L’« Affaire » Israël

Chaque année on célèbre en Israël avec beaucoup de ferveur le mois de la francophonie. Ces événements, organisés par l’ambassade de France et ses services culturels, se déroulent dans tout le pays, et nombreuses et diverses sont les manifestations culturelles présentées

Fête de la francophonie à Yafo (photo credit: ANTOINE REGEARD)
Fête de la francophonie à Yafo
(photo credit: ANTOINE REGEARD)

Je suis allé à l’une d’entre elles, à l’université de Tel-Aviv, à un colloque sur l’Affaire Dreyfus ; lors d’un des débats, à la question d’un participant « Comment se fait-il que vous fêtez ici la francophonie, alors qu’Israël n’en fait pas partie ? », la conférencière répondit « C’est certes vrai, mais nous, nous tenons à célébrer la francophonie ». Dans cette esquive, se résume tout le problème – qui est très loin de l’Affaire Dreyfus – mais qui n’en demeure pas moins une véritable « Affaire » : la non-admission d’Israël dans la francophonie.

Pour ma part, je n’ai pas demandé à naître francophone, mais je le suis, et en suis fier et heureux. Comment, dès lors, peut-on me contester cette partie intrinsèque de mon identité culturelle ? C’est pourtant ce qu’a fait la communauté francophone, qui ne reconnaît ni mon existence, ni celle de six cent mille francophones (selon les pessimistes) ou d’un million (selon les optimistes) d’Israéliens.
La francophonie est devenue un microcosme de la société israélienne, une passerelle entre les différentes perspectives culturelles : de la baguette – qui a supplanté le pain traditionnel la pita – au croissant, du succès des voitures françaises à l’engouement pour les chansons de Patricia Kaas et de Michel Jonasz, des films de Matthieu Kassovitz à ceux de François Truffaut. Il faut au passage féliciter l’ambassade de France qui organise depuis plusieurs années un festival du film français, dont le succès va sans cesse grandissant. Sans parler du millier de livres traduits du français à l’hébreu : d’Amin Maalouf à Marguerite Duras, de Daniel Pennac à Fernand Braudel, d’Emmanuel Lévinas à Albert Memmi.
Enfin, on constate que la France est, pour les touristes israéliens, la troisième destination, et que, proportionnellement à la population, c’est avec Israël que les villes françaises ont conclu le plus d’accords de jumelage.

Alors pourquoi cette absurdité ?

C’est que l’une des règles de fonctionnement de la francophonie est celle de l’unanimité, laquelle est incompréhensible et anachronique. Donner en effet à un seul pays – le Liban – le pouvoir de refuser l’admission d’un autre pays – Israël – présentant toutes les caractéristiques nécessaires, et qui constituerait un atout réel et majeur dans cette région du monde, constitue non seulement la preuve d’une courte vue, mais oublie également les leçons de l’Histoire.

Il est navrant et décevant de se rendre compte que cette législation ne gêne aucun des Etats et aucun des gouvernements, membres de la francophonie.
Que penser de ce parti pris constant, de cette hostilité à Israël, contraire à l’esprit de Montesquieu ? Alors pourquoi refuser d’offrir cette extraordinaire opportunité de faire valoir ses racines francophones à une population qui risque de les oublier dans une génération ? Quel espoir peut-il y avoir pour ce véritable vivier de perdurer, alors que l’anglais vient immanquablement occuper le terrain perdu ?
En conclusion, je dirais avec Vladimir Jankelevitch : « Il faut commencer par le commencement et le commencement de tout, c’est le courage ». A tous ceux qui diront « ce n’est pas le moment », il faut répondre « en Histoire ce n’est jamais le moment ». Est-il besoin de répéter que l’entrée d’Israël dans la francophonie rendra possible un dialogue des cultures d’Orient et d’Occident, du Nord et du Sud, et contribuera à un dialogue judéo-arabe plus fécond ?
Je crois que j’aurais renoncé à mon interpellation – moi à qui la France avait fini par faire croire que mes ancêtres étaient des Gaulois – s’il se trouvait un seul autre pays lésé par une telle décision. Le débat autour de la francophonie – qui est pour nous autres, Israéliens, une véritable aventure spirituelle – est assuré par une longue histoire. 

Claude Sitbon est sociologue et spécialiste du judaïsme tunisien. 

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