Ces enseignants-éclaireurs

Faire reculer l’ignorance et empêcher l’importation du conflit israélo-palestinien dans l’Hexagone : deux objectifs ambitieux pour la délégation française de professeurs non juifs, de visite en Israël le mois dernier

Ces enseignants-éclaireurs (photo credit: DR)
Ces enseignants-éclaireurs
(photo credit: DR)
Sans gouttes d’eau, point d’océan. C’est avec ce leitmotiv qu’une avocate de confession juive et une enseignante d’anglais musulmane tentent, depuis de nombreuses années, de faire reculer le racisme et l’antisémitisme dans les écoles de France. Dans cet esprit, elles ont imaginé et mis sur pied un voyage inédit.
Les préjugés raciaux, Samia Essaba en a fait son cheval de bataille et ne ménage jamais sa peine pour les combattre. Aucune frontière géographique ne lui semble inaccessible quand il s’agit de faire reculer celles de l’ignorance. L’enseignante, d’origine marocaine, a ainsi eu l’occasion d’emmener ses élèves dans son pays natal, afin de leur raconter l’histoire de cette nation où la coopération et l’entente entre Juifs et Arabes est restée longtemps exemplaire ; ils sont allés à Washington aux Etats-Unis pour visiter le mémorial de l’Holocauste ; et à de nombreuses reprises Samia Essaba s’est rendue avec eux à Auschwitz. Ironie du sort, c’est d’ailleurs elle, la musulmane, si familière des lieux, qui a fait visiter l’ancien camp de concentration à Isabelle Wekstein, la juive.
Côté initiatives, cette dernière n’est pas en reste. Après avoir créé un groupe dont l’objectif était de réhabiliter l’image d’Israël dans les médias, l’avocate réalise bien vite que l’action menée entre juifs est forcément limitée, et qu’un véritable changement des mentalités passe par une action multiculturelle. Naît alors « le groupe informel », composé de membres d’origines diverses. Ses membres, hommes et femmes, bien qu’attachés à leurs communautés respectives, n’en demeurent pas moins soudés par un idéal commun : celui de la démocratie et des valeurs républicaines de tolérance et de respect.
Avec son binôme musulman, Isabelle Wekstein intervient régulièrement dans les écoles françaises de tous bords, publiques, privées, juives, catholiques, ou simplement situées dans les quartiers dits « sensibles ». Et la méthode est efficace. L’avocate commence toujours par quelques questions bien rodées aux élèves : « Regardez-nous. De nous deux, qui est juif et qui est musulman ? » L’auditoire, paraît-il, s’est trompé plus d’une fois. « Combien y a-t-il de juifs en France ? » Les réponses sont là aussi souvent fantaisistes : « 15 millions, m’dame ! ». Alors, inlassablement, Isabelle Wekstein s’emploie à défaire les préjugés, montrant avant tout que le racisme ne souffre aucune hiérarchie : une société qui s’habitue aujourd’hui à entendre crier « Sale juif », tolérera demain, sans plus d’état d’âme, d’entendre hurler « Sale noir » ou « Sale arabe ». Un argument qui produit toujours son effet sur les enfants « blacks-blancs-beurs » qu’elle rencontre.
Voir pour mieux raconter
Parmi les lieux de prédilection de l’avocate, le lycée d’enseignement professionnel Théodore Monod à Noisy-le-Sec, 800 élèves et 46 nationalités différentes, où enseigne justement Samia Essaba. Ce n’est donc pas un hasard si l’on retrouve ces deux femmes à l’origine d’un événement inédit : la visite en Israël d’une délégation de professeurs français issus pour la plupart de ce lycée. Le voyage s’est déroulé du 21 au 26 octobre et a réuni 12 enseignants qui ont sillonné l’Etat juif du Nord au Sud. But de l’initiative : confronter ces acteurs prépondérants de l’éducation en France à la réalité israélienne, afin de leur permettre d’en rendre compte à leurs élèves, bien au-delà des images fantasmées du conflit israélo-palestinien. Les participants ont été choisis avec soin par l’avocate : seuls les enseignants non juifs de l’établissement, qui n’étaient jamais allés en Israël et s’étaient déjà distingués pour certaines initiatives dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, ont été retenus. « Sélectionner des enseignants aux opinions trop marquées contre Israël se serait révélé stérile », affirme Isabelle Wekstein. « On ne change pas les gens en quelques jours. » Certains enseignants de l’établissement se sont même farouchement opposés à ce voyage, en raison de l’action d’Israël dans la bande de Gaza l’été dernier.
