Paris, prêt à sacrifier au populisme ?

Le vieux continent semble sous le charme des initiatives bilatérales palestiniennes. Quid de la France ?

Paris, prêt à sacrifier au populisme? (photo credit: REUTERS)
Paris, prêt à sacrifier au populisme?
(photo credit: REUTERS)
Le gouvernement suédois a ouvert le bal en reconnaissant l’Etat de Palestine le 30 octobre dernier. Puis les parlements irlandais, britannique et espagnol lui ont emboîté le pas, votant des résolutions certes symboliques, dans l’objectif de faire pression sur leurs gouvernements respectifs. Cette semaine, c’est au tour de la France d’être au cœur du débat. Avant le Danemark et l’Italie… Des reconnaissances à la chaîne qui marquent un tournant dans la position du vieux continent quant au conflit israélo-palestinien. Qu’est ce qui motive aujourd’hui l’Europe et la France ? Que signifient ces votes ? Quelles seront leurs répercussions ? Entretien avec le Dr Tsilla Hershco, chercheuse au Centre d’études stratégiques Begin-Sadate de l’université Bar-Ilan et spécialiste des relations franco-israéliennes.
(Ndlr : interview réalisée avant le vote)
Que signifient ces votes en série, ce « mouvement » européen vers la reconnaissance d’un Etat palestinien ?
Les pays de l’Union européenne ont toujours prôné la solution de deux Etats pour deux peuples. Jusque-là, ils envisageaient la création d’un Etat palestinien comme l’achèvement du processus de négociations basé sur les accords d’Oslo. Mais depuis quelques années, les Palestiniens multiplient les actions unilatérales. Aujourd’hui, l’Europe et la France défendent ces mesures au moment le plus inopportun. Inopportun, sur le plan international, avec la montée de l’islamisme radical et sur le plan régional, alors que l’Autorité palestinienne ne montre ni la volonté ni la capacité d’être un Etat vivant en paix aux côtés d’Israël. Il ne faut pas oublier les dernières incitations à la haine dans les discours de Mahmoud Abbas, le contenu des manuels scolaires palestiniens, le fait qu’à Ramallah les terroristes sont élevés au rang de « chahid » et leurs familles financièrement dédommagées… Ni la France, ni ses voisins au sein de l’Union européenne ne dénoncent cela. Ils ne font rien pour que cela change. Au contraire, ils choisissent de forcer la reconnaissance d’un Etat palestinien alors que ce n’est vraiment pas le bon moment.
Vous parlez de timing, le gouvernement espagnol a reconnu l’Etat palestinien au lendemain du terrible attentat de Har Nof. Qu’est ce que cela signifie ?
Ces votes sont clairement un message d’encouragement aux terroristes. Aux terroristes palestiniens mais pas seulement, à tous les groupes extrémistes de la région. Sur le terrain, l’Union européenne et la France partagent de nombreux intérêts communs avec Israël : que ce soit la lutte contre l’Etat islamique ou la volonté d’empêcher l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire. Face à la dernière vague de violences qui a frappé Israël, le message porté par la France n’aurait dû souffrir aucune ambiguïté : on ne récompense pas le terrorisme. La légitimité et la sécurité d’Israël ne peuvent être remises en cause, la seule voie possible est celle du respect du principe des négociations. Malheureusement, c’est exactement le message inverse qui est envoyé.
Selon certains commentateurs, l’Europe perd patience et change en quelque sorte de stratégie… Selon la nouvelle approche, la création d’un Etat palestinien ne sera plus le résultat d’un processus de négociations, mais un moyen de faire pression pour le relancer.
L’Europe pense que la reconnaissance d’un Etat palestinien va relancer le processus de paix, mais pourquoi les Palestiniens auraient ils dorénavant besoin de passer par la case des négociations ? Pourquoi devraient-ils faire des compromis, que ce soit sur la douloureuse question de Jérusalem ou celle du retour des réfugiés, s’ils obtiennent ce qu’ils veulent sans faire de concessions ? Ces reconnaissances auront l’effet inverse du but escompté. Elles vont éloigner les Palestiniens du processus de paix. Après avoir obtenu la reconnaissance de leur Etat, ils fermeront définitivement la porte à tout compromis.
