Israël, terre d’accueil en souffrance

Demandeurs d’asile ou émigrants illégaux ? L’Etat face au défi des infiltrés africains

Immigrants africains dans le sud du pays (photo credit: REUTERS)
Immigrants africains dans le sud du pays
(photo credit: REUTERS)

Lieu de transit ou prison pour les immigrants africains ? Le quatrième amendement de la loi anti-infiltration fait des vagues. Mi-janvier, une dizaine de milliers d’immigrants érythréens et soudanais ont entamé une série de manifestations d’envergure qui aura duré un mois, pour dénoncer le traitement que leur infligent les autorités israéliennes. Leur mouvement a débuté en réaction à cette loi votée mi-décembre qui limite leurs droits et leur refuse le statut de demandeurs d’asile potentiels. Ce qui a pour effet de faciliter leur détention massive dans la localité de Holot, située dans le désert du Néguev, dans un centre de transit aux dires du gouvernement — une prison à ciel ouvert aux yeux des immigrants et des organisations des droits de l’Homme.

« Fini la prison ! »
La Cour suprême avait déjà qualifié d’anticonstitutionnel l’amendement, voté en 2012, autorisant à trois ans maximum la détention d’immigrants clandestins, à titre dissuasif. Ce nouvel amendement à la loi de 1954 ayant pour objectif de lutter contre les infiltrations exploite une faille dans la décision de la Cour suprême, et permet maintenant de déplacer les immigrants qui pénètrent illégalement en Israël par la frontière égyptienne, ou ceux dont les visas provisoires ont expiré, au centre de Holot, en attendant leur expulsion. Nombre d’entre eux ne pouvant être renvoyés dans leur pays d’origine où leur vie serait en danger, les organisations des droits de l’Homme affirment que les placer dans ce centre équivaut dans les faits à les exposer à une détention illimitée. Elles font également remarquer qu’ils rencontrent des difficultés de plus en plus grandes pour obtenir le renouvellement de leurs visas et qu’ils peuvent les réclamer exclusivement dans certaines villes dont les bureaux ouverts seulement quelques heures par semaine. Les demandeurs d’asile se plaignent aussi des longues files d’attente et, à la clé, de l’impossibilité d’obtenir le statut de réfugié.
Le mois dernier, des milliers de travailleurs émigrés – entrés pour la plupart illégalement dans le pays, et travaillant comme chauffeurs, plongeurs, cuisiniers ou employés de ménage, dans des hôtels et des restaurants – ont quitté leur emploi pour rejoindre les sit-in et les manifestations organisées à la fois à Tel-Aviv et Jérusalem.
« Fini la prison ! Nous sommes des réfugiés ! Nous avons besoin de protection ! », ont-ils scandé, lors d’une manifestation à Jérusalem qui s’est déroulée sans heurts. Ils se sont assis par milliers dans la roseraie située en face de la Knesset, les mains croisées au-dessus de leurs têtes, un geste qui est devenu le symbole de leur lutte. « Si nous continuons, je crois que nous allons obtenir gain de cause. Nous devons être compris », a déclaré un de leurs leaders à la foule des immigrés où l’on a pu voir beaucoup de femmes et des bébés dans des poussettes. « Nous devons rester mobilisés et continuer la grève. Il n’y a pas le choix. C’est la seule façon de faire valoir nos droits. Nous sommes prêts à rentrer à la maison demain, lorsque nous aurons été rassurés sur notre situation ».
« Ni infiltrés ni criminels »
Des membres de la Knesset qui siègent dans l’opposition comme Erel Margalit du parti travailliste, Nitzan Horowitz et Tamar Zandberg du parti Meretz, ainsi que l’écrivain David Grossman sont également intervenus en faveur des manifestants, insistant sur la nécessité de revoir cette décision d’amendement. Les immigrés espéraient pouvoir déposer une lettre de doléances à la Knesset, mais ils n’ont pas été autorisés à pénétrer dans l’enceinte du parlement israélien. La lettre a donc été lue au cours de la manifestation. « Nous ne sommes ni des infiltrés ni menteurs. Nous voulons vous dire que nous sommes des réfugiés. Nous voulons nous asseoir avec vous pour trouver une solution qui tienne compte des intérêts d’Israël et de nos droits », ont-ils déclaré dans leur lettre. « Nous demandons que vous respectiez nos droits en tant que réfugiés. »
La semaine suivante, ils ont finalement été reçus en audience à la Knesset devant le Comité des travailleurs étrangers, dirigé par la députée Michal Rosin du Meretz. Et formulé trois revendications principales : la libération de tous les demandeurs d’asile actuellement en détention ; l’établissement d’un système d’examen équitable et transparent de toutes les demandes d’asile ; la reconnaissance de leurs droits en tant que réfugiés dans le respect de leur dignité humaine.
