Pourquoi Doha ?

Il est peu probable que l’accord de Doha mène à une unité palestinienne ou à la reprise des négociations avec Israël

doha (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)

Le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et le dirigeant du Hamas Khaled Mashaal viennent d’apposer leurs signatures au bas d’un document, nommant Abbas chef d’un futur gouvernement palestinien d’union provisoire. L’objectif : abattre les obstacles qui avaient empêché l’application de l’accord du Caire, pourtant conclu en mai dernier. Accord qui devait cimenter la réconciliation entre le Fatah et le Hamas. Le problème est que ces deux pactes sont incompatibles avec la nature et les objectifs des deux mouvements.

Depuis que le Hamas a remporté les élections générales palestiniennes de 2006, les deux factions ont été incapables de trouver un terrain d’entente, en dépit d’une série d’accords accompagnés de déclarations solennelles sur l’impératif d’une unité interne.
Le mouvement du Fatah, créé en 1965, bénéficie d’une confortable marge de contrôle dans toutes les institutions palestiniennes. Et occupe une position dominante au sein de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), reconnue par tous les Etats arabes comme seule représentante légitime du peuple palestinien.
Et pourtant, Abbas, également président de l’OLP, peine de plus en plus à neutraliser les tentatives d’intrusion du Hamas.
Le Hamas, pour sa part, rêve de prendre le contrôle de l’Autorité palestinienne avant de réaliser son objectif principal : détruire l’Etat d’Israël et établir un régime islamique sur les ruines de ce qu’il appelle “l’entité sioniste”. Son coup d’État militaire à Gaza en 2007 et l’expulsion des représentants du Fatah et de l’Autorité palestinienne n’étaient que la première étape de son plan.
Puis, le Hamas a lancé une opération clandestine en Judée-Samarie pour y implanter des cellules locales. A présent, désireux de remporter les prochaines élections au parlement et à la présidence, il s’est vu contraint de modérer ses attaques et de patienter pour prendre le dessus via processus électoral.
Sujets sensibles

 

L’accord du Caire avait omis deux questions clés : les relations avec Israël et le retour des forces de sécurité du Hamas à sous l’autorité du gouvernement central à Ramallah. Le document de Doha lui aussi évite ces sujets. C’est pourquoi il est peu probable qu’il mène à une unité palestinienne ou à la reprise des négociations avec Israël. reste une entité séparée et Israël n’entamera pas de négociations avec un gouvernement palestinien constitué d’une organisation qui proclame ouvertement son intention de le détruire.

Théoriquement, le document de offre une solution au problème de l’accord du Caire. Abbas voulait que Salam Fayyad, qui a fait des merveilles pour l’économie et jouit d’une grande popularité auprès des pays occidentaux généreux donateurs de l’Autorité palestinienne, dirige le gouvernement conjoint. Mais le Hamas s’y est opposé vigoureusement, car Fayyad a tenté d’avorter ses tentatives clandestines d’infiltrer la Judée-Samarie.
Abbas est ainsi censé diriger le gouvernement provisoire conjoint jusqu’aux élections, qui doivent être reportées, probablement jusqu’à la fin de l’année.
Selon l’accord, l’OLP subira des changements de manière à ce que des représentants du Hamas puissent rejoindre son commandement. Mais cela ne se fera sans doute pas avant les élections de la Convention nationale palestinienne, ce qui convient parfaitement au Fatah, peu pressé de voir son ennemi juré entrer son fief.
Non pas que le Hamas ne soit de tout coeur derrière l’accord. Selon les médias palestiniens, les dirigeants du Hamas à Gaza - absents à Doha - s’y opposent, du fait que le chef de l’Autorité palestinienne, déjà à la tête du Fatah et de l’OLP, présidera aussi le nouveau gouvernement, ce qui lui conférera des pouvoirs extraordinaires. Selon eux, la nomination d’Abbas en tant que chef du gouvernement violerait la loi fondamentale de l’Autorité palestinienne. Ce qui est assez vrai, mais le règne du Hamas à est une violation encore plus grande de la loi.
Le mandat d’Abbas en tant que président a expiré en janvier 2009, mais après avoir perdu le contrôle de la bande de , il a prudemment reporté les élections. Le mandat du parlement a expiré en février 2010 et les élections ont aussi été reportées en raison du conflit entre Ramallah et .
Alors comment expliquer pourquoi le Fatah et le Hamas ont signé à ? Le Hamas se satisfait d’un accord qui le déclare souverain de la bande de Gaza et de ses forces de sécurité tout en le laissant s’infiltrer au sein de l’OLP en vue de s’emparer de la Judée-Samarie. Le Hamas ne s’encombre pas à essayer de cacher son véritable objectif. Ismaïl Haniyeh, qui dirige le régime de la faction à , a récemment payé une visite à Téhéran où il a réitéré son intention de détruire Israël.
Qu’est-ce qu’Abbas gagne ? Rien n’est moins clair. Peut-être espère-t-il que l’Union européenne et les États-Unis gobent la fiction d’une véritable unité palestinienne et fassent pression sur Israël pour de plus importantes concessions.
Jusqu’à présent, les réactions internationales à l’accord de ont été discrètes. Selon l’Union européenne à Bruxelles, s’il s’agit d’une affaire purement palestinienne, l’UE y voit une étape importante vers la création d’un Etat palestinien. D’après un porte-parole du Département d’Etat américain, l’administration américaine s’attend à ce que tout gouvernement palestinien reconnaisse Israël d’abord et avant tout.
Techniquement, le gouvernement américain ne peut porter assistance au Hamas, qui est une organisation terroriste. Et difficile de savoir comment Abbas contournera ce problème. Une explication possible : le dirigeant palestinien a été incapable de résister à la pression de l’émir du et l’un des plus grands bienfaiteurs de l’Autorité palestinienne.
Depuis un certain temps, Abbas avait déclaré qu’il ne concourrait par pour la présidence. Mais le conseil du Fatah vient de le désigner comme son candidat lors des futures présidentielles. Abbas, 76 ans, doit maintenant faire connaître sa décision.
Il ne faut pas oublier qu’il avait refusé les propositions très équitables du gouvernement d’Ehoud Olmert : la création d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale (comme Ehoud Barak l’avait proposé quelques années auparavant) et un échange de territoires. Son refus faire des concessions et le durcissement de sa position dans les négociations avec le gouvernement Netanyahou ont peut-être mis fin à tout espoir de négociations fructueuses entre l’Autorité palestinienne et Israël dans un avenir proche.
Abbas laisse donc à son successeur un héritage empoisonné : le risque d’une banqueroute financière, un accord douteux avec le Hamas qui, si appliqué, portera un coup fatal au Fatah et l’Autorité palestinienne et aucun espoir de percée avec Israël.

 

L’auteur est un ancien ambassadeur en Egypte et chercheur au Centre de Jérusalem pour les Affaires publiques.