La saga du shekel

Le prix spectaculaire pour une pièce d’un shekel a causé un remue- ménage parmi les numismates

shekel (photo credit: DR)
shekel
(photo credit: DR)
Début mars, le journal de l’Autorité palestinienne Al-Hayat Al-Jadida (la nouvelle vie), publié à Ramallah annonçait la tenue d’une vente aux enchères, à New York. Une “ancienne pièce palestinienne” devait être mise en vente pour un million de dollars.
Quelques jours plus tard, le 8 mars, la vente avait effet bien lieu et la pièce s’était échangée pour un prix record de 1.105.375 dollars. Il s’agit d’une pièce d’argent datant de 66, année de la première révolte juive contre les Romains. Elle avait été frappée par les rebelles juifs pour symboliser leur indépendance face au gouvernement romain.
Dans ce cas, pourquoi le journal palestinien a-t-il fait référence à une pièce palestinienne ? Et quelle explication donner au prix spectaculaire qu’un collectionneur a été prêt à débourser pour une simple et unique pièce ? Le prix record a fait grand vacarme à l’échelle mondiale sur le marché des antiquités et des numismates. Tout particulièrement auprès des numismates spécialistes de monnaie juive.
La tentative palestinienne de s’approprier symboliquement l’histoire ancienne de la Terre d’Israël n’est pas nouvelle. Les Palestiniens se perçoivent comme les descendants et les héritiers des Cananéens, les maîtres de la terre dans l’Antiquité. Une institution culturelle palestinienne, par exemple, se prénomme “Jebus” en référence au nom donné par les Cananéens à la ville de Jérusalem.
Feu Yasser Arafat a lui-même souvent prétendu que Jésus de Nazareth était en réalité palestinien.
Il faut dire que la foi islamique, laquelle respecte le judaïsme et la chrétienté, autorise les régimes arabes à se présenter comme représentants de la culture du passé dans leur pays.
Il existe de nombreux exemples.Comme au Liban, où nombre de Chrétiens maronites se considèrent comme successeurs des anciens Phéniciens. En Egypte, il existe des initiatives, à intervalles réguliers, pour préserver et cultiver l’héritage pharaonique plutôt que l’héritage arabe.
Dans l’Irak de Saddam Hussein, le parlement à Bagdad portait le nom de “Hall Hammurabi” en référence à l’ancien législateur babylonien. A Tunis, des efforts sont entrepris pour préserver la tradition de Carthage. Et d’autres exemples pourraient être cités en ce qui concerne la Syrie et la Jordanie.
Mais hormis les Juifs, il n’existe plus aucun peuple antique dans la région pour se plaindre de cette attitude arabe.
Les pièces ont la cote
En Israël, l’archéologie a, dès ses débuts, fait partie de l’ethos du sionisme, de même qu’elle a évolué d’une science populaire vers une sorte de rituel sacré.
Des centaines de collectionneurs d’antiquités sont actifs en Israël, des dizaines de petits musées ont été créés par les kibboutzim et dans des habitations privées. Les congrès sur les antiquités et les visites archéologiques sont pris d’assaut par le public.
Mais l’un des objets favoris des collectionneurs reste les pièces de monnaie. Tout particulièrement, les pièces datant de la Grande Révolte de 66-70 qui s’est achevée avec la destruction du Temple, ou les pièces de la révolte de Bar Kohba en 132-135 laquelle s’est achevée en désastre et avec l’exil.
Dans la mesure où j’ai moi-même collectionné par le passé des pièces datant des révoltes contre les Romains, je peux certifier que cela est vraiment passionnant de tenir entre ses mains un large et lourd shekel d’argent, symbole de libération du joug du gouvernement romain. Sa taille est proche d’une pièce de 25 cents américains ou de la pièce moderne israélienne d’un demi-shekel.
La Grande Révolte a duré 5 ans jusqu’à la destruction et les pièces marquent la première, deuxième, troisième, quatrième ou cinquième année de la révolte. Elles sont faites à partir d’argent pur, d’après le commandement biblique qui ordonne de payer un demi-shekel d’argent comme taxe annuelle au Temple.