Ces mesures unilatérales, au lieu d’apporter la paix, nous dirigent vers l’imminence d’un conflit. Un Etat palestinien dirigé par le Fatah n’a pas aujourd’hui les moyens de lutter contre l’organisation terroriste du Hamas et nous risquons de nous retrouver dans la même situation que celle de la bande de Gaza. Une prise de pouvoir par la force, des tirs de roquettes sur les villes israéliennes… Si cela se produit, qui assurera la protection d’Israël ? La France ? L’UE ? Ils n’ont pas fait leurs preuves dans la région. Les observateurs européens ont fui Gaza quand le Hamas a pris le contrôle en 2007 et la FINUL n’a pas empêché le Hezbollah de se réarmer au Sud Liban.
L’intérêt d’Israël, celui des Palestiniens, de l’Europe et de la France, est de voir émerger une solution à deux Etats, mais la création d’un Etat palestinien ne se décrète pas en une résolution à l’Assemblée nationale ou au Sénat, sans que des prérequis aient été satisfaits : un gouvernement légitime et stable, la reconnaissance de l’existence d’Israël et des frontières qui assurent sa sécurité.
L’Europe reproche à Israël de faire preuve de mauvaise volonté et de poursuivre les constructions dans les implantations ?
La France et l’Union européenne font une réelle obsession des implantations. Encore une fois, le sujet des implantations fait partie intégrante du processus de paix, il sera discuté dans le cadre de négociations.
Le texte de la résolution française parle de « l’urgence » de reconnaître un Etat palestinien ? Qu’est ce qui est si urgent ?
La France et l’Europe considèrent le conflit israélo-palestinien comme le principal facteur de déséquilibre, aussi bien au Moyen-Orient, que sur leur propre continent. Mais la vérité c’est qu’elles souffrent aujourd’hui de la radicalisation de l’islam et de leurs populations musulmanes et cela ne prend pas racine dans le conflit israélo-palestinien. La France voit ses jeunes rejoindre les camps de l’Etat islamique et tire la sonnette d’alarme. Paris se trompe. La création d’un Etat palestinien ne va pas régler les problèmes dus à l’échec de l’intégration des musulmans et à l’islamisation de l’Europe.
On parle toujours de l’importation du conflit israélo-palestinien en France, mais aujourd’hui le phénomène s’est inversé, on assiste à l’exportation des problèmes de l’Europe et de ses communautés musulmanes au Moyen-Orient. Aujourd’hui, les jeunes musulmans des banlieues françaises, en mal d’intégration, viennent couper des têtes en Syrie.
La France est-elle aussi engagée dans la lutte contre le terrorisme, contre l’islamisme radical. Le Hamas, l’EI, ce sont les mêmes ennemis ?
Oui, ce sont les mêmes ennemis. Nous nous battons contre les mêmes groupes fanatisés, qui sont pétris des mêmes haines et nourrissent les mêmes objectifs. L’Europe se bat aujourd’hui contre l’Etat islamique, elle vit elle-même sous la menace des extrémistes. Les autorités craignent que les islamistes entraînés en Irak ne reviennent commettre des attentats sur le sol européen. Et malgré cela, le discours ne change pas. C’est la politique du « deux poids deux mesures ». On « excuse » les terroristes palestiniens sous couvert de « désespoir », mais on refuse la même rhétorique quand il s’agit des djihadistes français.
Tsahal a fait preuve d’une moralité sans pareille dans la guerre contre le Hamas à Gaza, a tout fait pour limiter les pertes collatérales. Mais Laurent Fabius a parlé de « massacre ». Comment ose-t-il jouer le jeu cynique du Hamas qui sacrifie la population palestinienne, alors que la France, aujourd’hui engagée dans la lutte complexe contre l’Etat islamique, rencontre sur le terrain les mêmes difficultés qu’Israël ? Pourquoi ? Parce qu’il y a eu des manifestations en France, et que les hommes politiques français ont, encore une fois, fait le choix du populisme.
La reconnaissance d’un Etat palestinien a-t-elle aussi des motivations politiques ?
Oui, je pense qu’il y a des enjeux électoraux. Benoît Hamon, député socialiste et ancien ministre, a avoué que ce vote est « le meilleur moyen pour récupérer l’électorat de banlieue et des quartiers ». Si le gouvernement laisse faire, alors qu’il s’est à plusieurs reprises prononcé contre des mesures unilatérales, c’est sans doute aussi par calcul politique. Tout le monde sait que François Hollande a bénéficié des voix d’une grande partie de la communauté musulmane. Aujourd’hui le parti socialiste traverse une dure crise de popularité et peut-être qu’il essaye de gagner des points. Ce sont en fin de compte des votes populistes motivés par des enjeux électoraux. L’Europe et la France ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Mais attention à l’effet boomerang.
