« L’âge tendre au temps de l’innocence »

Le musée d’Israël expose 20 ans de livres écrits pour nos chers petits et révèle enfin l’identité des illustrateurs

p20 JFR 370 (photo credit: Rachel Marder)
p20 JFR 370
(photo credit: Rachel Marder)

Demandez à n’importe quel enfant israélien, garçon ou fille,quelle est la couleur de la robe que porte le personnage de Hannaleh pourShabbat, il ou elle vous répondra sans hésiter que l’angélique blondinetteporte une robe blanche. La robe du Shabbat de Hannaleh, publié en 1957, faitpartie des livres phares de la littérature enfantine israélienne. Rares sontles foyers qui n’en possèdent pas un exemplaire. Et il y a fort à parier quevous trouverez ce classique dans chaque bibliothèque ou librairie du pays.

C’est ce qui rend cette exposition intitulée « L’âge tendre au temps del’innocence » si émouvante. Cet ouvrage fait partie du Top Ten des célèbresEditions Ofer, dont les ouvrages sont exposés dans l’aile gauche du départementJeunesse du musée d’Israël, et ce, jusque fin septembre 2013, parmi desdizaines d’autres livres pour enfants, écrits et publiés entre 1957 et 1970.
Schlomo Alouf est l’heureux fondateur des Editions Ofer.
C’est parce que les petits israéliens n’avaient pas d’autre choix que lalittérature européenne pour satisfaire leurs envies de lecture, que cet homme,âgé aujourd’hui de 77 ans, a créé sa maison d’édition. Il a voulu offrir deshistoires typiquement israéliennes à ces enfants qui arrivaient en masse dansle pays, afin de leur donner un socle culturel commun et forger leur identité,ainsi que celle des générations suivantes, autour des mêmes valeurs. « Jevoulais inculquer aux enfants le sens des responsabilités, car ils sont notreavenir », confie l’éditeur, interviewé dans sa charmante librairie de PetahTikva.
Le fabuleux destin d’un éditeur heureux 

L’histoire de la petite blondinette quisalit sa robe de Shabbat immaculée et la voit, comme par magie, rendue à sablancheur initiale grâce à la lumière de la lune, est certes devenu unbest-seller de la littérature enfantine et a contribué à rendre cette maisond’édition célèbre. Pour autant, son contenu n’est pas emblématique du messagevéhiculé par ailleurs dans les autres ouvrages publiés par les Editions Ofer.

« La collection jeunesse n’a pas d’ambition éducative, ce sont tout simplementdes histoires. Mais c’est très… formateur, les histoires », confie Alouf. Niliaide sa maman, par exemple, son premier livre publié, raconte l’histoire d’unefillette de 5 ans, qui prend son bain, habille son petit frère, met la table,fait les courses. Et ce personnage de Nili justement, illustre parfaitement saconviction, à savoir que les enfants doivent aider leurs parents. « Cela n’apas de prix, car cela donne aux enfants le respect du travail et contribue à levaloriser à leurs yeux », précise Alouf.
C’est quand sa famille fait son Aliya avec l’Agence juive, en fuyant Bagdad parles toits, que le petit Schlomo, âgé de 15 ans et demi, est confronté pour lapremière fois à de grandes responsabilités. Une fois en Israël, son père,professeur de mathématiques en Irak, se retrouve à cinquante ans sans emploi.Tout à coup, celui qui avait toujours été le pilier de la famille, se voitcontraint de confier à son aîné la lourde tâche de subvenir aux besoins du foyer,en travaillant dans une exploitation agricole, à Or Yehouda.
« Enfant et adolescent, je ne me souviens pas d’avoir manqué de quoi que cesoit. Nous avons eu la chance d’avoir ces agriculteurs formidables commevoisins, qui m’ont donné du travail et m’ont permis de ramener à la maison desfruits et légumes en quantité, pour nourrir ma famille », se souvient Alouf.
Après son service militaire, il a toujours sa famille à charge et travaille lejour, tout en suivant des études d’ingénieur le soir, à Tel-Aviv. Il ne manquejamais de ramener, dès qu’il le peut, de la lecture à ses frères et soeurs,alors que la famille vit sans électricité. « J’étais un garçon responsable »,confie Alouf, « pas question de laisser tomber ma famille ».
Pourtant, il n’hésitera pas à prendre le risque d’abandonner ses étudesd’ingénieur, pour se tourner vers l’édition, une profession qui correspondmieux à ses aspirations.
Commence alors une étroite collaboration artistique avec Eva Itzkowitz, quidurera de 1957 à 1975.
Vont naître une série de succès emblématiques de la littérature pour enfantsisraélienne, comme la série des Hanneleh, Les enfants du monde, Je travaillecomme papa, Youpi, j’ai grandi, ou encore Une visite à Jérusalem.
Des histoires pour grandir 

« Tous les enfants ont grandi avec ces livres »,explique Orna Granot, la bibliothécaire du département jeunesse du muséed’Israël, lors d’une interview accordée au Jerusalem Post. « Il suffit de voirun de ces ouvrages pour retomber en enfance », avoue-t-elle. « Ce sont deshistoires profondes et initiatiques, avec une forte charge émotionnelle »,ajoute Granot.

