Tranchées d’histoire

Le 5 juin 1967 éclatait la guerre des Six Jours. 45 ans plus tard, une visite au site de la Colline des Munitions permet de revivre l’une des plus célèbres, et des plus sanglantes, batailles pour Jérusalem

Hommage aux soldats tombés durant l’opération (photo credit: © Shmuel Bar-Am)
Hommage aux soldats tombés durant l’opération
(photo credit: © Shmuel Bar-Am)

17 heures précises, le 20 février. Le drapeau israélienflotte fièrement sur la Colline des Munitions. D’anciens paras qui ont combattusur les lieux, et les enfants de leurs camarades tombés en mission, sontréunis. Ils ont décidé de marcher jusqu’à la résidence du Premier ministre,munis du précieux étendard bleu et blanc. Ils verrouillent les portes duMémorial derrière eux, probablement pour la dernière fois. La raison ? Lemanque d’argent dans les caisses, pour maintenir ce symbole national del’héroïsme sous le feu.

Les problèmes financiers ont commencé environ deux ans auparavant.
Quand la direction de la Colline des Munitions est contrainte de cesser defacturer un droit d’entrée à ses visiteurs. Le site, qui appartient au Mémorialnational, se fait l’hôte de la cérémonie principale de Jérusalem, le jour decommémoration des soldats tombés pour la ville, durant la Guerre des Six jours.D’après la loi, même s’il s’agit de sites touristiques majeurs, au même titrequ’un musée, et qui réclament beaucoup d’entretien, certains lieuxcommémoratifs doivent rester libres d’accès au public.
Immédiatement, le nombre de visiteurs a doublé. Mais si le ministre de laDéfense a promis d’assurer un financement suffisant au fonctionnement du lieu,les subventions n’ont jamais été versées. “Le moment est arrivé où la Collinedes Munitions n’a tout simplement plus les fonds nécessaires pour garder sesportes ouvertes”, déplore son directeur, Katriel Maoz.
Lorsque les médias ont annoncé que la Colline des Munitions allait fermer le 20février, Maoz a commencé à recevoir des appels téléphoniques frénétiques. Parmieux : celui du bureau du Premier ministre, Binyamin Netanyahou, qui prie Maozd’annuler ses projets de fermeture. “Une réunion sur l’avenir du site doit setenir l’après-midi même”, lui promet-on.
Le directeur assiste à la rencontre avec les ministres du gouvernement et uneassemblée de différents représentants. Lorsqu’il est assuré d’un engagement definancement solide, Maoz appelle les manifestants et leur indique qu’ilspeuvent cesser leurs actions.
Cette nuit-là, sur la Colline des Munitions, le drapeau est hissé une fois deplus.
Que représente véritablement la Colline des Munitions ? Et pourquoi l’annoncede sa fermeture a-t-elle provoqué un tel vent de panique dans les rangs desdirigeants ? Réponses le temps d’une visite...
Guerre éclair

Au début du Mandat britannique (1920- 1948), les dirigeantsde la Palestinecréent une école pour les officiers de police dans le nord de Jérusalem. Lesgrottes naturelles et la profondeur de la crête adjacente constituent l’endroitidéal pour stocker des munitions, et le site est rapidement connu sous le nomde Colline des Munitions.

