Jérusalem, pôle high-tech ?

Jérusalem ne veut plus se cantonner à son statut de Ville sainte. La capitale israélienne a bel et bien l’intention de se faire un nom au sein de la nation start-up

Jerusalem, pole high-tech? (photo credit: Wikimedia Commons)
Jerusalem, pole high-tech?
(photo credit: Wikimedia Commons)

 

En mars dernier, la juxtaposition des deux événements prenait une tournure saisissante dans les rues hiérosolomytaines. D’un côté, une imposante manifestation ultraorthodoxe contre « le partage des charges », qui veut imposer l’armée à tous les secteurs de la société, y compris aux étudiants de yeshivot. De l’autre, le lancement festif de Jnext, une toute nouvelle organisation destinée à encourager un réseau de start-up et d’entrepreneurs dans la capitale, pour favoriser, à terme, la création d’emplois.

Le rassemblement religieux aurait presque empêché l’événement de Jnext de se produire, tant la ville était bloquée (la route no 1 de Tel-Aviv avait été fermée aux voitures à partir de 13 heures) et les transports en communs perturbés. Pour contourner cet obstacle, les organisateurs avaient demandé et reçu une autorisation spéciale pour faire parvenir deux bus gratuits du parc relais près de l’aéroport Ben-Gourion jusqu’à l’autoroute 1. Deux bus : une goutte d’eau aux côtés des 2 000 autocars qui se rendaient à l’événement harédi.
Et le contraste entre les deux événements ne s’arrêtait pas là. Le rassemblement ultraorthodoxe, tout vêtu de noir et blanc, détonnait avec les couleurs vives – rose, vert, jaune, rouge – du centre hospitalier Hansen, ancienne léproserie située dans le quartier de Rehavia, redécorée par Jnext pour l’occasion. Car c’est dans ce bâtiment paisible, à quelques encablures du théâtre, que Jérusalem a choisi de marquer son entrée dans les hautes sphères de la technologie. Pour l’occasion, la cour centrale, autrefois la résidence des intouchables de la région, était remplie de quelque 350 hipsters pleins de vie, venus savourer des focaccias fraîchement cuites et autres pitot aux champignons.
Le centre Hansen est en fait l’emplacement idéal. Aujourd’hui, siège de l’Académie d’art et d’études supérieures de design Betsalel, il a été complètement transformé en centre de créativité. En entrant, les visiteurs ont pu découvrir un espace public comprenant plusieurs salles aux canapés confortables sur fond d’écrans de télévision, témoignages d’une ville qui ne cesse de se dynamiser. Au programme de la journée, des récits de success story, souffle d’inspiration pour les participants, comme ceux de Bob Rosenschein (ancien PDG du site Answers.com, aujourd’hui à la tête de Curiyo) ou de Danna Hochstein Mann (un des membres fondateurs de la plateforme d’investissement OurCrowd).
Le message était clair : Jérusalem refuse la stagnation, elle devient, elle aussi, une plaque tournante du high-tech.

Une pépinière d’entreprises

De quoi réjouir le maire Nir Barkat, mêlé parmi les invités et interviewé par Saul Singer, coauteur du best-seller la Nation Start-Up. Selon l’édile, la ville n’avait jamais été aussi vivante depuis les années quatre-vingt-dix, quand un écosystème similaire de jeunes entrepreneurs créatifs émergeait alors doucement.

Mais tout s’était écroulé au début des années 2000 avec l’éclatement de la deuxième Intifada, qui donnait le coup de grâce à une économie déjà très précaire. Les start-up avaient alors fui vers Tel-Aviv et le centre du pays. Depuis, la capitale a été privée de tout élan entrepreneurial.
Excepté peut-être dans le secteur de la biotechnologie, que la ville a essayé de promouvoir. Un pari réussi, dans une certaine mesure. Hanan Brand, associé au Jerusalem Venture Partners Media Labs et cofondateur de l’organisation à but non lucratif MadeinJLM, qui vise à « marquer au fer » Jérusalem en apposant son logo aux start-up et sites web de la ville, explique ainsi que sur les 300 start-up de sa base de données, 150 appartiennent au monde de la biotechnologie, et 100 sont issus du secteur du web, des médias et des jeux.
Stav Erez, fougueuse coordinatrice de l’initiative Jnext, revient sur l’objectif de sa structure : être l’organe central, sorte de pépinière d’entreprises, qui va encourager la naissance et l’essor de start-up dans le high-tech, construisant ainsi le nouvel écosystème de Jérusalem. Ce qui inclut des investisseurs comme OurCrowd, JVP ou Ben Wiener Jumspeed Ventures, des plateformes et incubateurs comme PICO à Talpiot et la SifTech de l’Université hébraïque (où Erez a débuté), mais aussi des plateformes communautaires de promotion comme GameDevJLM (qui rassemble le nombre limité mais croissant de développeurs de jeux vidéos dans la ville), le groupe vétéran anglophone Jerusalem Business Networking Forum, et également UHF, un groupe de soutien aux travailleurs harédim high-tech.

Renouveau et renforcement entrepreneurial

Certes, des initiatives ludiques et dynamiques existent déjà. Comme BeeraTech, par exemple, un projet de rassemblement mensuel dans les bars de la ville où les participants peuvent prendre un verre tout en assistant à des conférences d’éminentes figures du monde de la technologie (le nom choisi est d’ailleurs un jeu de mot à partir de « Bira » qui peut signifier en hébreu « bière » ou « capitale »). GameDevJLM organise la même chose dans le domaine du jeu : petits-déjeuners de réseautage pour les techniciens, et parrainage fréquent de conférences. Pour MadeinJLM, des événements presque quotidiens ont lieu à Jérusalem.

Mais Jnext veut placer la barre encore plus haut, à l’image de son lancement, qui n’a pas manqué de mobiliser nombre de participants et créer le buzz médiatique. Il faut dire aussi qu’elle a les moyens de ses ambitions. A ce jour, Jnext dispose d’un budget de 15 millions de shekels pour trois ans, provenant de la municipalité, de l’Autorité pour le développement de Jérusalem (ADJ) et des ministères en charge de Jérusalem et de la Diaspora. Et grâce à Jnext, l’ADJ a en outre débloqué un programme de subventions pour encourager l’emploi des résidents de Jérusalem (avec un maximum de 500 000 shekels de budget par entreprise). Elle verserait, par ailleurs, 250 000 shekels aux incubateurs high-tech pour les aider à s’installer dans la ville.
Cette volonté de renouveau et de renforcement entrepreneurial donne une toute autre image de la capitale, devenue presque méconnaissable par rapport à ce qu’elle était quelques années auparavant. Aujourd’hui, les centres culturels et de divertissement sont en plein essor, depuis l’ancienne station de train, rebaptisée la Première Station, jusqu’au Cinema City. Et outre les activités culturelles devenues légion ces derniers temps, Jérusalem compte également des projets environnementaux d’envergure, comme la réserve urbaine la Vallée des Gazelles, censée ouvrir prochainement, qui visent à rendre la ville d’autant plus attrayante, notamment pour les jeunes entrepreneurs en fin d’études universitaires.
Jérusalem a donc bien décidé de prendre son envol technologique. Du moins, certains de ses quartiers. Car selon une projection d’une carte Google, on constate que les principaux emplacements high-tech de la ville sont concentrés à l’ouest de la ville. Aucun d’entre eux ne se trouve à Jérusalem-Est… du moins, pas encore.