La Traviata dans le désert

L’Opéra israélien rempile pour une 4e édition de son festival Massada en montant Verdi. Superproduction garantie.

P19 JFR 370 (photo credit: Yossi Zwecker)
P19 JFR 370
(photo credit: Yossi Zwecker)

Les camélias pousseront-ils dans le désert ? Pour saquatrième édition, le festival musical de Massada monte La Traviata. L’opéra deVerdi, dont le livret est une reprise de La Dame aux camélias, signée AlexandreDumas fils, occasionnera une mise en scène foisonnante d’un Paris « à laMoulin Rouge ». Quatre représentations sont prévues en juin 2014. Lesbillets du festival ont été mis en vente cette semaine. Entre autres auprogramme : un concert d’Idan Raichel et une représentation de l’Orchestrephilharmonique israélien – première collaboration du genre avec l’Opéra.

Monter un opéra dans le désert… Derrière ce projetmajestueux, il y a 1,55 m de boucles blondes. Ne vous y trompez pas, lapétillante Hannah Munitz, directrice générale de l’Opéra israélien, est unbulldozer. Lors de l’événement de lancement, tous les acteurs du projet, duministère du Tourisme au Conseil régional de la mer Morte en passant par lacompagnie aérienne Arkia et l’organisation KKL, sont venus saluer cette énergiedébordante qui, en 2010, a permis de monter pour la première fois un opéra surun de ces lieux clefs dans l’histoire du judaïsme, le fort de Massada. Lesparallèles avec l’héroïsme exalté des habitants de la forteresse – ilspréféreront se donner la mort plutôt que se rendre aux Romains – ont accompagnétoute la genèse du festival, et ne manquent pas d’être rappelées à chaqueexploit renouvelé.

L’opéra voit grand

Car il s’agit bien d’un exploit. Nabucco en 2010 ;Aïda en 2011 ; Carmen en 2012 ; La Traviata en 2014. VéritablesOlympiades de l’opéra, ces éditions monstres alignent des chiffres records.7 500 spectateurs, 900 artistes sur scène, 2 500 emplois, 80 tonnesd’équipements, 3 500 mètres carrés d’espace scénique. Le tout dans desconditions acoustiques d’une particulière qualité. Pas étonnant, à ce compte,que le festival ait acquis une renommée internationale. Sur les quelque60 000 spectateurs de Carmen, près de 10 000 venaient de l’étranger.Ils étaient accompagnés par des dizaines de journalistes, venus étudier de prèsce nouveau phénomène musical.

Les retombées économiques sont, elles aussi,gigantesques. En 2012, le festival a généré 80 millions de shekels derevenus à l’Etat. « Nous sommes la seule institution culturelleisraélienne à ne générer aucun déficit », se félicite Munitz. « Notrebut n’est pas lucratif, mais au moins de s’assurer qu’il n’y ait pas de pertes.C’est d’ailleurs pourquoi nous n’avons pas eu d’édition 2013. Nous craignionsde ne pas rentrer dans nos fonds ». Pas d’inquiétude cependant pour cetteTraviata à venir, la machine publicitaire tourne à fond. Tout a été fait pourrendre l’édition 2014 la plus attractive possible.

A commencer par l’opéra lui-même, culte parmi les cultes.La Traviata (« la dépravée », en italien dans le texte) a été crééepour la première fois en 1853 à Venise. En séjour à Paris l’hiver précédent,Giuseppe Verdi avait assisté, captivé, à une représentation de La Dame auxcamélias, une pièce tirée du roman éponyme d’Alexandre Dumas fils. Eperdu detristesse, le rejeton du célèbre auteur des Trois Mousquetaires avait à sontour pris la plume pour raconter son histoire d’amour avec Marie Duplessis,morte à 23 ans. Dans le roman, Armand Duval, un fils de la bonne bourgeoisie,tombe fou amoureux de Marguerite Gauthier, une courtisane atteinte detuberculose que retrouve l’innocence en compagnie de son jeune amant. Las, lafamille de celui-ci est intraitable et demande à Marguerite de rompre avecArmand, par respect pour son avenir prometteur. Ce qu’elle fera sans lui enfournir le motif, avant de mourir, consumée par la maladie et le chagrin.