Certains émigrés, majoritairement originaires du Soudan, découragés par leur incarcération de facto au centre de transit de Holot, ont accepté l’offre du gouvernement d’être rapatriés dans leur pays d’origine en transitant par un pays tiers, en échange d’un don de quelques milliers de dollars. Selon le ministère de l’Intérieur, le nombre de migrants qui ont choisi la voie du retour a plus que décuplé avec 63 départs en novembre pour atteindre les 773 en janvier. Amnesty International affirme cependant que ces expulsions constituent une violation du droit international qui interdit de renvoyer des réfugiés dans leur pays d’origine si leur vie est menacée. « Amnesty International est préoccupée depuis longtemps par le droit d’asile en Israël qui manque de transparence. Le pays n’offre pas l’accès à une procédure équitable de demande d’asile et se révèle incapable d’assurer la protection des immigrants », a déclaré l’ONG dans un communiqué.
Une vie de quartier tendue
En attendant, la population d’immigrants qui n’est pas incarcérée se concentre dans les quartiers pauvres du sud de Tel-Aviv, aux abords de la gare routière centrale. Une zone défavorisée sur le plan socio-économique avec des taux de criminalité élevés et devenue, avec cet afflux massif, une véritable poudrière. Les habitants de ces quartiers craignent une augmentation de la criminalité et se disent harcelés par les Africains, qui n’ont pour la plupart pas d’autre choix que de vivre dans le parc Levinsky.
Yohannes Bayu, fondateur du Centre africain de développement aux réfugiés, lui-même un réfugié érythréen de longue date qui a obtenu un statut de résident permanent en Israël, reconnaît que les plaintes des résidents locaux sont justifiées, que la tension dans ces quartiers pauvres est exponentielle et que la criminalité certes existe dans cette population d’immigrés, mais qu’elle est aussi le fait d’autres habitants du quartier. « Oui, il y a eu des cas isolés de vol », avoue-t-il au Jerusalem Post, mais les immigrants sont victimes du système israélien qui ne reconnaît pas leur statut, ne leur donne pas l’autorisation de travailler et ne leur offre pas d’alternative à une incarcération d’une durée indéterminée. « Certains habitants de ces quartiers », ajoute-t-il, « pensent avoir le droit de se faire justice eux-mêmes et de nombreux demandeurs d’asile qui se sont fait attaquer refusent de porter plainte à la police de peur d’être renvoyés dans l’un ou l’autre des centres de détention destinés aux immigrants, à Holot ou ailleurs », déplore-t-il.
« La situation était la même avant l’arrivée des réfugiés dans le quartier, déjà aux mains des dealers et en proie à une forte criminalité. Avec l’arrivée des réfugiés, le problème s’est exacerbé. La tension est de plus en plus grande en raison de la pression que cela représente sur ces quartiers pauvres », dit Bayu. « Mais au lieu de faire pression sur le gouvernement, qui est à l’origine du problème, pour le contraindre à trouver une solution, les habitants du quartier s’en prennent aux victimes. Que peut-on espérer d’autre de la part de réfugiés qui n’ont ni travail ni de quoi se nourrir ? Où voulez-vous qu’ils aillent ? »
Un flot croissant d’immigrés
Les leaders du mouvement ont habilement annoncé qu’ils suspendaient provisoirement leurs manifestations suite à la mort d’Ariel Sharon le 11 janvier dernier, par respect pour l’ancien Premier ministre, mais au demeurant sachant très bien que les médias ne couvriraient pas leur mouvement pendant les jours de deuil. Ils ont repris leurs manifestations profitant du redoux de février, dormant la nuit sous des couvertures dans le parc Levinsky au sud de Tel-Aviv, et défilant le jour devant les ambassades et les bureaux du gouvernement. Lors du rassemblement du 13 février, devant les bureaux de l’ONU à Tel-Aviv, ils ont blâmé l’inertie de l’agence internationale qui n’est pas intervenue pour soutenir leur mouvement et défendre leur cause.
