C’était bien le Hezbollah…

Après 7 mois d’enquête, les autorités bulgares concluent à la responsabilité du mouvement islamiste libanais dans l’attentat du 18 juillet à Burgas.

Burgas Memorial (R370) (photo credit: REUTERS/Stoyan Nenov)
Burgas Memorial (R370)
(photo credit: REUTERS/Stoyan Nenov)
Confirmation.Le ministre de l’Intérieur bulgare Tsvetan Tsvetanov a déclaré le 5 février quedeux individus, liés au groupe armé Hezbollah, étaient impliqués dans l’attaquedu bus à la station balnéaire de Burgas en Bulgarie, en juillet dernier. CinqIsraéliens ainsi qu’un Bulgare y avaient trouvé la mort. Ces deux hommespossédaient de faux passeports d’Australie et du Canada.
« Nous avons établi que les deux suspects sont membres de la branche armée duHezbollah », a déclaré Tsvetanov à la presse.
« Nous avons des données montrant le financement et le lien au Hezbollah desdeux suspects. » Selon le ministre, les deux hommes sont arrivés en Bulgarie le28 juin où ils sont restés jusqu’au 18 juillet 2012. Ils ont tous deux vécu auLiban de 2006 à 2010. Leurs faux permis de conduire ont été « fabriqués auLiban » a fait savoir le ministre ; la Bulgarie a pu collecter les preuves deleur voyage depuis le Liban jusqu’en Europe.
Tsvetanov a remercié le gouvernement israélien de son soutien au cours del’enquête. L’Etat hébreu, a-t-il déclaré, a fourni « d’importantes expertises »pour identifier les faux documents employés par les terroristes. Ce sontnotamment des taches de sang sur un permis de conduire prétendument délivrédans l’Etat de Michigan aux Etats-Unis qui a permis de faire lien avec lesuspect.
Le Premier ministre Binyamin Netanyahou a réagi aux résultats de l’enquête enappelant l’Union européenne à en tirer « les conclusions nécessaires ». Israëltente en vain de convaincre l’Union européenne de placer le Hezbollah sur laliste des organisations terroristes, depuis près de 20 ans.
Selon un communiqué de Netanyahou, ces nouveaux éléments confirmaient ce quel’Etat hébreu savait depuis longtemps, à savoir que « le Hezbollah et sonmécène, l’Iran, sont lancés dans une guerre de terrorisme qui dépasse lesfrontières et les continents ». Et l’attaque en Bulgarie figurait parmid’autres attentats que l’Iran et le Hezbollah ont planifiés et menés, comme enThaïlande, au Kenya, en Turquie, en Inde, en Azerbaïdjan, à Chypre et enGéorgie.
« Tout cela survient en parallèle du soutien mortifère du Hezbollah et del’Iran au régime assassin d’Assad en Syrie », ajouté le Premier ministre avantde conclure : « L’attaque de Burgas était une attaque sur le sol européen,contre un pays européen. Nous espérons que les Européens en tireront lesconclusions nécessaires quant à la nature véritable du Hezbollah ».
Netanyahou a remercié les Bulgares pour leur enquête « rigoureuse etprofessionnelle » au sujet de l’attentat.
L’exception qui confirme la règle 
Les conclusions de l’enquête bulgare pointent la responsabilitédu Hezbollah dans l’attentat de Burgas et, pourtant, le groupe armé libanais nesera sans doute pas inscrit sur la liste européenne des organisationsterroristes. En toute logique, on aurait pu penser qu’attraper, littéralementla main dans le sac, un mouvement en train de mener un attentat sur un solétranger, attentat qui a fait 6 morts, 5 Israéliens et 1 Bulgare, suffirait àle qualifier de terroriste.
Mais le groupe armé doit être sans doute l’exception qui confirme la règle del’Union européenne.
Pour preuve, d’après la déclaration du mois dernier de Gilles de Kerchove, hautfonctionnaire européen, coordinateur de la lutte contre le terrorisme, laresponsabilité de l’attentat ne qualifie pas automatiquement le Hezbollah pourla fameuse « liste noire ». « Il n’y a pas de listage automatique à la secondeoù vous avez été impliqués dans une attaque terroriste », a-t-il indiqué. Car,a continué de Kerchove, « il n’y a pas seulement le facteur juridique, maisaussi le message politique en fonction du contexte et du timing ».