Chez Verdi, Marie deviendra Violetta Valéry. Après desdébuts difficiles, l’œuvre est vite appréciée à sa juste valeur. Elle compteaujourd’hui parmi celles les plus jouées au monde, et a connu les mémorablesinterprétations de Maria Callas et Renata Scotto.

Alors, quel rapport entre Violetta et Massada 2014 ?La solitude, répond, imperturbable, Michal Znaniecki. Le metteur en scènepolonais, aujourd’hui directeur du Grand Théâtre de Poznan, en Pologne, a déjàimaginé des dizaines de créations d’opéras de par l’Europe. Pour sa Traviata,la solitude du désert contrastera avec l’extravagance de « l’ère de lacrinoline » et du « Paris du Moulin Rouge », avec tout sonimaginaire chargé et érotique. Le paradoxe doit représenter la solitudeintérieure de Violetta, courtisane la plus célébrée de la capitale, qui meurtcependant seule et abandonnée par son amant.

Côté distribution, on retrouvera les sopranos romainesElena Mosuc et Aurelia Florian dans le rôle de la prima donna et les ténorsespagnol et français Celso Albelo et Jean-François Borras dans celui d’Alfredo.C’est l’Israélien Daniel Oren, connu pour sa fougue, qui dirigera l’orchestre.

Le désert s’anime

Le festival profite à toutes les branches du tourisme,des grands hôtels de la mer Morte, en passant par les campings et autres chambresd’hôtes de la région. Mieux : les touristes venus de l’étranger, quipassent en général quelques jours supplémentaires en Israël, ont dépensé plusde 400 000 euros dans le pays lors de la dernière édition. Lacompagnie aérienne Arkia, qui fait partie des sponsors de l’événement, y gagneen forfaits tout compris et autres vols à prix réduits. Surtout avec cefestival, et tous les acteurs du projet le répètent inlassablement, cequ’Israël gagne, c’est une image de marque rehaussée, celle d’un petit Etat duProche-Orient capable de monter avec succès l’un des chefs-d’œuvre de laculture occidentale, dans un des lieux clefs de son propre patrimoine. Oucomment réaffirmer son appartenance au continent européen…

On comprend mieux pourquoi le ministère du Tourisme songedésormais à installer une scène permanente à Massada, afin d’y produired’autres spectacles. Et surtout pourquoi les uns et les autres évoquent unsionisme d’un nouveau genre. Une irrigation musicale du désert en quelquesorte. Une énième façon, après Ben Gourion, les kibboutzim et les start-up, defaire jaillir la prospérité d’un sol aride. D’ailleurs le spot publicitaire del’événement est un hilarant montage d’animaux du désert s’égosillant sur lesairs les plus connus de Verdi.

Reste un bémol : une distribution qui ne fait pas lapart belle aux chanteurs israéliens. Pour Carmen, le festival avait étél’occasion d’une nouvelle prouesse comme il sait tant en générer : leremplacement à la dernière minute de la soliste italienne Anna Malavasi par lajeune israélienne Naama Goldman qui, par miracle, connaissait le rôle sansl’avoir jamais répété sur scène. Appelée au deuxième acte alors que la divas’était fait une extinction de voix, elle a su s’en tirer majestueusement avecdes honneurs. Au point que certains ont persiflé qu’il aurait mieux valu lachoisir d’emblée, mettre en valeur les espoirs naissants de l’opéra israélien,plutôt que de se contenter d’une artiste étrangère plutôt moyenne. Le messagene semble pas encore être passé pour cette Traviata, qui laisse, malgré tout,les seconds rôles aux noms hébraïques. Le public, lui, ne devrait par contrepas bouder son plaisir.

© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite