Commémorations en série

Si l’adulte sait se retrouver dans le labyrinthe émotionnel des commémorations israéliennes, comment la jeune génération appréhende-t-elle ces journées du souvenir propres au jeune Etat hébreu ?

Commemoration en serie (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Commemoration en serie
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)

 

Chaque année, Israël présente aux environs d’avril-mai son panel de commémorations, chargé d’émotions, composé de Yom Hashoah et de Yom Hazikaron, puis de Yom Haatsmaout et de Yom Yeroushalaïm. Avec à chaque fois l’accent sur le mot Yom – le jour ou la journée –

pour bien expliquer l’importance et la place de chaque événement.
Le premier anniversaire rappelle le terrible drame de l’extermination de masse nazie. Le deuxième évoque le souvenir des soldats tombés lors des guerres d’Israël et celui des victimes du terrorisme. Episode immédiatement suivi de l’explosion de joie des festivités du jour de l’indépendance de l’Etat, puis, trois semaines plus tard, des célébrations joyeuses et colorées de la libération de Jérusalem, de l’esplanade du Temple et du Mur occidental.
En l’espace d’un mois, les Israéliens vont ainsi passer de la plus profonde affliction – avec en filigrane le visage de ceux qui sont tombés et des blessures qui ne se refermeront sans doute jamais – à la joie la plus intense due au retour dans le pays de leurs pères. Avec, cerise sur le gâteau, le miracle de 1967 : l’annonce de Mota Gur à la radio israélienne, « Har Habayit beyadeinou, le mont du Temple est entre nos mains »; le rabbin Goren soufflant dans son shofar devant des parachutistes changés aujourd’hui en mythes ; Naomi Shemer invoquant en chanson la Jérusalem d’Or.
Pour un adulte, c’est évident, toutes ces évocations font monter les larmes aux yeux.
C’est sa réalité. Le sang versé est un peu le sien tout comme les victoires et la gloire sont siennes aussi.
Mais dans un monde où le smartphone est, avec Justin Bieber, le meilleur ami de l’homme, cette société à la fois individualiste et mondialiste qui encense la tolérance à tout et le respect de l’autre à outrance, comment un gamin, et plus encore un ado, va-t-il appréhender – voire s’identifier à – des cérémonies en série dont les thèmes principaux sont – en schématisant à l’extrême – la mort, la guerre, le nationalisme enflammé et le patriotisme lyrique.
Le mieux étant souvent l’ennemi du bien, ne risque-t-on pas de le perturber en voulant l’impliquer de façon trop flagrante ?

Pouvoir enfin dire nous

Avant de proposer une lecture de l’intérieur d’un adolescent médian, faisons appel à l’humour de Samuel Langhorne Clement, plus connu sous le nom de Mark Twain.

Ce dernier disait souvent : « Une bonne éducation consiste à concilier le grand bien que vous pensez de vous-même avec le peu de bien que vous pensez des autres ».
Ce que l’ecrivain veut dire, c’est que tenter de changer l’homme est un vœu pieux. Il s’aime, c’est un fait, tel est le secret de sa construction. L’éducation, elle, va le faire avancer en lui permettant de regarder plus loin que le bout de son nez.
Car si son ego peut être un frein pour lui, il peut aussi représenter un fantastique tremplin. Un ado est un homme en devenir et, pour grandir, il a besoin de repères.
De savoir qui il est. Et qui sont les autres aussi. Quelle est sa place, son identité.
Et seulement alors il pourra prendre des décisions. Pour lui, pour son avenir, pour le monde entier.
Dans ce contexte, ce fameux mois de cérémonies est tout à fait salutaire car, comme le disait Joseph Joubert, les enfants ont plus besoin de modèles que de critiques.
Et ce mois magique que propose Israël est plein de modèles à suivre. Il y en a pour tous les goûts. Des martyrs et des héros à foison, avec du don de soi à ne plus savoir qu’en faire. Autant de modèles qui déclarent en chœur : Oui, pour que tu vives dans ce pays, il a fallu donner. Depuis toujours. Des millions d’innocents sont morts dans les camps et ne reviendront plus. Oui, nous avons tenté de les dénigrer parce que nous ne voulions plus être des victimes. Puis, nous avons découvert sur le tard qu’ils étaient des héros et non pas de dociles moutons sur la route de l’abattoir. Ainsi, ce fameux jour de Yom Hashoah, à l’heure de la sirène, est aussi un jour de repentir pour ces pensées indécentes.
Et oui, nous avons dû et nous devrons encore défendre notre pays. Pas parce que l’ONU a validé la justesse de notre présence ici le 29 novembre 1947, mais parce qu’il est notre seul véritable héritage. Une partie de notre ADN. Oui, nous sommes fiers de notre Etat et de nos soldats. Et de pouvoir dire nos, de pouvoir enfin dire nous.

Epris de justice et d’équité

La vraie question n’est pas « un ado peut-il comprendre ? » mais « pouvons-nous nous-mêmes comprendre ? » ce que tout cela signifie pour un jeune homme ou une jeune fille.

Cela fait deux mille ans que chaque jour est pour le peuple juif le jour de Jérusalem. Jérusalem se trouve dans l’eau qu’on rajoute au vin du Kidoush ; dans le verre que casse le marié sous le dais nuptial ; sous la forme d’un cri à la fin de la Hagada de Pessah : L’an prochain à Jérusalem ! L’an prochain à Jérusalem.
Vous croyez que l’ado n’a pas perçu notre fierté et la larme au bord de nos yeux ?
Françoise Dolto, dans son Complexe du homard, décrit un adolescent qui aimerait initier, prouver sa valeur, trouver sa voie et atteindre ses buts, mais que la fragilité de son âge transitoire désarçonne parfois. Sur quoi se construire ? Sur quelles valeurs ? Quels buts ? Comment distinguer le moins bien du bien ?
Peut-on se réjouir des fruits d’une guerre ? Question légitime en 2014, et plus encore concernant Jérusalem, capitale d’Israël, que personne au monde ne reconnaît comme telle… à part nous-mêmes. Le prophète Isaïe, pour sa part, réglait le problème il y a presque trois mille ans : « Pour l’amour de Sion je ne me tairai point, pour l’amour de Jérusalem je ne prendrai point de repos, jusqu’à ce que son salut paraisse, comme l’aurore, et sa délivrance, comme un flambeau qui s’allume… »
D’abord la lutte pour tes idées. Ensuite la fête, car on ne peut bouder son plaisir quand on attend plus de deux mille ans. Oui, un ado comprend la logique de tout cela. Facilement. Car le jeune est épris de justice et d’équité.
Et non, il n’est pas déstabilisé par le nationalisme, le conflit ou le sang.
Il veut juste savoir pourquoi c’est important pour lui, pour ses parents, pour les anciens. D’où cela vient et à quoi cela aspire. Et d’ailleurs, si la magnifique marche de Yom Yeroushalaïm est composée en grande partie d’adolescents, ce n’est pas un hasard. Car cela fait longtemps qu’ils ont compris.