C’est donc là que le bât blesse.
Certains acteurs clefs de l’UE, dont la France et l’Allemagne, s’opposent àl’inscription du Hezbollah sur la liste depuis plus de 20 ans. Une donnée quele rapport bulgare ne devrait pas pour autant modifier.
Comme l’a expliqué de Kerchove : « On peut se demander, vu la situation duLiban, qui est un pays très fragile, très fragmenté : ce listage va-t-il nousamener là où nous le souhaitons ? » La question va en effet se poser au sein del’Union, en particulier du côté de l’Hexagone qui craint de perdre soninfluence à Beyrouth. Car, avancent certains, une initiative européenne de cegenre pourrait aboutir à la sortie du Hezbollah du gouvernement libanais, cequi déstabiliserait largement un pays déjà instable en ces temps dangereux.
En réalité, les preuves n’ont jamais manqué pour faire placer le Hezbollah surcette liste. Les Etats-Unis, rejoignant Israël, l’ont fait depuis de nombreusesannées et les Européens n’ont pas besoin de l’enquête de Burgas pour savoir quele mouvement est bien davantage qu’un parti politique.
En réalité, depuis les attentats jumeaux d’Argentine, au début des années 1990,l’implication du Hezbollah dans le terrorisme mondial est amplement démontrée.
Mais l’Union européenne choisit malgré tout depuis des années de détourner lesyeux. Non pas à cause du manque de preuves, mais bien en raison d’intérêts etde considérations politiques de certains membres de l’Union. Des intérêts etdes considérations qui ne changeront pas en vertu de l’enquête de Burgas.
La « bonne » branche ou la « mauvaise » ?
En quoi consistent-ils ? Pourcertains, ils sont économiques : certaines capitales craignent qu’une telleinitiative ne froisse une partie de ce monde arabe qui investit dans sesmarchés. D’autres ont peur de « provoquer » le Hezbollah, et craignent desreprésailles sur leur propre sol ou à l’encontre de leurs ressortissants.
A noter cependant qu’il existe des divergences parmi les 27. Les Pays-Bas, parexemple, ont placé le groupe terroriste sur leur liste, tandis que laGrande-Bretagne y a placé la branche armée du mouvement. Mais c’est précisémentcontre ce phénomène – qui consiste à séparer la branche armée de la branchepolitique du Hezbollah – que s’est élevé le Premier ministre BinyaminNetanyahou lorsqu’il a affirmé en commentant les conclusions de l’enquêtebulgare : « Il n’y a qu’un seul Hezbollah, une seule organisation et une seuledirection ».
Quant aux Bulgares, ils ont peut-être laissé le champ libre à ce type dedistinguo en affirmant justement dans la conclusion officielle de l’enquêtequ’au moins deux des suspects impliqués dans l’attaque « appartiennent à labranche armée du Hezbollah ». Ce qui conférerait une porte de sortieconfortable à l’UE. Mais demeurerait, évidemment, une solution partielle.
Comme le rapportait le New York Times du 5 février, le Hezbollah dispose demilliers d’agents et de soutiens, dont la tâche consiste notamment à lever desfonds aux quatre coins de l’Europe. Qualifier sa branche armée de terroristen’entravera que très légèrement ces collectes d’argent puisque ces mêmes agentspourront toujours dire qu’ils le font au nom de la « bonne » branche dumouvement libanais.
Le week-end du 9 février, les ministres européens des Affaires étrangères sesont réunis à Bruxelles pour un séminaire de travail. Et devaient évoquer,entre autres, les conclusions bulgares. Mais la chef de la diplomatieeuropéenne Catherine Ashton a tenu à minimiser les attentes concernant uneéventuelle mise au ban du Hezbollah, tandis qu’un autre haut fonctionnaire aaffirmé que « c’est déjà une très bonne chose d’en parler ».
Quant au président François Hollande, il a déclaré au président du Congrès juifmondial Ronald Lauder, reçu mercredi 6 février à l’Elysée, que « la Franceallait étudier les preuves assemblées par l’enquête bulgare » avant de prendreune décision. D’ici là, les dirigeants du Hezbollah peuvent dormir sur leursdeux oreilles…