Au départ des Britanniques, à la mi-mai 1948, les forces jordaniennes font laconquête de l’endroit et le transforment en une puissante position militaire.Leurs fortifications sont fantastiques, protégées par des bunkers, destranchées, des mitrailleuses lourdes - les meilleures de la Légion jordanienne- et une unité bédouine hautement qualifiée.
La tension constante entre Israël et les pays arabes voisins atteint son apogéeen 1967.
L’Egypte et la Syrie ont intensifié leur bellicisme à la fin du mois de mai, etles efforts diplomatiques internationaux pour prévenir une confrontation sesont avérés vains.
Pour éviter d’être pris par surprise - ce qui arrivera malheureusement six ansplus tard, en 1973 - Israël décide de provoquer le conflit.
Et lancent des frappes préventives pour tenter de neutraliser les capacitésaériennes égyptiennes et syriennes.
Elles débutent à l’aube du 5 juin, et en l’espace de quelques heures l’aviationarabe s’écroule.
L’Etat hébreu a exhorté à maintes reprises la Jordanie à rester en dehors del’affrontement, sans succès. Le Royaume hachémite se jette dans la mêlée dès lepremier jour de la guerre des Six Jours, avec des tirs massifs sur lesquartiers de Jérusalem et ses positions militaires.
En début de soirée du 5 juin 1967, les parachutistes sont envoyés à Jérusalem.Ceux qui sont dépêchés à la Colline des Munitions sont emplis d’une missionclaire : attaquer l’école de police et prendre le contrôle des lieux à toutprix.
Aujourd’hui, en inspectant le site, on peut aisément reconstituer le fil del’Histoire.
Marchez jusqu’à la Colline et tenez-vous derrière la tranchée. Vous pouvezencore sentir les soldats jordaniens à l’intérieur, prêts à l’action.
Sur votre droite : la position fortifiée connue sous le nom de tranchée ouest.A l’intérieur, des troupes d’élite bédouines se préparaient à l’assautisraélien. La tranchée fortifiée centrale se tient sur votre gauche.
Quatre barbelés et trois tranchées

Le destin tient parfois à peu de chose. Pour les militairesisraéliens en mission, c’est l’heure prévue pour l’attaque qui pose problème :avant l’aube, ils sont à peine en mesure de voir où ils se dirigent. Sanscarte, dans l’obscurité et sous un feu nourri, la mission semble impossible.

La première compagnie de parachutistes est chargée de s’introduire à traverstrois rangées de barbelés. Mais au lieu des trois clôtures attendues, il y en aquatre. Un obstacle imprévu qui coûtera la vie à plusieurs des hommes, touchéspar balle.
Trois pelotons doivent prendre chacun l’une des trois tranchées (centrale,orientale et occidentale), mais la confusion règne. Les balles pleuvent. Lesunités tentent de se prévenir, de se couvrir les unes les autres. Mais prisesdans le feu des mitraillettes, elles subissent de lourdes pertes.
Les Jordaniens, de leur côté, maîtrisent la situation.
Les bunkers ont été construits en dénivellation, chacun plus élevé que l’autre,et se protègent ainsi mutuellement. Des positions fortifiées ont été disposéestous les quelques mètres, à intervalles irréguliers, de sorte que les troupesen mission ne savent jamais à quoi s’attendre.
Les hommes avancent en file indienne, derrière un soldat qui prépare la mise àfeu. Ce dernier cherche à surprendre l’ennemi. Lorsqu’il atteint un carrefourou une fourchette, il tire, jette un regard furtif et court au rapport. S’ilest tué ou blessé, un autre prend immédiatement la suite et continue d’avancer.Les tirs et les explosions se répondent, les flashes jaunes déchirent le ciel,et les hommes tombent sous les yeux de leurs camarades.
La première intersection a depuis été rebaptisée “jonction des blessés”. Lemédecin Yigal Arady a sauvé plus d’une vie, aussi vite qu’il le pouvait, et chaque fois qu’il lepouvait. Les premiers mots des soldats qui se réveillaient à l’hôpital étaientgénéralement pour le médecin : “S’en est-il sorti ?”, priaient-ils. Oui, lesrassurait-t-on. Le médecin perdra cependant la vie six ans plus tard, durant laguerre de Kippour.
La voie est libre

Poursuivez votre chemin. Si vous souhaitez réellementmarcher dans les pas des soldats, inclinez-vous, penchez-vous,accroupissez-vous ! Si vous vous exposez, les Jordaniens sur le dessus de lacolline risquent de fondre sur vous en un éclair. Une constatation qu’ainévitablement observée l’officier Nir Nitzan, dans la tranchée ouest. Et dedemander à l’un de ses artilleurs de sortir du tunnel pour couvrir les troupes.Selon les paroles de la chanson qui immortalise la bataille de la Colline desMunitions, “le soldat Eitan Naveh n’a pas hésité un instant”. Usantfurieusement de sa mitrailleuse, il a permis aux hommes de se déplacer detrente mètres supplémentaires, avant d’être abattu.

