Se confronter à son passé

Pour chasser les fantômes du passé, la Pologne doit accepter de reconnaître ses erreurs et dédommager les victimes juives spoliées de leurs biens

Immeuble de Varsovie où habitaient des familles juives (photo credit: REUTERS)
Immeuble de Varsovie où habitaient des familles juives
(photo credit: REUTERS)
Mon enfance était remplie de ces contes bien connus, pétris de magie et peuplés de personnages comme Tevye le laitier, et dont certains allaient devenir mes héros. Il y avait aussi ces histoires sur les joies et la vie de tous les jours dans les shtetls polonais. Autant de récits qui m’étaient racontés avec chaleur et esprit par mes grands-parents.
Petit garçon, alors bien inconscient de la Shoah et de ses horreurs, j’étais toujours étonné de la tristesse de ma grand-mère : même quand elle racontait des histoires drôles, elle semblait rire d’un œil et pleurer de l’autre. Je ne me souviens pas à quel moment j’ai soudain découvert que tous ces personnages, si vivants dans ces contes facétieux, avaient tragiquement péri à Auschwitz.
Ces dernières années, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de visiter d’anciens shtetls polonais, dont celui de Zamosc, où la famille de ma grand-mère vivait avant la Shoah. Dans ces petits villages, la mémoire juive fait partie de l’histoire. A Zamosc, une rue à sens unique, Ulica Gesia, débouche sur une maisonnette. Dans le temps, elle était habitée par les Zalcman. C’est de là que mes proches ont été déportés vers le camp de la mort de Belzec, à peine quelques dizaines de kilomètres plus loin, en juillet 1942.
Dans une artère de Katowice, j’ai découvert la maison où mes grands-parents ont trouvé refuge après avoir survécu à la guerre dans les goulags staliniens. De là, ils ont été expulsés en 1968, suite à la campagne antisémite du gouvernement polonais communiste, qui allait donner lieu à l’exode forcé des quelque 20 000 juifs restants du pays – 25 ans seulement après l’importation des atrocités nazies sur le sol polonais.
Aujourd’hui, Zamosc ne compte plus un seul juif, et Katowice s’est vidé de sa communauté. Nulle part, le moindre signe d’une vie juive autrefois trépidante. La seule chose qui reste de Tevye le laitier et de ma propre famille – comme de ces milliers d’autres juifs – ce sont leurs biens confisqués, aujourd’hui nationalisés.
La réhabilitation de la Pologne
On estime à plus de 170 000 le nombre de propriétés privées saisies aux juifs pendant la Shoah ou la terreur communiste. Un parc immobilier qui se chiffrerait à des millions de dollars, selon un rapport d’experts du secteur privé, d’associations à but non lucratif et d’ONG, rédigé à la demande du gouvernement israélien.
Mais alors que vient d’être célébré le 70e anniversaire de la libération d’Auschwitz, aucune solution acceptable n’a encore été trouvée quant à l’épineuse question de la restitution des biens des victimes polonaises de la Shoah, ou des pogroms de 1968.
La Pologne a lourdement souffert du joug de l’Allemagne nazie : 6 millions de ses habitants – dont 3 millions de juifs – ont été assassinés par les troupes du IIIe Reich.
Après avoir recouvré son indépendance en 1989, rejoint l’OTAN et intégré l’Union européenne, la Pologne a décidé de s’ériger en modèle de liberté et de démocratie au sein de l’Europe orientale et du reste du monde. Le pays, désormais libre, a établi de solides et constructifs liens diplomatiques avec Israël et les Etats-Unis. Mais sa réputation en tant que garant de la moralité y gagnerait encore, s’il parvenait à un accord juste et acceptable pour toutes les parties, sur le sujet des biens juifs spoliés.
Signe encourageant, le discours de son président, Bronislaw Koromowski, lors de l’inauguration du musée de l’Histoire des juifs polonais à Varsovie. Son allocution n’est pas passée inaperçue : un des thèmes centraux de la Pologne dans sa quête de liberté est de reprendre les comptes de l’histoire, faussés sous l’ère communiste, a-t-il déclaré. Car comme l’a rappelé l’ancien ministre des Affaires étrangères Wladyslaw Bartoszewski, depuis 1989, chaque gouvernement de la Pologne indépendante a débattu de la question des biens juifs, mais à chaque fois, un manque de détermination ou de volonté politique a empêché la concrétisation de ces efforts.
Alors que la plupart des pays d’Europe centrale et orientale ont adopté des législations pour accorder des compensations au regard des biens confisqués, la Pologne se distingue encore par son incapacité à remplir ses obligations et à reconnaître sa responsabilité vis-à-vis des victimes spoliées. Il est maintenant temps pour elle de revoir son approche en votant des mesures détaillées qui permettront la totale restitution des biens volés par les nazis et les gouvernements communistes. L’âge avancé des derniers survivants renforce le besoin d’agir de façon pressante.
Respecter le droit international
Les standards internationaux sont clairs. Au sein de l’Europe de l’Ouest, des principes directeurs ont émergé dès l’après-guerre et sont toujours en vigueur aujourd’hui : chaque bien pris de force à un juif doit être restitué, avec intérêts, à ses propriétaires.
La Convention européenne des droits de l’homme de 1953, d’ailleurs ratifiée par la Pologne, stipule dans son Article 1 sur le droit à la propriété que « toute personne, physique ou morale, a le droit de posséder des biens et de jouir pacifiquement de ses possessions ». Et d’insister très clairement sur le fait que « nul ne peut être privé de sa propriété, sauf pour cause d’utilité publique, et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».
Des principes encore renforcés par la Déclaration de Terezin en juin 2009, signée par 46 pays, dont la Pologne, et qui a établi des lignes directrices très claires quant à la restitution des biens privés et publics saisis de force pendant la Shoah. La Déclaration insiste sur l’importance de trouver une solution pour « les anciens propriétaires, leurs héritiers ou successeurs, par des restitutions ou des compensations appropriées, d’une façon équitable, entière et non discriminatoire, en accord avec la législation nationale d’une part, et les accords internationaux de l’autre ».
Il est temps de chasser les fantômes du passé. La Pologne doit honorer la mémoire des victimes assassinées sous la tyrannie nazie et rendre justice aux survivants et à leurs descendants. Rendre les biens confisqués est la seule façon d’honorer les principes de tolérance, liberté et démocratie nécessaires à notre génération et aux suivantes. Le seul moyen de s’assurer qu’à l’avenir, aucun enfant ne devra apprendre que les héros de son enfance ont été tragiquement annihilés.
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