Si ce voyage lui tenait tant à cœur, c’est parce que l’avocate française est convaincue que l’avenir de l’école passe par son capital humain, beaucoup plus que par les fonds octroyés. En bref, des professeurs mieux formés et remotivés.
Pour autant, Wekstein refuse d’imputer l’échec de la transmission des valeurs républicaines au corps enseignant : « Les équipes pédagogiques font de leur mieux, ce sont plutôt les politiques qui ont échoué. Le résultat est là : on constate une détérioration du climat général dans les écoles avec la montée de la violence et du racisme, et un repli communautariste. » Manifesté par un phénomène qu’elle observe de plus en plus : « Aujourd’hui, quand on entre dans une classe de 30 élèves et qu’on demande “Qui est Français ?”, tout le monde lève le doigt. Mais à “Qui se sent Français ?”, il n’y en a plus qu’un ou deux… Comme s’ils ne parvenaient pas à intégrer qu’ils peuvent conserver leur culture propre tout en étant Français ».
L’ignorance, racine de tous les maux
Egalement du voyage, le sociologue Smain Laacher, professeur à l’université de Strasbourg. Selon lui, c’est ce même repli communautariste, alimenté par les problèmes de chômage et d’intégration, qui amène les jeunes musulmans à s’identifier aux Palestiniens, et à descendre dans la rue pour manifester aux côtés de l’extrême-gauche et l’extrême-droite dès qu’un conflit se fait jour en Israël. « Cette identification n’a pas de sens. Les Palestiniens ont beaucoup plus en commun avec les Israéliens qu’avec ces jeunes Français, qui ne savent même pas situer Gaza sur une carte », martèle Laacher.
Parmi les temps forts du séjour de ces professeurs, la visite du lycée franco-israélien Raymond Leven à Holon, qui a vu naître une proposition : celle d’une rencontre conjointe, dans les prochains mois, entre les élèves de l’établissement et certains de leurs homologues du lycée Monod et de Ramallah. D’autre part, les organisateurs souhaitaient montrer la mixité entre communautés au sein de la société israélienne et les différentes collaborations qui en découlent : le professeur Laacher s’est dit particulièrement touché par ces deux femmes, juive et arabe, qui tiennent ensemble, et dans la plus grande harmonie, une librairie à Yaffo.
Pour les enseignants du lycée Théodore Monod, qui se sont également rendus dans les Territoires palestiniens, une chose était claire au terme de leur voyage : le conflit israélo-palestinien et la situation du pays sont autrement plus complexes que ce qu’en disent les médias français. Complexité résumée dans le discours d’Elie Barnavi à la délégation, lors d’une rencontre qui a marqué tous les esprits : l’ancien ambassadeur a ainsi expliqué que, s’il croyait en un processus de paix avec les Palestiniens, il est des moments, comme l’été dernier, où la guerre en Israël est inévitable. « Le racisme et l’antisémitisme n’ont qu’une racine : l’ignorance », affirment de concert Isabelle Wekstein et Smain Laacher. « C’est là toute la racine du mal, et c’est elle qu’il faut combattre par l’éducation. »
Selon le sociologue, l’école occupe une place de choix dans cette lutte car « c’est la seule institution qui réunit tout un chacun en un même milieu, et peut produire, de ce fait, un esprit national. » Quant à Isabelle Wekstein, elle est plus que jamais convaincue que si l’on continue à s’adresser aux élèves directement, les choses évolueront : « A leur âge, ils sont comme une pâte à modeler, tout peut encore changer dans leurs esprits ; ils ont simplement besoin de l’impulsion d’enseignants qui sauront leur fournir les outils pour bien réfléchir. »
Gageons que les professeurs du lycée Théodore Monod, mieux armés encore après leur visite en Israël, poursuivront leur mission dans ce sens.
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