Et de souligner la beauté des illustrations et leur simplicité, qui permettentà de tout jeunes enfants de suivre le fil des histoires. C’est grâce à cesdessins que les paysages israéliens se sont gravés à jamais dans les mémoiresde toute une jeunesse, celle littéralement tombée amoureuse du monde rassurantet coloré qui a jailli de la palette d’Eva Itzkowitz.
Eva Itzkowitz voit le jour en Saxe, en Allemagne, en 1922.
La montée du nazisme contraint sa famille à l’exil. Refoulée par lesBritanniques qui lui interdisent d’entrer en Palestine, la famille Itzkowitzs’installe en Grèce. Lorsque les nazis envahissent le pays, le père d’Eva estarrêté et meurt en déportation. Mais elle et sa mère parviennent à se cacherpendant 5 ans et survivent à la guerre.
Eva étudie alors le portrait aux Beaux-Arts d’Athènes, où elle résidera jusqu’àson Aliya en 1945. C’est alors, après quelques déboires dans d’autres maisonsd’édition qui ne sauront pas apprécier son travail et ne la paieront pas, quedébutera sa fructueuse collaboration artistique avec Alouf.
Ce sera pour des auteurs comme Ouriel Ofek, David Pe’er, Yemima Sharon, et biend’autres, qu’elle façonnera un univers de couleurs, pour représenter des scènesde la vie quotidienne du monde de l’enfance, dans des dessins pleins dedouceur. Des livres grâce auxquels des générations d’enfants apprendront à lireet à compter. Des dessins et des textes qui les éveilleront à des notions pluscomplexes, comme l’amitié avec, par exemple, Comment être un bon copain. Ouencore, des histoires pour les aider à se familiariser avec les peurs del’enfance, et leur apprendre à supporter des bouleversements familiaux avecComment la vie va changer à la maison, avec mon nouveau petit frère ou manouvelle petite soeur. Alouf a reconnu son âme soeur dans la personne d’EvaItzkowitz. « J’étais un réfugié, elle était une réfugiée, et nous nous sommesrencontrés », explique celui qui a su révéler le talent de cette artistesingulière et lui permettre de l’épanouir dans sa maison d’édition.
Une artiste anonyme derrière des dessins enchanteurs 

Cette exposition au muséed’Israël dévoile un peu du mystère qui entoure la personnalité énigmatique d’Evaqui a toujours refusé de révéler son identité et s’est soustraite auxinterviews. L’exposition rend hommage à cette artiste du détail et révèle lamain qui a donné naissance à ces dessins enchanteurs, que les critiques del’époque avaient jugés simplistes et trop naïfs.

De nombreuses théories circulent pour expliquer les raisons qui ont poussél’artiste à garder l’anonymat. « Je pense que c’est en raison de sa grandemodestie », assure Granot.
« Toute le monde rêve de devenir célèbre un jour », ditelle, « eh bien pour unefois, avec Eva, c’était exactement le contraire ».
Pour Alouf, cette modestie est à mettre sur le compte de sa douloureuseexpérience de refugiée. Et le fait d’avoir été malmenée par ses précédentsemployeurs ne l’a pas encouragée non plus à dévoiler son identité. Ilana Alouf,l’épouse de Schlomo Alouf, qui travaille à ses côtés aux Editions Ofer,rappelle que c’était le choix d’Itzkowitz de ne pas signer ses illustrations.De son point de vue, c’est parce que pour l’artiste, « c’était trop s’exposer». Itwkozitz vit aujourd’hui à Ramat Gan. Bien qu’elle aime son travail, cellequi n’aurait jamais imaginé que l’on puisse un jour témoigner autant d’intérêtpour ses dessins, s’étonne de sa célébrité.
« Aujourd’hui elle est fière de ses livres », confie Ilana Alouf « et elleattendait l’ouverture de l’exposition au public, avec impatience ».
L’idéal pionnier en images 

Les ouvrages publiés par les Editions Ofer sontdevenus célèbres dans les années 1960-70, quand le ministre de l’Education lesa choisis pour les distribuer dans les jardins d’enfants et les maternelles dupays, tandis que l’Agence juive les diffusait dans les communautés de ladiaspora et que l’université Hébraïque les faisait connaître aux immigrants.