Quelles répercussions la reconnaissance d’un Etat palestinien pourrait avoir en France ? Cela risque-t-il d’exacerber les tensions intercommunautaires ?
Oui cela est à craindre. On se souvient de la tournure qu’ont pris les événements l’été dernier pendant la guerre contre le Hamas. Les manifestations pro-palestiniennes se sont vite transformées en violentes attaques contre des synagogues.
Ce sont des votes non contraignants, des reconnaissances symboliques… Ont-ils un poids au niveau politique ?
Concrètement ces résolutions n’ont pas de poids sur l’exécutif, mais elles invitent les gouvernements à reconnaître la Palestine. Ces votes influencent fortement l’opinion publique, qui est déjà très négative à l’égard d’Israël. Et le gouvernement veut séduire l’opinion publique. Donc c’est un cercle vicieux. Le gouvernement français, par la voix de son ministre des Affaires étrangères a répété ces dernières semaines qu’il ne reconnaîtrait pas un Etat palestinien « pour l’instant », qu’il le ferait « le moment venu ». Ce vendredi devant les députés français, Laurent Fabius a prévenu que Paris reconnaîtra l’Etat palestinien si le prochain round de négociations échoue. Il a fixé une date butoir : dans deux ans. Donc non, ces résolutions ne sont pas uniquement symboliques.
Le gouvernement français va reconnaître un Etat palestinien en dépit des relations étroites qui le lient à Israël ?
La France a une longue histoire de tromperies avec Israël, elle a plus d’une fois sacrifié Israël au nom de ses intérêts arabes. Elle a sacrifié ses Juifs. Tourné le dos à Israël après la guerre des Six Jours… La France a toujours eu une politique partiale. Elle a été un des premiers pays, si ce n’est le premier, à avoir reconnu le Fatah. Elle se vante d’être la première à avoir soutenu une solution à deux Etats. Paris a plus récemment soutenu l’entrée de la Palestine à l’UNESCO… Aujourd’hui, Fabius parle de faire adopter une résolution au Conseil de sécurité en vue d’une relance et d’une conclusion des négociations. Une conférence internationale pourrait être organisée à Paris.
Ce qui compte davantage pour Israël aujourd’hui que ses liens avec la France, ce sont l’état de ses relations avec les Etats-Unis. En cas de vote au Conseil de sécurité de l’ONU, Israël ne pourra pas compter sur Paris ou Londres, mais uniquement sur le veto américain.
On peut imaginer que les choses aillent si loin ?
Si on jette un coup d’œil en arrière, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne cédant aux requêtes de l’Allemagne nazie, n’ont pas hésité à sacrifier un Etat. La France a littéralement abandonné la Tchécoslovaquie avec laquelle elle avait passé des accords pour garantir ses frontières. Et à la fin, l’Europe tout entière a payé. On ne peut pas ne pas faire le parallèle.
Quelles conséquences ces votes auront-ils sur les relations entre Israël et les pays qui auront reconnu l’Etat palestinien ?
L’Union européenne est importante pour Israël, sur les plans diplomatique et économique, dans tous les domaines. L’Europe est membre du Quartet et joue un rôle important dans la région. Mais si la France et l’Europe continuent de soutenir sans conditions les Palestiniens et de condamner Israël, elles risquent de perdre leur position d’influence. Nous avons été dans cette situation en 2000 pendant la seconde intifada. A force de soutenir les Palestiniens, Chirac a été mis hors-jeu, Israël a refusé que Paris joue un rôle de médiateur. Cela risque de se reproduire aujourd’hui.
L’Allemagne est aujourd’hui la seule au sein de l’Europe à avoir dénoncé une reconnaissance unilatérale, pourquoi ?
Peut-être, et ce n’est qu’une hypothèse, qu’Angela Merkel est un des seuls dirigeants européens à jouir d’une position de stabilité. Elle n’a pas besoin de séduire quiconque ou de détourner l’attention. Elle voit les choses de façon objective.
Que fait Israël ?
Israël fait peser une grande pression pour que ces votes n’aient pas lieu.
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