avec l’Iran, c’est un phénomène très visible ». Preuve à l’appui, l’université de  Beersheva dans le Néguev a fait de l’enseignement du farsi une priorité.
La fête de Norouz, le nouvel an iranien, reste elle aussi célébrée par une grande partie de la  communauté, attachée à la perpétuation de cette tradition, notamment à Haïfa. Dans le sud de Te- Aviv, le quartier de « Little Persia » regorge de magasins et de restaurants iraniens, comme  l’établissement Shamshiri. Et beaucoup ont encore, accroché aux murs de leurs domiciles, le portait  de l’ancien Shah d’Iran. A l’instar des autres grandes communautés du pays, c’est aussi dans les  médias que le communautarisme se fait sentir. C’est par exemple le cas d’Amir Shai et de Parviz  Barhourder, dont la radio RadisIN, est écoutée par plus de 6 000 auditeurs en Iran.
Quoi qu’il en soit, cette communauté mériterait d’être plus écoutée, sa connaissance du terrain  iranien étant un atout majeur dans la compréhension de la politique menée par les autorités  iraniennes. Un grand nombre d’entre eux n’hésitent d’ailleurs pas à alerter la population israélienne  sur la fragilité du récent accord nucléaire passé à Genève entre les grandes puissances occidentales  et Téhéran…