Le ministère de l’Education favorise encore aujourd’hui leur diffusion.
La maison d’édition Ofer s’est enrichie d’ouvrages nouveaux, livres de cuisineet de littérature notamment. Alouf édite sans cesse de nouvelles histoires pourenfants, illustrées par Eva, dont beaucoup sont traduites en arabe, pour dejeunes lecteurs de Jordanie et pour des arabes israéliens. Seul bémol à cefranc succès, ces histoires ne sont pas suffisamment connues des jeunes juifsde la diaspora. Certes, ces livres paraissent un peu désuets aujourd’hui. Maisils témoignent des préoccupations des nouveaux immigrants de l’époque.
Comment les premières générations de sionistes revenus sur leur terresouhaitaient préparer leurs enfants à jouer leur rôle dans la nouvelle sociétédans laquelle ils auraient à s’ancrer, et les initiaient aux spécificités deleur sexe.
Ils renseignent aussi sur la vision du monde extérieur, tel qu’il était perçu àl’époque. Ces histoires illustrent la famille idéale à des enfants, à l’âge oùleur univers se limite encore à la sphère familiale et les initie au rôle deparents modèles, qu’ils seront un jour. Dans Je travaille avec papa, un père defamille est représenté exerçant toutes sortes de métiers, comme pêcheur,docteur ou boulanger. Cela encourage les jeunes garçons à l’imiter dans cesdifférents rôles. « Mon père fait du pain et de délicieux gâteaux », peut-onlire dans une histoire, et « Moi aussi, je pétris la pâte pour cuire des petitspains ».
L’image du père, proposé comme modèle, est celui d’une virilité accomplie etépanouie, stéréotype parfait d’un homme qui prend son rôle d’homme et de père àcoeur.
Dans l’ouvrage Mon père, par exemple, l’homme est décrit comme aventureux ettrès actif. Il consacre beaucoup de temps à ses enfants, à l’extérieur de lamaison. Tandis que dans l’ouvrage Ma mère, qui lui fait pendant, la mère defamille est représentée exclusivement à la maison, occupée à cuisiner, éduquerses enfants ou encore à les prendre dans ses bras.
Les dessins d’Itzkowitz sont très lisibles et complémentaires du messagedélivré par le texte. Les visages des enfants sont angéliques. Ils ont debonnes joues et respirent la santé. Quant à leurs parents, ils sont grands,beaux, irradient l’harmonie et la santé, image qui communique aux lecteurs unevision rassurante de la vie. Les parents décrits par Itzkowitz sont les hérosd’un pays en train de naitre.
En quête d’identité nationale et culturelle, ils sont conscients et fiers deleurs traditions juives. L’image même de la réussite dans l’idéal pionnier. «Tout enfant rêve en grandissant de ressembler à ceux qu’il admire et cetteidentification est stimulée par les dessins de l’artiste », peut-on lire dansle prospectus qui guide le visiteur à travers l’exposition.
Des histoires de génération en génération 

Les enfants du monde raconte desanecdotes qui mettent en scène des enfants de tous horizons, dans leur viequotidienne ; Juan, le petit Mexicain, Heniusan, le petit Japonais, Carl enSuisse, ou encore un chinois Shin-Chon et bien d’autres encore. Chaque enfant estreprésenté dans son environnement naturel en costume traditionnel. L’objectifde cet opus est d’ouvrir une fenêtre sur le monde au petit israélien. LesEditions Ofer consacrent aussi quelques ouvrages à la création de l’État et sesfondamentaux et au judaïsme.

Dans le livre intitulé Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve, de Ofek, lesjeunes lecteurs apprennent tout de la vie et de la vision du père du sionismemoderne, Theodor Herzl. Et bien sûr, les Editions Ofer ne font pas l’impassesur l’histoire biblique. On y retrouve entre autres, l’incontournable récit del’Arche de Noé. Roi pour une journée raconte une enfance pas ordinaire,puisqu’il s’agit de celle du roi Salomon, lequel par sa sagesse, règle desconflits et rétablit la paix.
Ces livres contribuent à forger l’identité culturelle des jeunes lecteurs avecun narratif qui cherche à les enraciner et les relier historiquement à la terred’Israël. Ils les encouragent à être fiers de leurs racines et lesfamiliarisent avec les héros bibliques.
La boutique d’Alouf ne désemplit pas. Les clients lui font part de la joiequ’ils ont à partager ces histoires avec lesquelles ils ont grandi, avec leursenfants et leurs petits-enfants.
Rien ne pourrait faire davantage plaisir à Alouf, que ces confidences. Il sesouvient avec émotion d’un homme qui lui a dit un jour : « Je suis votre fils». Et c’est avec plaisir qu’il nous livre le mode d’emploi de son succès : «Des enfants bien élevés feront à leur tour des enfants bien élevés ». Cettelittérature continue d’inspirer des générations d’enfants, qui n’oublierontjamais le temps de l’innocence de leurs tendres années. Ils reflètent le visagedu sionisme moderne, de la culture juive et d’une nation de travailleurs.