Inculper ou ne pas inculper ?

Au faîte de sa carrière, Liberman risque toujours des poursuites judiciaires. Faux suspens ou vrai rebondissement de la campagne électorale ?

Avigdor Liberman 521 ok (photo credit: Reuters)
Avigdor Liberman 521 ok
(photo credit: Reuters)
De la moralité en politique. Après le retour de Déri chez Shas et les rumeurs sur celui d’Olmert à Kadima, les regards se tournent à présent vers Avigdor Liberman, président d’Israël Beiteinou. Celui qui vient d’annoncer son union au Likoud le temps de l’élection et qui ne cache pas son ambition de devenir Premier ministre un jour, risque depuis longtemps des ennuis judiciaires. Le procureur général Yehouda Weinstein va-t-il l’inculper officiellement dans les prochains jours comme le laissent entendre certains ? Personne ne le sait vraiment. Une chose est sûre : les répercussions seraient incommensurables.
Car, en fonction de sa gravité, l’accusation pourrait changer radicalement la donne du bloc de droite. Ou donner lieu à plusieurs scénarios plus légers dans lesquels Liberman survivrait politiquement, peut-être même en étant condamné, à la manière de l’ex-Premier ministre et chef de Kadima, Ehoud Olmert.
De graves accusations
Rappel des faits. Le ministre des Affaires étrangères fait l’objet d’une enquête pour fraude, abus de confiance, blanchiment d’argent et intimidation de témoins. Selon une première version de l’acte d’accusation, la seule disponible, Liberman aurait reçu des millions de dollars de la part d’hommes d’affaires via 6 à 8 sociétés-écrans entre 2001 et 2008. Années pendant lesquelles il a été membre de la Knesset et successivement ministre des Transports, des Infrastructures nationales puis des Affaires stratégiques. Il aurait débuté ces activités peu après avoir quitté son poste de directeur général du bureau du Premier ministre en 1997. Deux compagnies auraient été fondées au départ, la première en Israël, la seconde à Chypre. Puis, le leader russophone rachète ou finance d’autres entreprises, qui servent à lui faire parvenir “d’énormes sommes dont des fonds qui n’ont rien à voir avec les activités des sociétés et ne reflètent pas les revenus desdites activités”, accuse l’Etat.
Elu pour la première fois en 1999, Liberman, avec la complicité de son avocat Yoav Mani, aurait continué ses affaires. Contrevenant ainsi à la loi qui limite les activités financières des politiques.
“M. Liberman est suspecté d’avoir fait de fausses déclarations à la fois au public et au contrôleur d’Etat en affirmant avoir vendu toutes ses parts dans les sociétés et n’être plus impliqué dans leurs opérations”, continue l’acte. “Et ceci malgré qu’il ait continué à faire des affaires à travers ces compagnies et d’en percevoir des revenus tout en soumettant de faux rapports sur ses activités et ses biens, des rapports qu’il avait l’obligation de fournir en raison de sa fonction publique”.
De proches associés de Liberman, dont son chauffeur, auraient dès lors pris la tête des entreprises, transférées en leurs noms. Des directeurs vraisemblablement de façade, qui, interrogés, ne semblent pas posséder, et de loin, le savoir et les capacités managériales nécessaires.
Et qui auraient pu, tout au plus, avoir appliqué les ordres d’un tiers, tel que Liberman. L’Etat soupçonne également le ministre d’avoir, au moment de sa démission en 2004, monté une entreprise avant de la transférer au nom de sa fille alors âgée de 21 ans. Il en serait néanmoins resté le principal bénéficiaire, même après son retour aux affaires publiques.
En février 2011, l’Etat a clos le chapitre corruptif de l’enquête, en raison de ses difficultés à accéder aux témoins de l’affaire à l’étranger.
Le dirigeant d’Israël Beiteinou est également suspecté d’avoir reçu les confidences illégales de l’ambassadeur en Biélorussie, Zeev Ben-Arieh, en poste en 2008. Ce qui lui aurait permis d’obstruer l’enquête à son avantage. La police enquête alors sur des pots-de-vin reçus par Lieberman et des revenus non déclarés aux autorités fiscales.
Ben-Arieh, en tant que représentant diplomatique, est chargé de faire passer un paquet aux autorités biélorusses qui contient une demande d’assistance légale - un service mutuel que les nations se rendent pour collecter des preuves en pays étranger.
Mais au lieu de simplement faire passer le paquet, Ben- Arieh en révèle le contenu à Liberman.