Bien que durant la période du Second Temple l’écriture assyrienne carrée, toujours utilisée aujourd’hui quand on écrit en hébreu, était déjà largement utilisée, les shekels sont marqués de l’écriture hébraïque ancienne datant de la période du Second Temple, qui ressemble à l’alphabet phénicien, et connue sous le nom de “paléo-hébreu”.
Le shekel moderne inclut également une inscription à trois lettres en paléo-hébreu qui se lit “yahad” avec pour signification “Judée”. C’est une référence à la première pièce de monnaie juive datant de l’époque d’Ezra le scribe et du Retour à Sion après l’exil babylonien. Aussi, il s’agit d’un rappel de l’écriture ancienne du temps des rois de la Maison de David.
Année par année
La première année de la révolte, en 66, a été relativement courte, mais les rebelles ont réussi à frapper un grand nombre de shekels. Pour cette raison, un shekel de l’An 1 s’échange aujourd’hui pour quelque 8 000 dollars, en fonction de son état de conservation.
Les shekels de l’An 2 et 3, années durant où la révolte a atteint son apogée, ont été retrouvés en masse et pour cette raison valent en moyenne 6 000 dollars. En comparaison avec ces derniers, le shekel de l’an 4 est plutôt précieux puisqu’il a été frappé vers la fin de la révolte. Il peut rapporter jusqu’à 20 000 dollars.
Les shekels de l’an 5 se font encore plus rares puisqu’ils ont été frappés seulement pendant quelques mois alors que Jérusalem était déjà en état de siège. Par exemple, trois pièces de ce genre ont été découvertes à Massada où les derniers rebelles qui fuyaient Jérusalem ont mené leur dernier combat.
Dans le monde, on connaît l’existence d’un total de 13 shekels de l’An 5. La plupart appartiennent à des musées et des institutions chrétiennes à Jérusalem ou à la Banque de la collection d’Israël. Deux ou trois shekels seulement datant de l’an 5 ont été cédés lors de ventes privées dont l’un d’entre eux a été vendu, il y a quelques années, pour la somme de 200 000 dollars.
Quelques shekels supplémentaires de la même année ont refait surface et quand bien même ils pourraient être faux, ils se sont vendus eux aussi à des prix élevés.
Une pièce unique
Le shekel qui a été vendu dernièrement à New York date de la première année de la révolte. Néanmoins, il est unique dans le sens où il possède un ornement qui n’apparaît pas sur les autres shekels. Il n’ existe qu’un seul autre exemplaire similaire, qui fait partie de la collection du musée d’Israël.
Il paraîtrait qu’il s’agirait d’un motif ancien des shekels de la Grande Révolte. Tant que ce shekel était unique, il était estimable et n’avait fait l’objet d’aucune vente. Mais maintenant qu’une copie conforme existe, le deuxième exemplaire, a été mis en vente après avoir été évalué au remarquable prix de 1,1 million de dollars.
Enfant, j’allais souvent sur les collines autour des murs de la Vieille Ville dans l’espoir de trouver de vieux shekels.
Le moment propice : juste après une averse. Il faut alors rechercher les pièces là où l’eau ruisselle en bas de la colline, endroit privilégié pour repérer les taches circulaires des shekels de la période du bronze ancien, alors mises au jour par la pluie.
Je n’ai jamais trouvé aucun ancien shekel, ni nouveau d’ailleurs. Pourtant j’ai bien découvert quelques piécettes datant de la période hasmonéenne, avec lesquelles j’ai commencé une petite collection. Puis, j’ai acheté quelques shekels anciens à un marchand d’antiquités palestinien.
J’ai fini par vendre ma collection sous la pression de mon entourage qui prétendait que de nouveaux shekels provenant de l’Etat d’Israël sont préférables à des pièces juives anciennes. Ces mêmes pièces que les Palestiniens veulent maintenant présenter comme étant les leurs.