Le flot d’immigrés a été croissant depuis 2006 ; d’abord constitué des réfugiés du Darfour puis du Sud-Soudan cherchant à échapper à un génocide, sont venus s’ajouter ceux d’Erythrée fuyant une dictature sanglante. Israël se retrouve maintenant confronté à une population immigrée africaine de quelque 54 000 âmes. Selon Amnesty International, la population d’Erythrée est victime de graves violations des droits de l’Homme, de persécutions religieuses et politiques, avec leur lot de disparitions et de tortures, commise par le régime en place. Par ailleurs, l’organisation précise que les survivants du génocide du Darfour font face à des persécutions qui perdurent et à des assassinats de masse perpétrés par le gouvernement et ses milices armées. « Nous sommes victimes d’un régime répressif qui viole la liberté de culte et la liberté d’expression… Si nous sommes expulsés et renvoyés là-bas, nos vies sont en danger. Israël va peut-être nous expulser. C’est une honte pour ce pays », affirme Abraham, un Erythréen de 27 ans qui souhaite garder l’anonymat. Il a pris une part active dans les manifestations et vit en Israël depuis cinq ans, a-t-il confié au Post. Après avoir servi dans l’armée érythréenne pendant cinq ans, et été soumis à des travaux forcés pour construire des maisons aux privilégiés du régime, il s’est échappé. Une grande partie de sa famille, en quête de sécurité et de liberté, s’est dispersée dans différents pays. « Au moins, avec ces manifestations, nous avons pu montrer la vérité aux Israéliens. Israël ne traite pas la question comme il le devrait. Nous avons prouvé que nous ne sommes pas des criminels. Nos manifestations sont non violentes. Mais Israël ne nous voit pas comme des demandeurs d’asile, mais comme des criminels. Quiconque a commis un crime dans un pays démocratique, a droit à un procès. Personne ne va en prison sans procès équitable. »
Le judaïsme au défi
« Le gouvernement espère qu’une vie misérable dans les centres d’incarcération finira par les convaincre d’accepter les quelques milliers de dollars offerts par le gouvernement et le rapatriement dans leur pays d’origine », dénonce-t-il. « S’ils font de ma vie un enfer et me mettent dans une situation désespérée, alors je préfère mourir au pays dans la dignité en famille », dit Abraham. « Personne n’a envie de vivre loin de son pays, loin de sa famille. »
Orit Maron, de l’organisation ASSAF pour les réfugiés et demandeurs d’asile fait remarquer que s’il y a quelque 54 000 demandeurs d’asile en Israël, il y a aussi environ 90 000 touristes, dont 60 000 Russes, dont le visa a expiré et qui séjournent dans le pays illégalement. « Le nombre des immigrés n’est pas le problème. Je pense que c’est tout simplement du racisme et un manque de volonté de la part d’Israël d’admettre que ce sont des réfugiés. Israël a oublié d’où il vient », confie-t-elle. « (David) Ben Gourion a tout fait pour que soit ratifiée la Convention sur les réfugiés à l’ONU en 1951 après la Seconde Guerre mondiale, où les portes des nations se sont fermées aux réfugiés qui fuyaient leurs pays, justement pour que cela ne se reproduise plus et maintenant c’est Israël qui les rejette. La politique du Premier ministre Binyamin Netanyahou est une offense aux principes fondamentaux du judaïsme et son devoir de compassion envers l’autre. « Affubler ces immigrés du terme d’“infiltrés” comme le fait le gouvernement est un acte délibéré qui vise à alimenter un climat de peur devant une invasion imminente, alors ces personnes qu’il nomme ainsi tentent tout simplement d’échapper à des assassinats de masse et des dictatures sanguinaires », affirme-t-elle. « Le gouvernement devrait examiner toutes les demandes d’asile et décider au cas par cas si elles émanent d’immigrants qui viennent ici pour trouver de meilleures opportunités économiques ou, s’ils ne sont, je le répète, comme la plupart que des demandeurs d’asile ».
Assistance à personnes en danger
A la mi-février, alors que les manifestations battaient leur plein, le ministère de la Santé a ouvert une cellule de crise pour les immigrants, reconnaissant tacitement pour la première fois que nombre d’entre eux ont besoin d’aide en raison des enlèvements, de la torture et des viols qu’ils ont subis au cours du périple qui les a conduits jusqu’en Israël. Beaucoup ont été enlevés, rançonnés et parqués dans des camps dans le Sinaï pendant de longues périodes avant de pouvoir atteindre la frontière israélienne.
Dans un communiqué publié au plus fort des manifestations, le ministère des Affaires étrangères a déclaré qu’Israël essayait de conjuguer son besoin de contrôler ses frontières avec la nécessité de protéger les droits de l’Homme de ceux qui les franchissent. « Le nombre et l’éventail des questions soulevées constituent un défi important pour les services économiques et sociaux d’Israël, dont la population est de huit millions habitants », a déclaré le ministère. « La situation en Israël est beaucoup plus complexe que celle des autres pays industrialisés. Israël est le seul pays développé qui possède une frontière terrestre avec l’Afrique, ce qui le rend relativement plus accessible à ceux qui veulent y pénétrer. En outre, en raison de la situation géostratégique unique en Israël et l’instabilité politique actuelle à ses frontières, il devient pratiquement impossible de développer des solutions alternatives, comme l’ont fait d’autres pays développés, l’Europe et les Etats-Unis en tête.