En juin dernier, le diplomate est reconnu coupable de divulgation d’information, de manquement à sa fonction et d’obstruction à la justice dans le cadre d’une négociation de plaidoyer. Il admet avoir partagé une information classée avec Liberman dans une enquête visant ce dernier.
L’Etat craint un Olmert 2.0
Les investigations concernant le politicien ont commencé dans les années 1990. La dernière en date a été ouverte en 2006. Le 2 août 2009, la police transmettait les preuves réunies contre Liberman au parquet et recommandait des poursuites. Depuis, le ministre a subi trois audiences préparatoires, fait hautement inhabituel : la plupart des accusés n’en ont aucune. Liberman sera-til pour autant inculpé avant les élections ? De nombreuses critiques reprochent à l’Etat en général et à Yehouda Weinstein en particulier de traîner des pieds dans cette affaire. Il serait en effet temps d’attaquer frontalement Liberman ou inversement de lui donner l’occasion de blanchir publiquement sa réputation. Il y a près d’un an et demi, le procureur général avait annoncé qu’il avait suffisamment étudié le cas pour prendre une décision.
Mais tout comme avec son prédécesseur - qui avait promis d’inculper le ministre durant son mandat, même si ce devait être sa dernière action en poste - l’acte d’accusation officiel n’est jamais tombé. Pourtant, le dossier n’est pas clos. Depuis, Weinstein a plusieurs fois fait planer le suspens et annoncé une décision imminente : après Pessah, puis en juin puis encore en juillet.
D’aucuns rappellent que l’Etat a plusieurs fois intentionnellement lancé des poursuites en pleine saison électorale.
Début octobre, selon Aroutz 2 et 10, l’affaire connaissait un nouveau rebondissement, immédiatement après l’annonce des élections anticipées : le ministre devait être inculpé dans les “deux ou trois semaines”. De quoi faire enrager les critiques si Liberman était en fin de compte poursuivi si près d’un scrutin.
Mais selon d’autres sources, si la plupart des procureurs impliqués dans le dossier estiment qu’un acte d’accusation doit être lancé, Weinstein n’aurait pas encore pris de décision finale. Et, même dans le camp des “pour”, le débat est houleux sur la nature et la gravité de l’inculpation à déposer, à la lumière de la difficulté à rassembler des preuves.
D’autres murmurent que le procureur d’Etat s’apprêtait à lancer la procédure mais s’est ravisé au vu du dénouement dans les procès d’Olmert. Alors que tout semblait condamner l’ancien Premier ministre, celui-ci a obtenu un non-lieu dans l’affaire de corruption jugée à Jérusalem et serait en passe d’être acquitté dans le scandale d’Holyland, arbitré par la cour de Tel-Aviv. Si les hauts fonctionnaires démentent vivement tout lien entre les deux affaires, difficile d’ignorer l’embarras éprouvé par l’Etat face au blanchiment Olmert. Ni l’impact sur la décision de poursuivre un ministre des Affaires étrangères pour des accusations qui sont loin d’être simples à prouver.
Selon plusieurs experts juridiques, historiquement, l’Etat s’est abstenu de poursuivre des personnalités publiques pendant de longues années après un fiasco judiciaire, comme dans le cas des procès perdus contre des élus locaux dans les années 1990. Et, si tous les citoyens devraient être égaux devant la loi, perdre un procès contre un quidam n’affecte pas le bureau du procureur de la même manière que le blanchiment d’un ancien ministre.
D’un autre côté, la condamnation de Ben-Arieh ne plaide pas en la faveur de Liberman. Celui-ci pourra toujours dire qu’il ne faisait rien de mal et n’avait aucune idée de ce que l’ex-ambassadeur devait lui montrer avant qu’il n’ait été trop tard pour reculer. Il pourra ajouter qu’il n’a pas révélé les agissements de Ben-Arieh car il ne voulait pas lui causer des ennuis, en particulier en raison de ce qui aurait pu être une erreur de confusion : Liberman était en effet le patron de Ben-Arieh en tant que ministre des Affaires étrangères. Enfin, l’élu pourra toujours défier l’Etat de prouver qu’il a bel et bien fait illégalement obstruction à l’enquête, ce qui devrait s’avérer difficile.
Il reste que l’image d’un ambassadeur et allié de Liberman enfreignant la loi pour l’aider colle bien avec l’idée que le ministre agisse illégalement depuis des années et fasse usage de ses amis et de ses subordonnés pour rester à l’abri de la justice.