A la jonction en forme de V, bifurquez à gauche et vous arriverez à un espacepartiellement ouvert, où se trouvait autrefois le grand bunker. A l’intérieur :un énorme canon fait face au quartier de Ramat Eshkol.
La politique de l’Armée de terre, et son avancée systématique, a rapidement mishors de combat de nombreux officiers. C’est ainsi que Yaki Hetz s’est soudaintrouvé en première ligne, en direction du grand bunker. Son commandant, YoramEliashiv avait conduit son peloton tout le long de la tranchée et constituait unexemple pour ses hommes. Mais Eliashiv avait été tué par balle.
Hetz s’est retrouvé seul sur la Colline. Yehouda Kendal et David Shalom se sontprécipités à son secours. Alors que les tirs persistaient, Kendal a grimpé horsde la tranchée, sur la rive gauche, et lancé une grenade dans le bunker. Leshommes se préparaient à entrer, supposant que personne ne restait en vie àl’intérieur. Mais à la dernière minute, mû d’une sorte d’instinct, Hetz a tirédans le bunker avant de plonger à terre. Des Jordaniens ont alors jailli dubloc fortifié, bloquant les forces israéliennes qui ne pouvaient dépasser laposition ennemie. Kendal, Hetz et Shalom ont regroupé près de 20 kilogrammesd’explosifs qu’ils ont actionnés avant de courir s’abriter. Une forte détonationa retenti et le mur ainsi qu’une partie du plafond se sont effondrés. La voieétait libre.
182 batailles pour Jérusalem

 La dernière étape de la bataille est peut-être la pire :collecter les blessés et compter les corps des camarades morts. Dans une opérationréunissant 90 soldats environ, seuls sept sont sortis sains et saufs de labataille.

En face de la saillie au toit incurvé du Musée de la Colline des Munitions,reste une petite cabane qui a servi de QG aux officiers jordaniens. Avant dequitter le site, les troupes israéliennes, éreintées, ont découvert les corpsde 17 soldats jordaniens près de la cabane. Et alors qu’ils venaient de voirleurs frères mourir au combat, nos hommes ont déposé les corps de leurs ennemisdans une fosse commune et écrit dessus : “Ici sont enterrés 17 soldatsjordaniens.” L’un d’entre eux a inséré le mot “courageux”.
Devant le Mémorial de la Colline des Munitions, une plaque de pierre mentionneles noms des 36 hommes de l’unité, tombés dans les batailles pour Jérusalem. Lamajorité dans les batailles pour l’école de police et à la Colline desMunitions. Une autre plaque a été ajoutée plus tard, où figurent les noms desparachutistes du bataillon qui ont été tués lors de guerres ultérieures.
A l’entrée du musée, vous trouverez le célèbre drapeau israélien qui avait étéplanté sur une clôture au-dessus du Kotel, lorsque les troupes ont eu accès àla Vieille Ville et libéré la partie est la capitale de l’Etat hébreu. Ultimedécoration et marque de reconnaissance : près de la sortie, une médaille d’orbrille sur le mur, en l’honneur des soldats tombés dans les 182 batailles pourJérusalem.

Un nouveau spectacle, en sons et lumières, racontel’histoire de Jérusalem, depuis la division de la ville en 1948 à saréunification en 1967.

Renseignements : 02.58.29.392/3 Du dimanche au jeudi, de 9 heures à 17 heures.