« Le Département de l’Immigration et sa section spéciale dédiée au statuts des réfugiés a examiné des centaines de cas de demandes d’asile en coordination avec le HCR (Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies). L’étude se fait conformément aux obligations juridiques internationales auxquelles Israël est soumis, sur la base de la Convention sur les réfugiés de l’ONU (1951) pour ensuite s’appliquer selon la législation israélienne et en conformité avec les décisions de la Cour suprême », a déclaré de son côté le gouvernement.
A l’occasion d’une conférence de presse à Genève, le 10 janvier dernier, Adrian Edwards, le porte-parole du HCR a déclaré : le HCR « comprend les défis auxquels est confronté Israël, qui doit accueillir et gérer ce flux d’immigrants et de réfugiés sur son sol. Cependant, il est important que l’octroi des demandes d’asile se fasse en conformité avec le droit international aux réfugiés dans le respect de la personne humaine. Tous les demandeurs d’asile ont droit à des procédures justes et efficaces pour statuer sur leur situation et des moyens efficaces doivent être mis en place pour leur permettre d’obtenir le renouvellement de leurs visas. »
Un problème commun aux pays développés
« Israël n’est pas le seul pays confronté à la pression économique et sociale que représente l’afflux massif de réfugiés en provenance d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie qui ont fui leurs foyers pour trouver refuge dans d’autres pays et leur demander l’asile », fait remarquer Tali Kritzman-Amir, professeur adjoint dans le cadre d’un programme d’études sur les immigrants à l’université de Tel-Aviv. Elle place Israël au quatrième rang des pays confrontés à une forte immigration avec tous les défis que posent ces réfugiés en termes de droit et de moralité, après l’Australie, la Grèce et l’Italie.
« En général, 80 % des demandeurs d’asile érythréens et plus de 60 % des demandeurs d’asile soudanais obtiennent le statut de réfugiés. Mais en Israël, sur un peu plus de 1 000 demandes d’asile déposées par des Erythréens, seulement 270 ont été examinées, et c’est seulement fin janvier que deux de ces demandes ont été satisfaites », affirme-t-elle. « D’autres pays font l’objet de demandes d’asile pour une période déterminée et l’obtiennent en attendant que leur statut de réfugié soit confirmé ou que leur expulsion soit décidée, ce qui n’est pas le cas en Israël. Dans d’autres pays occidentaux, les immigrés sont autorisés à travailler pour subvenir à leurs besoins et bénéficient de logements », fait-elle remarquer. « Avec ces détentions, le but du ministère de l’Intérieur est de dissuader les gens de rester dans le pays et de les convaincre d’accepter leur rapatriement de leur plein gré. Ils tablent sur le fait que, si leur détention est suffisamment longue, elle aura un effet dissuasif et qu’ils demanderont eux-mêmes à retourner dans leur pays d’origine », dénonce-t-elle.
« Israël craint que des centaines de milliers de demandeurs d’asile se déversent dans le pays, alors que la clôture de sécurité érigée le long de la frontière égyptienne en jugule le flot et que le nombre de personnes qui parviennent à la franchir est aujourd’hui dérisoire », fait-elle remarquer, « et, malgré cela, le gouvernement hésite encore à statuer sur le sort de ceux qui sont déjà là et légaliser leur situation. C’est honteux de la part d’un pays de réfugiés de mettre des gens dans la même situation que celle où nous avons nous-même été », déplore-t-elle.
L’Etat a essayé de plusieurs façons de se débarrasser des immigrants illégaux, en vain. Récemment, un pays tiers, la Suède, a offert l’asile à un groupe de 50 Erythréens, en majorité des femmes qui ont été victimes de traite d’organes et soumis à la torture alors qu’ils traversaient le désert du Sinaï pour se rendre en Israël et qui étaient depuis détenus en Israël. « En attendant », dit Bayu, « les demandeurs d’asile sont frustrés par le manque de résultats obtenus suite aux manifestations et décontenancés par ce système de détention. Ils ne peuvent pas faire la différence entre cela et la prison. Ils sont déterminés à trouver une solution, mais, en même temps, le gouvernement a durci leur cœur », regrette-t-il. « Il faut trouver une solution pas seulement pour eux, mais aussi pour l’Etat d’Israël », conclut-il.