Quels risques pour Tsahal ?

La signature du Statut de Rome par Mahmoud Abbas signifie-t-elle forcément que les soldats israéliens feront l’objet de procès ?

Quels risques pour Tsahal ? (photo credit: REUTERS)
Quels risques pour Tsahal ?
(photo credit: REUTERS)
Le 1er janvier est un jour à marquer d’une pierre blanche dans l’offensive légale que mène l’Autorité palestinienne contre Israël. En signant le Statut de Rome (qui lui permettra certainement d’accéder à la Cour pénale internationale), cette dernière a fait du monde un endroit moins paisible pour Israël : les arguments qu’utilisait depuis 2009 l’Etat hébreu pour bloquer les plaintes palestiniennes (à savoir qu’elles n’émanaient pas d’un Etat officiel ayant ratifié le Statut de Rome) sont aujourd’hui obsolètes.
Malgré ce changement important dans le paysage géopolitique, les Palestiniens ont encore beaucoup d’obstacles légaux et diplomatiques à franchir avant que des Israéliens (et non pas Israël puisque la Cour ne juge que des individus) se retrouvent dans le box des accusés à La Haye.
Le jeu dangereux d’Abbas
Première étape, le procureur général de la CPI doit reconnaître à l’Autorité palestinienne le statut de membre officiel et accepter sa signature du Statut de Rome (que les Palestiniens doivent ratifier, pas simplement signer). Il n’y a aucune garantie, au vu de la dernière décision du Conseil de sécurité de l’ONU, que cette première étape soit franchie, même si une récente décision de Fatou Bensouda, procureur général de la CPI, au sujet des Comores, laisse présager un accueil favorable à la candidature palestinienne. Dans cette décision, Bensouda a certes décidé de ne pas ouvrir d’enquête criminelle sur le rôle joué par des soldats israéliens dans la mort de 9 passagers de la flottille Mavi Marmara en 2010 ; mais elle a fortement suggéré qu’elle reconnaîtrait l’Etat de Palestine si Mahmoud Abbas signait le statut de Rome.
Ensuite, les Palestiniens devront déposer des plaintes officielles visant individuellement des soldats israéliens et leurs dirigeants. Encore une fois, il n’est pas certain que l’Autorité palestinienne prenne le risque de s’exposer à une « destruction légale mutuelle assurée ». Car dans le meilleur des cas, les Israéliens feront face à des cas complexes, où les limites de ce qui est acceptable en temps de guerre devront être définies, alors que les Palestiniens sont certains d’être accusés de crimes à la fois pires et plus faciles à traiter comme les tirs de roquettes indiscriminés. L’ONG Shourat Hadin a déjà commencé à remplir des plaintes contre des Palestiniens, et Israël pourrait aller encore plus loin s’il décidait de se servir des informations recueillies par les services de renseignement et par Tsahal.
Troisième étape, le procureur général de la CPI doit décider, sur la base des plaintes reçues, de l’ouverture d’une enquête préliminaire, puis d’une enquête criminelle complète. C’est à ce niveau que les vraies difficultés arrivent : la CPI ne peut, en effet, ouvrir d’enquête criminelle complète que si elle a la preuve qu’Israël refuse ou n’a pas les capacités de mener sa propre enquête interne. Car la CPI ne peut juger qu’en dernière instance, c’est-à-dire qu’elle intervient uniquement dans le cas où les crimes de guerre ne font pas l’objet d’enquêtes au niveau national, sachant que les juges de La Haye rejoignent souvent les conclusions des enquêtes nationales sur les cas dont ils sont saisis. Ces enquêtes ne doivent pas nécessairement aboutir à des condamnations, mais doivent être menées sérieusement, et Israël a déjà ouvert 13 enquêtes sur la dernière guerre contre le Hamas à Gaza.
Reste à définir le mot « sérieusement ». Tsahal a choisi d’enquêter sur certains incidents et d’en laisser d’autres de côté : parmi les cas étudiés, les dégâts causés par des frappes aériennes sur un bâtiment de l’UNRWA, et la mort de civils tués sur la plage. Ainsi, les autorités ont décidé de ne pas se pencher sur les tirs portés sur un bâtiment de l’UNESCO et sur l’hôpital Wafa. Israël a fourni des explications détaillées sur la raison de ces choix, et pour peu que la CPI les accepte, ces enquêtes devraient être suffisantes pour disqualifier les possibles plaintes palestiniennes sur le sujet.
Difficile condamnation
Mais dans la décision sur les Comores précédemment évoquée, Bensouda a également affirmé que Gaza était un territoire occupé et que, sauf problème technique juridictionnel, elle jugeait probable que Tsahal ait commis un crime de guerre lors de l’incident Marmara (et ce malgré le fait que la commission turque quasi gouvernementale et l’enquête Palmer de l’ONU aient conclu le contraire). Si, comme le laisse entendre cette prise de position, Bensouda est prête à remettre en cause les conclusions de l’armée israélienne, la situation des soldats et de leurs dirigeants pourrait s’avérer plus inquiétante.
Après enquête préliminaire, ce n’est pas la Palestine en tant qu’Etat, mais le procureur général qui décide ou non d’inculper. Pour cela, le procureur doit estimer qu’il y a des preuves suffisantes pour conclure à l’intention manifeste de tuer, et ce alors que beaucoup d’incidents en période de guerre sont le fait de négligences ou d’erreurs. Même si Bensouda décidait de remettre en cause les conclusions de Tsahal, il serait donc difficile pour les juges, jusqu’ici plutôt favorables aux accusés, de condamner des soldats israéliens.
Autre restriction importante : les Palestiniens ne peuvent porter plainte pour des faits datés d’avant le 29 novembre 2012, date de la reconnaissance de l’Etat par l’Assemblée générale de l’ONU. De même pour Israël, qui, s’il décidait de rejoindre la CPI, ne pourrait porter plainte pour des faits antérieurs à la création de l’institution, soit le 1er juillet 2002. Exemple concret : la plupart des implantations échappent à ces restrictions temporelles, et ne pourront donc jamais faire l’objet d’une plainte palestinienne. L’universitaire Sigal Horovitz a souligné que si l’Etat hébreu décidait de ratifier le Statut de Rome, l’article 124 pourrait empêcher la CPI d’enquêter sur des sujets relatifs aux implantations pendant 7 ans, et de façon permanente si un accord territorial était conclu avec les Palestiniens avant la fin de cette période. Sans cela, les constructions effectuées en 2013 et 2014 au-delà de la Ligne verte pourraient être un problème pour Israël qui n’enquête pas sur le sujet, et ne le perçoit pas de la même façon que la CPI.
Les Israéliens sont donc plus proches que jamais d’une bataille judiciaire périlleuse, et la guerre des tribunaux ne fait que commencer.
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